Bibi Maryam

L’histoire de toute ethnie ou peuple est liée à ses grandes figures qui ont joué un rôle de premier plan dans les différents événements qu’ils ont vécus. Ces héros/héroïnes sont souvent porteurs de valeurs comme la bravoure, le sacrifice, la générosité… et sont de ce fait honorés par les populations au travers des siècles. C’est le cas de la tribu bakhtiârie qui fut le berceau de grandes personnalités dont les noms figurent dans l’histoire de la tribu et même de l’Iran. Nous allons ici donner un bref aperçu sur la vie et les activités de la plus grande figure féminine bakhtiârie : Bibi Maryam Bakhtiâri [1].

Fille de Hossein Gholi Khân Bakhtiâri [2] et mère de Shir Alimerdoun [3], Bibi Maryam naquit en 1878 à Djouneghân [4] dans la province de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri. Elle est une des rares combattantes qui se consacra à la lutte contre le despotisme de son temps. Ses activités politiques comprennent également le combat contre la politique coloniale britannique en Iran. Au cours de la Première Guerre mondiale, Bi Maryam prend le parti des Allemands et organise une résistance face à toute invasion anglaise et russe. Selon les documents historiques, elle donne même asile à une légion allemande poursuivie par les forces britanniques. En 1918, dans la région de Tirân et Karvan près d’Ispahan, un combat direct éclate entre les forces bakhtiâries et les forces britanniques qui veulent capturer la légion allemande. Les forces de Bi Maryam arrivent à vaincre les troupes ennemies. Les membres de la légion allemande restent quelques jours auprès de Bi Maryam, avant de franchir la frontière turque pour se rendre ensuite à Berlin. Suite à cet héroïsme, Bi Maryam reçoit « la Croix de fer » [5] de la part de l’empereur allemand Guillaume II ; elle est la seule figure féminine à recevoir alors cette médaille.

Bi Maryam fait aussi partie des femmes éduquées de son temps qui ont eu un rôle actif durant la Révolution constitutionnelle iranienne. Elle accompagne son frère, Sardâr As’ad Bakhtiâri [6] au cours de l’opération visant à la conquête de Téhéran. Au début de XXe siècle, l’Iran fait face à une intervention croissante des étrangers à la cour, entraînant une hostilité croissante de la population vis-à-vis de la dynastie qâdjâre. On voit alors l’apparition d’une coalition antiétatique aboutissant à la Révolution constitutionnelle au sein de laquelle les Bakhtiâris ont un rôle central. Bi Maryam, qui combat aux côtés de son frère, son mari [7] et son fils, est au nombre des défendeurs de la Constitution. Quelques jours avant l’arrivée des troupes bakhtiâries à Téhéran, elle s’y rend accompagnée de certains combattants pour s’installer chez Hossein Saghafi [8] sur la place Bahârestân. Elle y fait préparer l’une des barricades des troupes bakhtiâries. Le jour de l’invasion des Bakhtiâris à Téhéran, elle participe elle-même aux combats contre les Ghazzâghs (Cosaques) [9] qui subissent une importante défaite. Etant donné le courage dont elle fait preuve au cours de cette conquête, Bi Maryam acquiert très vite une grande popularité auprès de la population et en particulier chez les Bakhtiâris. Dès lors, on la connaît sous le nom de Sardâr [10] Maryam Bakhtiâri.

Selon les documents historiques, pendant longtemps, de nombreuses personnalités politiques et culturelles poursuivies par les agents gouvernementaux se sont réfugiées chez Bi Maryam. On peut par exemple citer le nom de Dehkhodâ [11] , Malek-ol-Sho’arâ Bahâr [12] et Vahid Dastjerdi [13]. A ce propos, dans une introduction détaillée qu’il apporte au Recueil poétique de Pejmân Bakhtiâri, Hossein Bâstâni Pârizi [14] [15] écrit : « …cette région (Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri) est également le lieu de naissance d’une femme qui a joué un rôle actif dans l’histoire contemporaine de notre pays. Il s’agit de Sardâr Maryam Bakhtiâri dont l’habitation était un abri pour les réfugiés politiques de son temps… ».

Durant toute sa vie, Bi Maryam a donné une grande partie de ses biens sous forme de Fondations pieuses (waghf). Elle a ainsi dépensé sa richesse pour la liberté et l’autonomie de sa patrie aussi bien que pour la lutte contre le despotisme. Elle a quitté ce monde en 1937, trois ans après la mort de son fils en martyr. Avant sa mort, elle est parvenue à achever son autobiographie qui a été publiée sous le nom des Souvenirs de Sardâr Maryam Bakhtiâri. Cet ouvrage de 196 pages, publié en 2003 aux éditions Anzân à Téhéran, retrace la vie de son auteur de son enfance au début de la Constitution.

Bibliographie :
- Akâsheh, Eskandar, Târikh-e il-e bakhtiâri (Histoire de la tribu bakhtiârie), Téhéran, Farhangsarâ, 1986.
- Alizâdeh, Mostafâ, Hamâseh-ye Zâgros (Epopée du Zagros), Téhéran, Sarv-e tchamân, 2008.
- Goli Zavâreh, Gholâm Rezâ, Simâ-ye Tchahâr Mahâl va Bakhtiâri (Visage de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri), Téhéran, Sâzmân-e Tablighât-e Eslâmi, 1998.

Notes

[1Le mot « Bibi » est une appellation employée à propos d’une vieille femme sage ; dans le dialecte bakhtiâri ce mot est prononcé « Bi ».

[2Dans les textes historiques, Hossein Gholi Khân Ilkhâni (1821-1882) est surtout présenté comme étant l’un des gouverneurs les plus puissants de la tribu bakhtiârie. A 24 ans et après avoir établi des relations intimes avec Mo’tamed-ol Doleh Armani (le gouverneur d’Ispahan), il fut désigné au gouvernement de la région bakhtiârie. Il réussit à se faire suivre par toutes les tribus et devint de plus en plus puissant. En 1867, il se voit conférer le titre de « Ilkhâni » par le roi Nâssereddin Shâh. Petit à petit, et étant donné son pouvoir incontesté dans l’ouest du pays, il est considéré comme une menace pour le gouvernement central. Il est de ce fait assassiné sur ordre du roi.

[3Alimardân Khân bakhtiâri, surnommé Shir Alimerdoun, est un homme politique, chef de la tribu Tchahâr lang. Il regroupe toutes les tribus et mène un long combat armé (1929-1934) contre le despotisme de Rezâ Shâh (fondateur de la dynastie pahlavie). Grâce à son héroïsme, il reste un symbole de résistance et de bravoure chez les Bakhtiâris. De nombreux poèmes et chansons ont été composés en l’honneur de cette personnalité nationale. En 1934, les troupes bakhtiâries subissent une importante défaite suite à laquelle Shir Alimerdoun est capturé par les forces gouvernementales et transporté à Téhéran. Quelques jours plus tard, il est exécuté dans la prison de Ghasr.

[4Village situé à 43 km de Shahrekord, chef-lieu de la province. Il abrite entre autres la forteresse de Sardâr As’ad Bakhtiâri (Ghal’eh-ye Sardâr As’ad) considérée comme étant l’une des habitations de la famille de Bi Maryam.

[5« Eisernes Kreuz » est une médaille de mérite venant récompenser un honneur militaire, et fut créée en 1813 en Allemagne.

[6Sardâr As’ad (1857-1917) est un révolutionnaire et un homme politique, chef de la tribu Haft lang. Il fut durant une courte période ministre de l’Intérieur puis ministre de la Guerre. Il parlait couramment le français et l’arabe. La pensée révolutionnaire de Sardâr As’ad s’approfondit à la suite d’un long séjour à Paris où il s’imprègne de la pensée libérale et moderniste. En juillet 1909, sous son commandement, les troupes bakhtiâries parviennent à conquérir la capitale. Le roi Mohammad-Ali Shâh est contraint de quitter le pays pour se réfugier en Russie. La conquête de Téhéran par les Bakhtiâris ouvre une nouvelle phase dans la Révolution constitutionnelle iranienne.

[7Ebrâhim Khân Zarghâmol Saltaneh (1856-1919) est un homme politique qui fut le commandant des forces bakhtiâries au cours de la conquête de Téhéran.

[8Un combattant défendeur de la Constitution.

[9Les militaires gouvernementaux.

[10Terme militaire signifiant « commandant d’une armée ».

[11Ali-Akbar Dehkhodâ (1878-1955) est un homme politique, lexicographe et spécialiste de langue. Il est surtout connu pour son œuvre lexique volumineuse Loghatnâmeh Dehkhodâ.

[12Mohammad-Taghi Bahâr (1886-1951), surnommé Malek-ol-Sho’arâ (le roi des poètes), poète, professeur à l’Université de Téhéran, journaliste et politicien. Il est surtout connu pour ses odes (ghasideh) relatant minutieusement l’histoire de l’Iran.

[13Mohammad-Hassan Vahid Dastjerdi (1879-1943), écrivain, journaliste et correcteur des textes anciens.

[14Historien, chercheur et écrivain contemporain (1925-2014).

[15Poète contemporain (1900-1974) ; voir aussi notre article « Hossein Pejmân bakhtiâri, poète contemporain classique » publié in La Revue de Téhéran, n° 71, octobre 2011, consultable sur : Visites: 923


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