N° 108, novembre 2014

Les contes folkloriques de l’Iran (I)
Hassani le vacher chauve et la fille du gouverneur


Adaptation :
Joseph et Christiane Escot
Texte présenté et traduit du persan par

Katâyoun Niloufari


Hassani-le-chauve (Hassan katchal) est un protagoniste bien connu dans les légendes et les contes persans. Ce personnage y apparaît sous différents noms comme « Hassan Tarssalou » (Hassan le peureux) chez les Kurdes d’Iran, « Pahlavân Panbeh » (héros de coton ; fanfaron) ou même « Hassan tanbal » (Hassan le paresseux) chez les habitants du Fârs. [1] Ce personnage qui au début de l’histoire ne fait preuve que d’une simplicité et d’une passivité extrêmes, se métamorphose à la fin en un jeune homme brave et intelligent.

L’intrigue de ce conte dont nous présentons ici la traduction est basée sur sa rencontre avec la fille du gouverneur et la naissance de sa flamme pour elle. Suite à cet événement, il décide de tout abandonner et de s’efforcer d’améliorer son destin. Dans sa quête, il rencontre le derviche-sorcier, symbole de la ruse et de la méchanceté. Face aux dangers qu’il rencontre, sa mère, qui incarne l’amour maternel inconditionnel, le sauve à chaque fois, et joue ainsi le rôle d’adjuvant. Hassani le chauve parvient ultimement à son but et à revenir parmi les siens en tant qu’homme respecté et honnête. Les différentes légendes ayant Hassani pour héros avaient pour objectif pratique d’encourager les gens à changer leurs mauvais caractères et penchants pour accéder à une existence meilleure. Nous en présentons ici un exemple.

Il était une fois un vacher chauve qui s’appelait Hassani.

Pourquoi était-il chauve ? L’histoire ne le dit pas, mais laisse entendre que c’était là une marque distinctive qui ne nuisait nullement à son charme.

Tous les matins, donc, Hassani menait les bestiaux au pâturage et les ramenait à leurs propriétaires au coucher du soleil ; cela en échange de quelques malheureuses pièces. Ainsi gagnait-il sa pauvre vie. Pourtant, il priait jour et nuit pour qu’un miracle se produise dans sa vie et qu’il trouve ainsi le bonheur.

Un soir, quand il arriva près du puits pour remplir sa cruche, il vit une jolie fille, qui était la fille du gouverneur, et tomba immédiatement amoureux d’elle. Aussi, lorsque la jeune fille, ô bonheur, lui demanda de l’aide pour hisser sa cruche sur son épaule, Hassani le vacher chauve en profita pour lui voler un baiser. La fille, qui se prénommait Anoushâ, lui cria des insultes et, folle de colère, rentra chez elle en toute hâte pour conter la chose à sa mère. Celle-ci, femme intelligente et sage, dit à sa fille de n’en souffler mot à personne.

Quand Hassani-le-chauve rentra chez lui, il dit à sa mère :

« Mère, j’ai vu, il y a quelques minutes, la plus belle fille du monde, la fille du gouverneur. Demain, tu dois aller la demander en mariage. »

La mère répondit :

« Ce n’est pas possible, nous sommes pauvres et miséreux, alors qu’eux sont riches. Comment pourront-ils accepter cette demande ? »

Le jeune homme insista tant que la pauvre femme promit qu’elle le ferait, mais qu’il fallait attendre jusqu’au lendemain matin.

Quand le soleil se leva, elle se rendit donc vers la maison du gouverneur et frappa à la porte. Une servante lui ouvrit et lui demanda d’attendre quelques instants, le temps qu’elle aille informer la maîtresse de la maison. Celle-ci, au courant de ce qui s’était passé le jour d’avant, comprit la situation. Elle ordonna aux servantes de donner à cette pauvre femme quelques restes du repas de la veille ainsi qu’un peu d’argent et de la renvoyer. La mère de Hassani n’osa pas exprimer sa requête et repartit la tête basse. Le soir, quand Hassani-le-chauve rentra du pâturage, il questionna sa mère :

« Alors, as-tu fait ma demande ? Est- ce que la belle a dit oui ? »

La pauvre mère répéta ce qu’elle lui avait dit la veille :

« Nous sommes pauvres, et nous n’aurons pas une bonne réponse, mais si tu veux, je demanderai la main de ta cousine Gol. »

Hassani ne voulait rien entendre et alla même jusqu’à menacer sa mère.

« Si tu ne fais pas ce que je veux, je t’abandonnerai ! » dit-il avec violence.

De nouveau, le lendemain, la mère partit vers la maison du gouverneur, et insista cette fois-ci pour parler avec la mère de la jeune fille. Celle-ci, femme bien sage, dit :

« Je suis d’accord pour cette union de ton fils avec ma fille Anoushâ, sauf que c’est le père qui doit y consentir. Je lui parlerai dès qu’il rentrera de la mission que lui a confiée le roi. »

Et le soir venu, quand son mari se fut rafraîchi et qu’il eut revêtu un caftan propre, elle raconta à son mari la demande insensée du jeune vacher. Mais elle ajouta :

« Il est vraiment tombé amoureux, au point qu’il a osé embrasser Anoushâ. »

Le père, qui était un homme plein de bon sens, réfléchit et dit :

« Ce pauvre vacher n’a pas de bien ni de maison digne de ce nom. On ne va pas lui refuser la main de notre fille mais on va lui dire que, lorsqu’il aura de l’argent et une belle propriété, on célébrera leur mariage. »

Un serviteur alla porter ce message à Hassani-le-chauve.

Celui-ci fut si content que ce jour-là, il ne partit pas au pâturage. Il prit quelques affaires et dit à sa mère :

« Je vais tenter ma chance et aller gagner de l’argent pour me marier. »

Sa mère le supplia de rester et de ne pas la laisser seule. Mais Hassani-le-chauve prit la route et s’en alla. Il marcha de longues heures et, au détour d’un chemin, il vit un derviche appuyé contre un arbre. Le derviche vint à sa rencontre et lui dit :

« Où vas-tu jeune homme ? Veux-tu devenir mon valet ?

- Oui, répondit le vacher.

- Combien veux-tu gagner ?

- Je ne sais pas, pourvu que je gagne assez d’argent pour pouvoir me marier avec Anoushâ, la fille du gouverneur. »

Sur ces bonnes paroles, ils partirent d’un même pas et arrivèrent à une fontaine. Le derviche ordonna :

« Reste ici et attends mon retour, je vais chez moi. »

Hassani vit le derviche murmurer une incantation et disparaître dans l’eau.

Après quelques instants qui parurent fort longs à Hassani, le derviche réapparut et lui dit :

« Ferme les yeux et serre ma main très fort. »

Tous deux traversèrent l’eau et lorsque Hassani rouvrit les yeux, il se vit dans un grand jardin, plein d’arbres chargés de fruits et de fleurs odorantes ; un grand jardin qui entourait une magnifique maison. Le derviche lui fit signe de le suivre. Ils entrèrent, et une très jolie jeune fille les accueillit.

« C’est ma fille Lâleh, dit le derviche, elle veillera sur toi. Moi, je pars à la chasse pendant quarante jours. ہ mon retour, jeune homme, tu devras avoir appris tout ce qu’il y a dans ce livre magique. »

Et il disparut de nouveau.

Lâleh entreprit d’enseigner à Hassani le contenu du livre. Quand il eut tout appris et tout retenu, elle lui dit :

« Prends garde, maintenant que tu connais tout ce qu’il y a dans ce livre ! Sache que si mon père s’en aperçoit, tu perdras la vie. Ecoute-moi bien : quand il arrivera, tu feras semblant de n’avoir rien appris. S’il te montre la lettre A, lis B et ainsi de suite, puis échappe-toi par le jardin. »

Les quarante jours passèrent. Le derviche rentra et il interrogea sa fille sur les progrès de Hassani. Lâleh lui répondit :

« Quel imbécile, quel idiot, il n’a rien appris. »

Le derviche voulut s’en rendre compte par lui-même. Il montra la lettre A et Hassani dit B, et ainsi de suite. Alors, il s’écria :

« Cet imbécile ne nous servira à rien, je vais le renvoyer, donne-moi ma bourse ! »

Il donna cent dinars à Hassani et lui ordonna de quitter immédiatement la maison et son merveilleux jardin.

Mais parlons un peu de ce livre. C’était un livre magique et Hassani en avait appris l’intégralité. Aussi, en un clin d’œil se retrouva-t-il derrière la porte de sa maison où sa mère l’accueillit avec des cris de joie. Il la serra sur son cœur et lui donna de l’argent.

« Va chercher un maçon et des ouvriers, pour que dès demain on construise notre nouvelle maison. »

Et quelle maison ! Car sachez-le, Hassani avait emporté le plan d’un bâtiment unique, le palais du derviche que personne n’avait jamais vu.

Lorsque Hassani eut donné ses ordres aux ouvriers, il dit à sa mère :

« Demain, je vais me transformer en chameau, va au bazar et vends-moi cent dinars, mais fais attention, surtout ne vends pas la bride, même si on t’en propose mille dinars, d’accord ? »

Le lendemain, la mère fit comme il avait été dit, vendit le chameau au prix fixé, mit la bride sous son tchâdor et rentra chez elle. Son fils Hassani-le-chauve ne tarda pas à rentrer.

Il dit à sa mère de payer les ouvriers et ils passèrent la soirée à manger et bavarder joyeusement. ہ la fin de la soirée, Hassani s’adressa de nouveau à sa mère :

« Chère mère, demain je vais devenir une mule. Tu iras au bazar et tu me vendras mille dinars, mais tu garderas la bride. »

Ce qui fut dit fut fait. Et le lendemain, dès que le soleil eut dardé ses premiers rayons, la mère se rendit au marché. Un riche marchand, que nous nommerons Shâdi, sortit du hammam et les vit, elle, la vieille femme, et sa mule. Il demanda le prix de l’animal et la femme répondit qu’elle coûtait mille dinars. Stupéfait, l’homme s’écria :

« Quelle avare tu es, une bonne mule ne coûte pas plus de cent ou deux cents dinars. »

La mère répondit :

« Ce n’est pas une mule commune, c’est une mule exceptionnelle : elle est si rapide qu’elle arrive, dans une ville même très lointaine, en une seule seconde. »

Le marchand hésita, puis il dit à la femme :

« Si c’est vrai, je t’en offrirai cinq cents dinars de plus. »

Il tira la mule jusqu’à sa demeure, écrivit une note pour son frère Nasim qui habitait dans une ville lointaine, et dit à sa femme de préparer une omelette qu’il mit dans une poêle. Il ordonna à son valet de monter sur la mule, d’emporter avec lui la note et l’omelette chaude, et de lui rapporter la réponse de son frère Nasim. Le valet n’était pas encore bien installé sur la monture qu’il se vit dans une autre cité. Il s’arrêta et demanda le nom de la ville : c’était justement la destination indiquée par son maître. Il chercha le caravansérail de Nasim et lui offrit ce que son maître lui avait donné.

Celui-ci mangea d’abord l’omelette qui était encore chaude, lut la note, écrivit la réponse et renvoya le valet qui se trouva en une seconde dans la maison de Shâdi, son maître. Celui-ci lui donna une jolie somme pour qu’il ne parle à personne de cette aventure. Puis il paya la vieille femme et demanda à son valet d’étendre un tapis sous les pieds de l’animal. Au lieu de foin, il lui donna du sucre et des gâteaux.

Quelques jours passèrent. Un soir, la femme du marchand lui dit :

« Shâdi, mon ami, tu possèdes une bonne mule, pourquoi tu ne vas pas t’en occuper ? »

Le marchand se dit qu’elle avait raison et le lendemain matin, il entra dans l’étable pour voir sa merveilleuse mule. Tandis qu’il caressait son museau, celle-ci commença petit à petit à disparaître : ce fut d’abord le tour de la tête, puis du cou et celui du corps tout entier jusqu’à la queue. C’était comme si l’animal avait été avalé par le mur. Il hurla :

« Détruisez ce mur ! » Mais en vain.

Le valet, en échange de quelques pièces supplémentaires, accepta de ne parler à personne de cette mule magique, car personne n’y croirait et de surcroît on le prendrait pour un fou.

De retour chez elle, la mère attendit Hassani, mais ce dernier ne rentra pas. Quelques jours passèrent de la sorte sans aucune nouvelle de son fils ! Morte d’inquiétude pour lui, elle commença à pleurer quand, tout à coup, le jeune homme arriva joyeux comme une hirondelle. Il dit pour la troisième fois :

« Mère, demain je vais me transformer en bélier, tu vas me vendre deux cents dinars, mais ne laisse pas à l’acheteur la chaîne qui est autour de mon cou. »

La mère fit comme il avait été dit.

Et devinez qui s’approcha du bélier et de la vieille ? Le derviche-sorcier ! Il demanda :

« Combien coûte ce bélier ? »

La femme lui répondit :

« Trois mille dinars. »

Le derviche paya la somme demandée mais exigea d’avoir la chaîne. La mère refusa énergiquement Cependant, les gens autour d’elle dans le bazar prirent le parti du derviche et dirent :

« Ne fais pas ta tête de mule. ہ quoi te servira cette chaîne puisque tu as vendu le bélier un bon prix, tu peux bien la donner ! »

La mère n’avait pas d’autre solution que d’obéir à cette foule menaçante et elle donna la chaîne.

Le derviche, fou de rage car il avait compris qu’il avait été berné par sa fille, prit la chaîne de l’animal et se rua dans une ruelle à l’abri des regards des passants. Récitant une incantation, ils se trouvèrent sans perdre le temps dans son magnifique palais, celui dont je vous ai parlé précédemment. Il convoqua sa fille, il l’injuria tant et plus :

« Fille indigne, tu es la complice de ce Hassani, ce misérable vacher ! Tu lui as appris toute ma science ! Je vais vous punir et vous donner la place que vous méritez ! Va chercher un couteau. » La fille obéit, entra dans la cuisine et rapporta une casserole. Il jeta la casserole en hurlant :

« Idiote ! Un poignard ! »

Et la fille lui rapporta une cuillère, car elle voulait que rien n’arrive à ce brave Hassani qui lui avait déjà conté son histoire d’amour. Le derviche, aveuglé par la fureur, lâcha la chaîne du bélier. Aussitôt, le bélier se transforma en pigeon et s’envola. Au même instant, le derviche se transforma en faucon et poursuivit le pigeon. Le pigeon se changea en bouquet de fleurs et tomba sur la jupe d’une petite fille. Le derviche se changea alors en belle dame et voulut prendre à la petite fille le bouquet. Celle-ci refusa et jeta le bouquet dans un fossé. Le bouquet se changea en une poignée de grains de millet, et le derviche devint une poule qui s’apprêta à picorer les grains. Mais le millet se transforma en un renard qui d’un seul coup de dents dévora la poule.

Les gens, qui contemplaient ahuris ces changements, s’approchèrent du renard et le supplièrent de leur révéler son secret. Alors, le renard devint Hassani. Il leur raconta qu’il était jadis un vacher amoureux de la fille du gouverneur, et comment il avait connu le derviche et sa science.

Après cela, il retourna chez sa mère et comme tout était en ordre et que son palais était achevé, on célébra le mariage entre Hassani-le-chauve et Anoushâ, la fille du gouverneur. A la dernière minute, la belle Anoushâ demanda à Hassani de ne jamais avoir recours à la magie dans leur vie et de se comporter toujours comme un homme digne et honnête. Hassani donna sa parole et fut comblé de joie quand le gouverneur le désigna comme clerc dans son palais. Et l’on invita Shâdi le marchand, et aussi son frère Nasim, sans oublier Lâleh. On dit même, dans le bazar, que Nasim ne fut pas insensible aux charmes de la belle Lâleh, et qu’il ne sut à qui demander sa main.

Mais ceci est une autre histoire…

Notes

[1Voir l’ouvrage de Shams, Mohammad Rezâ, Hassan Katchal, Pahlevân Pambeh (yâzdah afsâneh irâni (Hassan le chauve, le héros de coton, onze légendes iraniennes), Téhéran, éditions Ofogh, 1377 (1998).


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