N° 108, novembre 2014

Lettre dix-neuf
Extrait du recueil Tchehel nâme-ye koutâh be hamsaram
(Quarante courtes lettres à mon épouse)


Nâder Ebrâhimi
Traduit par

Arshiâ Shivâ


Ma sublime dame !

Misérables sont ceux dont le regard jaloux ne cesse d’envier les chaumières des autres, leurs fenêtres claires et ensoleillées.

Et qu’il est bon que nous - toi et moi - n’ayons jamais cherché le bonheur dans la maison voisine.

Au fond, le fait même que nos enfants ne nous aient guère entendu parler avec envie du bien-être des autres, de leurs jouissances, de leurs biens, de leurs réceptions, ni même de leur santé, est assez honorable et satisfaisant en soi.

Et moi, je n’ai jamais douté un seul instant, je crois fermement que ce qui a apporté cette gloire et cette sérénité en notre foyer n’est autre que ton âme riche et magnanime.

Tu nous appris à tous à nous réjouir de la moindre joie des autres sans souhaiter nous en emparer ni en exiger une petite part, grâce à ta vision noble et élevée, à l’image du ciel généreux et altier, inaccessible.

Moi, je l’ai dit et toi, tu l’as montré : la félicité n’est pas chose que l’on emprunte, même pour quelques instants.

Elle ne peut non plus être dérobée, ni achetée ni mendiée.

Il est impossible de se mettre à la table du bonheur des autres et de commencer à se servir sans risquer de s’étrangler ou d’avoir encore plus faim.

Impossible également de tendre un piège à l’oiseau du bonheur des autres, de l’emmener chez soi et de le mettre en cage dans un espoir absurde et futile.

Je crois que la félicité est la seule chose au monde qui se construit avec les mains pures de celui qui la sollicite après une pure méditation.

Certes, ce discours ne concerne que la félicité d’une unité minuscule, il n’est guère question de la félicité sociale, nationale, historique, humaine... Pour atteindre ce type de bonheur - l’idéal ultime de l’homme - la force, l’espoir, l’entreprise et la volonté individuels ne mèneraient pas au but et aucune lettre, fût-elle longue, n’en donnerait une image correcte.

Ma très chère,

Notre bonheur actuel est de s’engager au service du bonheur des autres. Cela est bien l’essence de notre bonheur ainsi que sa cause.

Tu m’as demandé un jour : « Quand est-ce que la cause et l’effet deviendront complètement un ? »

J’ai refusé de répondre tout de suite, tu t’en souviens.

Voilà, à présent j’ai trouvé la réponse.


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