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Exposition au Musée national d’Iran
à l’occasion de
la restitution de la collection de Khourvin
Reportage réalisé par
Le 17 janvier 2015, le Musée national d’Iran a organisé une exposition spéciale de 349 pièces archéologiques restituées par la Belgique : la célèbre collection de Khourvin. Ces fameuses « dix caisses » faisaient l’objet d’une véritable saga judiciaire depuis 1982.
Les experts du Musée national d’Iran m’ont expliqué qu’ils possédaient déjà dans leurs réserves une collection de 228 pièces du site archéologique de Khourvin. Par conséquent, l’Organisation nationale du Patrimoine culturel a décidé que les pièces, volées en 1965, soient transférées à Karaj (chef-lieu de la province d’Alborz) pour être conservées dans un musée plus proche de leur origine.
Photos : Babak Ershadi
Le site archéologique de Khourvin se trouve dans le nord de la province d’Alborz, à 80 km au nord-ouest de Téhéran. Il se situe au pied d’une colline appelée « Ganj Tappeh » (Colline du trésor). Le site fut découvert en 1947, quand l’Organisation nationale d’archéologie se rendit compte que de nouveaux objets de terre cuite avaient été introduits sur le marché des antiquités de Téhéran. D’après les experts, ces objets dataient d’il y a 2800-3200 ans. Ces poteries étaient d’une beauté incontestable et d’une valeur archéologique certaine. L’Organisation nationale d’archéologie réalisa une courte enquête et identifia l’emplacement d’origine de ces objets qui était Khourvin, dans la région de Sâvojbolâgh. La même année, cette organisation chargea deux archéologues iraniens, Mahmoud Râd et Ali Hâkemi, de mener les premières investigations scientifiques à Khourvin. Mais la première fouille n’eut lieu que quatre ans plus tard, quand le Belge, Louis Vanden Berghe, [1] effectua ses recherches pendant une dizaine de jours sur le site.
Ces fouilles prouvèrent que les objets découverts dès 1949 étaient inhumés aux côtés de cadavres à l’intérieur de tombes de forme elliptique, dans une nécropole antique. Les membres de la mission archéologique de Louis Vanden Berghe découvrirent dans ces tombes des poteries, des pièces en terre cuite représentant des formes humaines et animales, des objets en pierre et en bronze, mais aussi des objets décoratifs et des bijoux : colliers, diadèmes, boucles d’oreille, bagues, bracelets, épingles, etc.
Les poteries sont plus nombreuses que les autres objets découverts dans la nécropole antique de Khourvin. La plupart de la vaisselle en terre cuite a une couleur grise noirâtre et de formes très variées, selon les usages pour lesquels elle était destinée. Il est intéressant de savoir qu’aucune des poteries de Khourvin n’est décorée de figures peintes ou gravées.
A l’intérieur des tombes de Khourvin, les archéologues ont découvert de très nombreux objets en bronze, tandis que les objets en cuivre sont peu nombreux, et les objets en fer rares. Parmi les objets en bronze figurent de nombreux outils notamment agricoles. Les armes (épées, poignards, marteaux, flèches) sont moins nombreuses. Cependant, les petites statuettes qui représentent des figures humaines montrent plutôt des guerriers armés que des paysans.
Selon les archéologues, les objets découverts à la nécropole de Khourvin sont comparables à ceux de certains autres sites archéologiques de l’Iran datant du Ier millénaire av. J.-C. Depuis des années, 228 objets de Khourvin sont conservés au Musée national d’Iran. Les 349 pièces restituées qui reviennent de Belgique enrichissent donc la collection de Khourvin.
Les différentes hypothèses portant sur la grande immigration des populations aryennes et leur arrivée sur le plateau iranien se fondent sur différents documents et indices. Pour les archéologues spécialistes de l’Iran, les évolutions des techniques de la poterie dans les régions du nord, du nord-est et du nord-ouest de l’Iran constituent des signes de l’arrivée d’une nouvelle population, de sa coexistence avec les peuples locaux et de leur intégration progressive dans le pays. L’un des signes de ces changements démographiques est à rechercher, selon les experts, dans l’évolution de l’art de la poterie. En effet, dans le monde iranien [2], c’est vers la fin du IIe millénaire av. J.-C. que les poteries grisâtres de l’âge de fer prennent progressivement la place des poteries décorées et beiges de l’âge de bronze.
La plaine de Téhéran, située au sud de la chaîne des montagnes d’Alborz, est considérée par les archéologues comme étant un foyer géographique et culturel important de cette évolution civilisationnelle. Plusieurs sites qui ont été découverts dans la plaine de Téhéran confirment que cette région était particulièrement active à l’époque où cette évolution à la fois culturelle et technologique se produisait, vers la fin du IIe millénaire et au Ier millénaire av. J.-C., sur le plateau iranien. Dans le quartier de Gheitariyeh (nord de Téhéran), de très nombreuses poteries de cette période ont été découvertes dans un cimetière antique. Des découvertes similaires ont également eu lieu à Pishvâ et à la nécropole de Pardis, près de la ville de Varâmin (dans le sud-est de la plaine de Téhéran). Des collections de poteries de cette période antique ont aussi été découvertes à Darrous (un quartier du nord de Téhéran) et à Shemirân (banlieue du nord).
L’art de Khourvin a, d’une part, les caractéristiques des évolutions culturelles du début de l’âge du fer, et de l’autre, il constitue une continuation de l’art et de la technologie de l’âge du bronze sur le plateau iranien. Tout comme aujourd’hui, le site de Khourvin était alors une région tempérée, arable et prospère. Comme les habitants actuels de la région, la population antique était constituée de paysans et d’éleveurs sédentaires. Cela explique d’ailleurs la découverte de nombreuses poteries et d’outils métalliques d’usage agricole dans les tombes de la nécropole de Khourvin. Contrairement à plusieurs sites archéologiques de la même période, les armes découvertes à Khourvin sont considérablement moins nombreuses.
Les poteries de Khourvin ont des points communs avec celles d’autres sites datant de la même période, qu’ils soient géographiquement proches ou lointains. La forme de ces poteries rappelle par exemple celle des objets en terre cuite d’Amlesh ou de Mârlik (Guilân). Selon les archéologues, les objets de bronze de Khourvin ont une ressemblance indéniable avec les objets en bronze du Lorestân. Tous ces sites appartiennent au même horizon culturel que le site de Khourvin. Ainsi, l’archéologie moderne est capable de proposer les modèles des grands mouvements migratoires ou du déplacement des peuples de différents groupes ethniques sur le plateau iranien.
De ce point de vue, Khourvin constitue un maillon de la chaîne culturelle de la fin de l’âge du bronze et du début de l’âge du fer dans un vaste territoire qui s’étend du sud de la chaîne des montagnes d’Alborz (la plaine de Téhéran, la plaine de Qom, et plus au sud jusqu’à la célèbre colline de Sialk) à Qara Tappeh (Ghazvin) et même beaucoup plus loin jusqu’à la colline de Hassanlou (Azerbaïdjan de l’Ouest).
Ces découvertes permettent aux spécialistes de la préhistoire et de la protohistoire de l’Iran de présenter un paysage plus clair des grandes évolutions culturelles et technologiques d’une période qui coïncidait avec la grande immigration des populations aryennes au début de l’âge du fer.
En 1948, Yolande Wolfarius - qui avait alors 34 ans - épouse un jeune médecin iranien, Abbâs Maleki, spécialisé en radiologie. Le couple s’installe à Téhéran. Alors que le professeur Maleki fait une carrière de médecin universitaire, son épouse Yolande Maleki-Wolfcarius se passionne pour l’histoire de son pays d’adoption, et en particulier pour les vestiges archéologiques. Les antiquités étant en vente, à l’époque, sur un marché officieux, elle se met à acheter des pièces d’antiquité pour commencer sa collection.
Après la découverte des pièces provenant de Khourvin, Yolande Maleki commence à en acheter à Téhéran, et se rend aussi sur place pour collecter les pièces du site de Khourvin. Le professeur Roman Ghirshman [3], qui est à l’époque en mission archéologique à Suse, témoigne dans son livre intitulé Perse : Proto-Iraniens, Mèdes, Achéménides (1961) avoir vu une collection de pièces archéologiques de Khourvin chez les Maleki à Téhéran.
En 1965, après un séjour de 17-18 ans en Iran, les Maleki décident de quitter le pays et de s’installer en Belgique. Le couple, qui ne veut pas se séparer de sa collection d’antiquités, emballe les poteries et les autres pièces dans dix caisses qu’ils expédient vers Bruxelles. Sachant « peut-être » qu’il était interdit, selon les lois iraniennes, de sortir de tels objets du territoire national sans autorisation officielle des autorités, ils profitent du déménagement d’un diplomate belge en poste à Téhéran pour expédier ces caisses vers la Belgique. Elles quittent donc l’Iran par la voie diplomatique. Or, il faut alors un document de sortie des autorités iraniennes pour des pièces archéologiques. Mme Wolfcarius dira plus tard n’avoir pas retrouvé ces documents dans les papiers que lui a laissés son défunt mari, décédé avant la Révolution islamique de 1979. Mais pour le gouvernement iranien, les choses sont claires : la sortie a été réalisée de façon illicite et sous le couvert diplomatique. Les caisses sont acheminées à Bruxelles et placées dans les réserves du musée du Cinquantenaire, en tant que propriété personnelle de Mme Maleki-Wolfcarius.
La presse belge en 1988 : « Un mot à propos de ce diplomate-transporteur, M. Albert Mariën, qui fut traduit en correctionnelle en même temps que sa femme Emma Fannes et son fils Johan à Louvain en juin 1976 sous la prévention d’escroquerie. Si M. Mariën fut acquitté, sa femme fut condamnée à un an et son fils à trois ans. Parmi les victimes du club d’investissement créé par la famille Mariën, on trouvait curieusement Mme Yolande Maleki-Wolfcarius, qui aurait vu s’envoler en fumée plus de dix millions de francs belges. (…) Le nouveau gouvernement iranien découvre dans une correspondance des fonctionnaires du Shâh, que ceux-ci avaient posé des questions à propos de la collection Maleki, à la suite du scandale Mariën. Rien que des questions. Sans suite. » [4]
En 1981, deux ans après la victoire de la Révolution islamique, le gouvernement iranien est informé qu’une collection de pièces d’antiquité iranienne, sortie illégalement du pays, est exposée dans un musée de la ville belge de Gand. Au début de l’été 1982, le gouvernement iranien porte plainte auprès du tribunal de Gand contre Mme Yolande Wolfcarius, Française d’origine belge et veuve du médecin iranien, le professeur Abbâs Maleki, pour avoir sorti illégalement ces objets d’Iran, et demande que la justice belge ordonne le retour de cette collection archéologique vers l’Iran. Cette collection d’ustensiles et objets divers (dix caisses) provenant partiellement des fouilles de la nécropole de Khourvin avait été exposée dans un musée de Gand en tant que collection personnelle de Mme Maleki. En septembre 1982, le tribunal de Gand ordonne la confiscation des pièces, mais Mme Maleki-Wolfcarius proteste contre le verdict. Finalement, le juge décide que les caisses soient transférées dans les réserves du musée du Cinquantenaire à Bruxelles jusqu’à la fin du procès sur la propriété des pièces de Khourvin.
En 1998, la justice belge rejette la requête du gouvernement iranien et reconnaît la propriété de la collection des pièces archéologiques de Khourvin aux héritiers de Mme Maleki, décédée quelques années auparavant. Le gouvernement iranien renouvelle sa requête auprès de la cour d’appel de Liège qui finit par rejeter la demande de la restitution de la collection de Khourvin dans son pays d’origine. Cependant, le gouvernement iranien n’abandonne pas l’affaire, et envoie à la justice belge les documents prouvant l’illégalité de la possession des biens culturels iraniens par les héritiers de la défunte Mme Maleki.
En 2012, l’Organisation iranienne du patrimoine culturel porte plainte contre le verdict de la cour d’appel de Liège auprès de la Cour suprême de Belgique. Les séances d’audition ont lieu en octobre 2013, et la Cour suprême annule finalement le verdict de la cour d’appel. En novembre 2014, elle rejette la propriété des héritiers de Mme Maleki sur la collection de Khourvin, et ordonne au musée du Cinquantenaire de restituer les 349 pièces de la collection à l’ambassade de la République islamique d’Iran à Bruxelles. Le 25 décembre 2014, l’Organisation nationale du patrimoine culturel transfère la collection de Khourvin à Téhéran.
L’affaire de la collection de Khourvin, qui était l’un des plus anciens dossiers de restitution de biens culturels, a été finalement classée entre l’Iran et la Belgique. On convient ici que les cas similaires ne manquent pas : l’Allemagne qui refusait pendant longtemps la demande de la Turquie de restituer le « Sphinx de Bogazkِy » accepte en 2011 de le rendre. Mais depuis décembre 2014, la querelle s’envenime entre Athènes et Londres au sujet de la très ancienne demande de restitution des célèbres « Marbres du Parthénon ».
Dernier mot : « Un Etat qui a perdu des biens culturels d’une importance fondamentale et qui en demande la restitution ou le retour dans des cas ne relevant pas des Conventions internationales peut faire appel au Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale. » (UNESCO)
[1] Louis Vanden Berghe (1923-1993) est un archéologue, historien de l’art et iranologue belge.
[2] L’âge du fer, en tant que période chronologique, a des limites et des datations variées en fonction des aires culturelles et géographiques différentes. Ainsi, l’âge de fer peut être attribué à la protohistoire pour le monde iranien, et à l’Histoire pour la civilisation égyptienne. L’âge du fer débute vers 2600 av. J.-C. en Afrique, vers 1100 av. J.-C. dans le monde méditerranéen et vers 800 à 700 av. J.-C. dans le nord de l’Europe.
[3] Roman Ghirshman (1895-1979) est un archéologue, explorateur et historien français.
[4] Guido Van Damme, "Tribunal civil de Bruxelles : L’Iran voudrait bien récupérer des objets d’art", in : Le Soir, mardi 4 octobre 1988.