N° 111, février 2015

Rencontre avec Saeed Golkâr


Elhâm Habibi


Saeed Golkâr

Saeed Golkâr est un dessinateur, sculpteur et créateur d’objets en verre iranien. Esprit créatif au parcours singulier, il obtient une licence en archéologie puis un master en administration des affaires culturelles, avant de soutenir avec succès une thèse en soufflage traditionnel du verre. Il a notamment publié un ouvrage en deux volumes sur les techniques de soufflage du verre et les ateliers où elles sont pratiquées en Iran. Il se consacre actuellement à la revivification des techniques traditionnelles de confection d’objets en verre en créant des répliques historiques de pièces exposées dans différents musées d’Iran.

Avec près de 30 ans d’expérience dans la confection d’objets en verre, 22 ans d’enseignement dans des universités d’art et 14 ans de direction du Musée du verre à Téhéran, Golkâr a eu une influence importante dans le renouvellement de l’artisanat du verre. Ses œuvres sont également exportées à l’étranger. Dans ses œuvres les plus récentes, il essaie de combiner des techniques actuelles avec des formes et couleurs traditionnelles.

Comment ont commencé vos activités dans le domaine de la confection d’objets en verre ?

J’ai commencé mon travail au Musée du verre de Téhéran, après des études d’archéologie et d’administration des affaires culturelles. C’est là que j’ai découvert le verre et la technique du soufflage du verre. J’avais déjà alors suivi une formation consacrée à la restauration des vases en verre et en céramique au Danemark, où j’ai également découvert des musées dynamiques et actifs dans ce domaine. Cela m’a inspiré pour la suite, et à la fin des années 1970, lorsque j’ai commencé à travailler au Musée du verre, je me suis dit qu’un musée dynamique n’est pas un lieu où l’on présenterait uniquement des objets anciens. Je me suis aussi demandé pourquoi notre artisanat du verre n’était pas aussi attirant qu’auparavant. Sur cette base, mes collègues et moi avons commencé à organiser des visites d’ateliers de soufflage du verre. Nous avons trouvé que ces ateliers avaient du potentiel et la possibilité de se perfectionner : les artisans maîtrisaient bien la technique du soufflage traditionnel, mais ils ne produisaient que des objets simples comme des verres à thé et des soucoupes. C’est à la suite de ces visites que j’ai décidé de me mettre moi-même à souffler le verre. J’ai rencontré les grands maîtres de cet artisanat ; je dessinais des verres anciens et demandais à ces maîtres de les créer. J’essayais par-là de créer un pont entre présent et passé, ce qui alors ne se faisait pas dans nos musées. C’est dans cette optique que j’ai commencé à dessiner d’après les modèles anciens. On apportait parfois des changements dans la couleur, mais on essayait de garder la forme. Je prenais, par exemple, un vase, et en créais plusieurs répliques en différentes couleurs. C’est ainsi que j’ai débuté mon travail dans ce domaine.

Photos : galerie de Saeed Golkâr

Pouvez-vous nous préciser votre démarche ?

Elle comporte trois aspects principaux. Comme je l’ai évoqué, j’essaie en premier lieu d’imiter les œuvres traditionnelles, pour ne pas laisser disparaître le savoir-faire du passé. Dans un second temps, je cherche à m’inspirer des œuvres anciennes en les renouvelant et les adaptant à la vie moderne. Ainsi, si un vase avait un usage particulier dans le passé, on y réalise certaines modifications pour l’adapter aux besoins contemporains. Enfin, dans un troisième temps, je cherche à créer des œuvres nouvelles. Avant de fabriquer un objet, j’en réalise un croquis. Dans l’artisanat du verre, nous ne disposons pas de moule particulier pour la majorité des travaux, et très souvent, en soufflant le verre, on y réalise des modifications, un peu par hasard. Si elles sont intéressantes, on les garde et on continue la création.

Grâce aux réseaux sociaux, les gens et les artistes sont rapidement au courant des nouveautés. Parfois, une même idée vient à l’esprit de deux artistes dans différents endroits du monde. L’artiste iranien doit avoir la capacité de renouveler ses idées. Il y a cinq ans, j’ai fabriqué une carafe et des verres qui ont beaucoup plu, mais je ne dois pas m’arrêter là. Je dois constamment en modifier la forme en y ajoutant des éléments variés. L’artisanat du verre comporte beaucoup de limites liées à la technique du soufflage que nous devons aussi prendre en compte.

Quelle est la situation actuelle de l’Iran dans le domaine du soufflage du verre ?

A mon avis, la situation actuelle en Iran est bonne, le pays abrite de nombreux artisans de qualité, mais il existe certains problèmes. L’un d’entre eux est le manque d’attention de l’Etat vis-à-vis de ce type d’artisanat. Le soufflage du verre se scinde en deux domaines : artistique et industriel, qui sont étroitement liés. J’aimerais aussi créer plus de ponts entre ces deux domaines, et inviter l’art dans le champ de la production industrielle du verre. Mais cela nécessite un soutien financier. Un autre problème est constitué par les importations massives d’objets de pays comme la Chine ou l’Inde. Il faudrait les limiter pour favoriser davantage l’artisanat iranien.

Vous avez comparé le soufflage du verre à un orchestre, pouvez-vous préciser cette idée ?

Il y a deux raisons qui nous permettent de comparer le soufflage du verre à un orchestre. Dans un orchestre, si l’un des membres joue la moindre fausse note, toute l’harmonie est remise en cause. Dans le domaine du verre, la composition et la quantité des ingrédients doivent rigoureusement être respectées. Si l’un des ingrédients dépasse son taux normal, tout le système s’écroule : le verre se brise ou des bulles difformes s’y forment. D’autre part, au moins quatre personnes travaillent dans un atelier du soufflage, en étroite collaboration. Si l’un des membres commet la moindre maladresse, l’ensemble est affecté. Les ingrédients et les artisans doivent donc se mettre au diapason pour réaliser un objet.

Le travail manuel du verre relève selon vous de l’artisanat ou de l’art ?

Je pense que le travail du verrier relève souvent de l’art. Le travail d’un ouvrier est basé sur l’habitude et la répétition machinale d’un geste. Celui qui réalise des modifications intentionnelles de forme en poursuivant des buts mercantiles est un artisan. En revanche, un artiste utilise sa sensibilité et recourt à des visées esthétiques désintéressées pour produire un objet d’art. Il est arrivé que les gens me disent que certaines de mes œuvres leur donnent une énergie particulière. C’est cela, le sentiment que l’artiste transmet dans son œuvre. Et ce sentiment est indescriptible. Quand je visite des musées, j’ai moi-même souvent l’impression que les objets me parlent. Je ne les considère pas comme des choses inanimées. Ils ont de l’énergie et la transmettent, sans aucun doute.

Les Iraniens sont-ils globalement favorables à votre démarche, à ce retour vers des formes traditionnelles ?

Cet intérêt s’est récemment accru. Il y a douze ans, les personnes qui achetaient mes objets venaient majoritairement des pays occidentaux. Mais avec l’ouverture de deux galeries consacrées à l’exposition d’objets en verre et en céramique, j’ai renforcé mes contacts avec les Iraniens et j’ai mieux saisi les couleurs et les formes qu’ils préféraient. Je me suis aussi rendu compte qu’ils étaient très attachés à leurs artisanats. J’ai ainsi essayé, avec de nouvelles idées, d’introduire ces artisanats dans les maisons modernes et d’être, comme l’a conseillé l’Imâm Ali, un "enfant de mon temps" et de prendre en compte les conditions de mon époque pour faire avancer mes idées.

http://instagram.com/Golkârartgallery/

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