N° 31, juin 2008

Le groupe Nour, voix et lumière


Mireille Ferreira


Christophe Rezaï est le fondateur de l’ensemble musical Nour, composé de neuf chanteurs et musiciens iraniens et français. Né à Toulouse de père iranien et de mère française, il vit à Téhéran depuis 1994. Il a débuté ses études musicales à Téhéran où il a commencé le piano et les a poursuivies en France. Cette double filiation culturelle lui a depuis longtemps donné envie de croiser les musiques européenne et persane et entre autres la musique médiévale et la musique traditionnelle persane. Musicien vivant en Iran, il est imprégné de la musique persane, qu’il qualifie d’étrange et de fabuleusement belle. C’est sur cette idée qu’est né l’ensemble Nour, en l’an 2000.

Chanter dans les églises

Christophe avait tout d’abord constitué à Téhéran un quintette vocal composé de chanteurs iraniens. Ce quintette a travaillé pendant plusieurs années sur un répertoire de polyphonies à cinq voix des XVe, XVIe et XVIIe siècles, qu’il affectionne particulièrement. Après un certain succès, le quintette a voulu enregistrer son travail en utilisant l’acoustique des églises. Deux membres du groupe voulant partir étudier en Autriche, le moment était bien choisi de concrétiser le travail commun avant la séparation. A Téhéran, aucun lieu ne se prêtait à ce projet, d’où l’idée d’aller chanter dans les églises arméniennes et assyriennes du nord-ouest de l’Iran et de réaliser un film documentaire de cette aventure. La rencontre avec un producteur français, lié à la chaîne de télévision franco-allemande Arte et venu à Téhéran dans le cadre du festival Fadjr, a permis de concrétiser cette idée et la réalisation a été confiée à Bahman Kiarostami [1]. Un accord a été trouvé avec Arte qui a accepté de coproduire le film. Peu de temps avant le tournage, deux des musiciens ont souhaité quitter le groupe. C’est alors que Christophe a pensé faire venir deux musiciens français. Outre le fait qu’il ne connaissait pas d’autres chanteurs iraniens, cette idée des chants européens exécutés dans des sites iraniens lui plaisait. Au cours d’un voyage en France, il a rencontré Jasmin Martorell, qui est devenu professeur et répétiteur de chant de l’ensemble et qui lui a présenté Pierre Baranger, professeur de flûte au conservatoire d’Orléans. Pierre s’est remis au chant qu’il ne pratiquait plus depuis plusieurs années. Un des chanteurs iraniens qui avait décidé de quitter le groupe a finalement accepté de le rejoindre.

Le projet a pris un an et demi pour aboutir, le groupe a dû se réunir trois fois en Iran pour répéter avant le tournage final. La première fois fut en septembre 2001, un concert ayant été organisé le soir du 11 septembre. Prévenus de la catastrophe alors qu’ils se préparaient à entrer en scène, ce n’est qu’après le concert que les chanteurs réalisèrent la gravité de l’événement. Ensuite le groupe s’est réuni en Iran deux fois en janvier 2002 puis un mois en avril 2003 pour le tournage.

Le film, d’une durée de 42 mn, tourné dans six églises d’une rare beauté, dont Saint Thaddeus et Saint Stephanos, près de Jolfa, a été diffusé dans le cadre de la série Maestro et s’intitule "Nour, voix et lumière dans les églises d’Iran". Le nom du groupe, référence à la lumière des cathédrales et des églises d’Europe dont l’architecture capte et dirige la lumière vers un point central, était déjà dans le titre du film [2]. Ce nom est porteur de tout un symbolisme spirituel et religieux.

Alba

Indépendamment du répertoire chanté dans les églises iraniennes d’Azerbaïdjan, Christophe avait écrit une pièce, Alba, mélange de polyphonie européenne sur un texte d’un troubadour occitan et d’un poème de Hâfez, qui devait être interprété par un chanteur iranien. Il avait engagé Mostafâ Mahmoudi chanteur des pièces de théatre de Pari Sâberi dont il avait entendu la voix au cours d’une représentation d’Antigone. C’était pour le groupe la première expérience musicale de mélange orient-occident.

Un mois après le tournage dans les églises arméniennes, Hamid Khosroshâhi, Rezâ Asgharzâdeh et Mostafâ Mahmoudi, trois chanteurs iraniens faisant partie aujourd’hui du groupe Nour, se sont réunis à Téhéran et Mostafa a commencé à improviser en Persan sur Uterus hodie, l’une des pièces que le quintette avait chanté dans les églises. Ils se sont aperçus alors que les modalités du chant grégorien du moyen-âge européen pouvaient être proches de celles du répertoire traditionnel iranien.

C’est sur ces bases qu’a été créé Alba, le premier album de Nour, enregistré en septembre 2004 dans le Palais sassanide du roi Ardeshir Bâbakân, situé à Firouz Abâd au Sud de Shiraz. [3]

Ce premier album, édité par Hermes Records, a eu un succès inattendu pour ce type de musique qui intéresse généralement un public très restreint. Il a été vendu à plus de 8000 exemplaires. La première édition de 4000 exemplaires fut écoulée au bout de sept mois.

Le deuxième album du groupe Nour

Devant ce succès, le groupe Nour a réitéré et vient d’enregistrer un deuxième album qui devrait être diffusé à partir de septembre prochain.

Ont participé à cet enregistrement :

Jasmin Martorell : conseiller et préparateur vocal

Christophe Rezaï : Ténor, harmonium

Pierre Baranger : Ténor

Mostafâ Mahmoudi : Chant persan

Hamid Khosroshâhi : Basse

Rezâ Asgharzâdeh : Flute à bec, duduk, paku

Pierre Yves Binard : Baryton

Sabâ Alizâdeh : Kamancheh

Ali Boustân : Oud et Shouranguiz

Ali Rahimi : Daf, Tombak

Invités :

Nimâ Alizâdeh : Robab

Habib Meftah Boushehri : Dammam

Il a eu pour cadre le hammam Ali Gholi Aghâ d’Ispahan, sans doute le plus grand et le plus beau d’Iran. Encore utilisé dans ses fonctions initiales il y a quinze ans, il a été transformé en musée. Sur le plan technique, la prise de son a été confiée à Rezâ Asgharzâdeh, joueur de doudouk. Il fut accompagné d’un assistant qui surveillait la prise de son. Manière simple pour restituer la réalité du jeu de Nour.

Le groupe Nour

Pourquoi avoir choisi ce lieu, certes exceptionnel, mais qui oblige à faire la chasse au moindre bruit parasite, à interrompre l’enregistrement à tout moment quand un motocycliste a la mauvaise idée d’emprunter la rue proche sur une moto pétaradante, à faire chauffer le daf devant un radiateur électrique pour lui redonner toute sa sonorité, à éteindre les lumières halogènes qui parasitent le silence qui doit être d’or pour une opération aussi délicate ?

Réponse de Christophe Rezaï : "L’enregistrement d’Alba, réalisé dans un monument historique, nous a laissé un excellent souvenir, en particulier par la chaleur de l’accueil de nos hôtes. Bien sûr, les conditions n’étaient pas toujours optimales. Le vent s’engouffrait chaque jour de 13 à 17 heures par les quatre fenêtres, nous étions gênés par le bruit et la poussière. Le soir, une chouette se mettait à ululer dès que nous commencions à chanter. Malgré tout, nous avons réussi à boucler l’enregistrement en trois jours."

"Exaltés par cette expérience de relation avec le lieu, il était pour nous important d’enregistrer en direct. D’un point de vue éthique, il nous est impossible d’utiliser un studio. Ici, l’acoustique est très réverbérante. D’évidence, le lieu d’interprétation a une influence énorme sur les compositeurs au moment où ils conçoivent leur musique. Si le lieu est chargé d’un passé historique intéressant, c’est pour nous encore plus exaltant. L’idée a commencé avec les églises d’Azerbaïdjan. C’est une occasion pour les musiciens français de découvrir l’Iran dans des lieux splendides comme celui-là. Puis, j’aime trouver un lien avec notre musique, le hammam est un lieu de passage, de rencontre, de mélange, d’échanges et de dialogue comme l’est notre musique. Devenu musée, il est resté ce même lieu de rencontre et d’échanges. Sa lumière, intéressante, a un rapport avec le nom de notre groupe."

Alba s’est basé sur le chant grégorien, des Cantigas espanolas et sur des arrangements plus modernes. Les textes sont en galicéo-portugais, une langue qui n’est plus parlée, mélange de galicien et de portugais, en kurde et en persan basé sur des poésies de Mowlana.

Ce nouvel album est composé exclusivement de Cantigas espanolas. L’idée de croiser la musique médiévale avec la musique persane vient du fait qu’au Moyen-âge en Europe, la musique n’est pas encore écrite. Avec le chant grégorien, c’est le début de l’écriture. On peut imaginer que c’était une musique encore orale, comme l’est la musique iranienne. Même si elle est écrite depuis environ 60 ans, elle se transmet encore oralement. Donc une musique plutôt mélodique, sans trop de constructions intérieures, d’une complexité harmonique. C’était aussi une musique modale comme l’est encore aujourd’hui la musique traditionnelle persane. Comme celle-ci, elle était populaire, inspirée par la vie de tous les jours et par les musiques folkloriques de tout l’Iran, soit au niveau rythmique, soit au niveau mélodique. Ce sont ces trois points communs qui ont poussé Nour à mélanger la musique du moyen-âge à la musique persane.

Les deux sources du répertoire de Nour sont, d’une part, tout ce qui peut exister en latin au niveau chants grégoriens ou écoles des musiques françaises des XIe, XIIe et XIIIe siècles, l’Ecole St Martial de Limoges par exemple, des conductus, morceaux à deux ou trois voix et, d’autre part, un recueil de chants espagnols intéressants à étudier et à utiliser, les Cantigas des Santa Maria, chants à la Vierge Marie. Il s’agit d’un recueil de 400 mélodies datant du XIIIe siècle, recueillis par le roi d’Espagne Alphonse X, dit Le sage, qui était un érudit. Il a dépensé beaucoup d’énergie à recueillir ces chants, à les écrire, et à les décorer d’enluminures. Deux ou trois manuscrits originaux existent encore.

De nombreux musiciens ont travaillé sur ce répertoire.

C’est l’époque où juifs, chrétiens et musulmans vivaient encore ensemble, juste avant que les communautés juives et musulmanes ne soient chassées d’Europe. C’était aussi l’époque des échanges commerciaux, le début de la route de la soie et de la route des épices, une période d’échanges plus profonds sans doute que ceux que l’on connaît aujourd’hui. La longueur des voyages faisait que les gens restaient longtemps dans les pays qu’ils traversaient, ce qui leur permettait de s’inspirer des autres cultures. L’idée qui s’est développée petit à petit dans le groupe Nour, en dehors du côté musical de notre répertoire, c’est aussi de trouver des rapprochements, des points communs, avec dans la tête de chacun une idée de dialogue, de paix, de fraternité, de rencontre, l’idée de montrer que finalement, on n’est pas très différent et plutôt que de parler des différences, de montrer les ressemblances. Ce que dit le groupe Nour, c’est que nous faisons partie d’un passé qui est d’un côté européen avec la musique médiévale et de l’autre côté iranien avec la musique iranienne, une espèce de lien avec le passé, avec les traditions que nous ne pouvons gommer."

Pierre Baranger ajoute : "Nous continuons en fin de compte tout ce qu’a toujours été la musique. Par exemple, l’époque dont parle Christophe a continué jusqu’au XVIIe siècle. L’Europe musicale existe depuis bien longtemps. Les musiciens classiques ont toujours vécu avec l’Europe dans leur tête, pour eux toutes les villes européennes étaient proches. Qu’ils soient à Prague, Moscou ou Téhéran, pour les musiciens, le concept de frontière est inconnu. Nous sommes les porte-paroles d’un savoir-faire qui nous a été transmis."

Un répertoire pour voix d’hommes

Avant de constituer le quintette vocal iranien, qui est devenu ensuite franco-iranien pour le film, Christophe avait constitué l’ensemble Aria musica qui se consacrait à la musique baroque, postérieure au Moyen-âge et à la Renaissance. Pour cela, il avait eu l’opportunité d’inviter trois musiciens français, Hélène Houzel au violon baroque, Emmanuelle Guigue à la viole de gambe et Bruno Procopio, claveciniste brésilien vivant en France. Des concerts avaient été donnés à Téhéran à la salle Roudaki, au centre culturel Niâvarân, au centre culturel grec de Téhéran, avec ces trois musiciens plus Rezâ Asgharzdâeh à la flûte à bec, Christophe au chant.

Le groupe Nour

Emmanuelle Guigue avait été séduite par l’Iran, elle avait appris le persan à l’Institut des Langues Orientales à Paris, la pratique du Kamancheh, et est revenue plusieurs fois en Iran pour participer au film d’Arte. Le budget était bouclé, il fut difficile de lui trouver une fonction dans le groupe mais finalement on a pu l’intégrer en tant que conseiller artistique du film. Elle improvisa à la viole de gambe. Quelques concerts de pièces médiévales avec viole de gambe, oud, doudouk, percussions et chants ont été donnés au Shahr-e ketab (book city) sur l’avenue Hâfez. Puis Emmanuelle a quitté le groupe.

Par ailleurs, Christophe avait déjà essayé de faire un groupe avec des voix de femmes, mais cela n’avait pas bien fonctionné, les répétitions s’organisaient difficilement, les jeunes filles voulant avoir l’autorisation de leurs parents. Ce n’est pas le fait que les femmes ne puissent pas chanter en solistes, mais le climat social, traditionnel, culturel de l’Iran rend les choses difficiles pour les groupes mixtes. Des chanteurs corses, venus à Téhéran, avaient suscité ce désir de créer un quintette vocal exclusivement masculin. Ce répertoire a donc été choisi et pour toutes ces raisons, le groupe fut constitué finalement de cinq hommes.

On est en 2003 et le groupe commence à travailler avec Mostafa. Christophe lui jouait une mélodie du moyen-âge et il cherchait des mélodies folkloriques du Kurdistan qui pouvaient correspondre à cette mélodie-là. Ce côté vocal a été ouvert à des instruments qui ont été choisis selon leur fonction musicale : le kamancheh instrument à corde frottée, le oud ou le setar, instrument à corde pincée, le doudouk, ou la flûte à bec pour le côté européen, en tant qu’instrument à vent, et une percussion. C’est l’idée minimale qui a présidé à la recherche des musiciens.

L’organisation du groupe Nour

Les musiciens de Nour ont tous des activités parallèles à leurs travaux communs. Ils sont professeur de chant ou de musique, graphiste ou photographe et font partie d’autres groupes musicaux, et participent à des concerts en dehors du groupe. Du fait de leur éloignement, les uns en France, les autres en Iran, ils ne se rencontrent qu’à l’occasion des concerts et des enregistrements de Nour.

Ils tiennent beaucoup à cette indépendance car ils pensent qu’ainsi il n’y a pas d’usure dans leurs relations. Cela préserve le côté exceptionnel de leurs rencontres et participe pour beaucoup, selon eux, à la continuité du groupe.

Leurs déplacements sont financés par des concerts, la recette permettant de payer les musiciens et les frais du voyage. Quand les Français viennent en Iran, ils organisent des stages dans le domaine du chant avec Jasmin Martorell et Pierre-Yves Binard, un binôme qui fonctionne bien depuis longtemps et des master classes de flûte avec Pierre Baranger. En général, les étudiants iraniens sont curieux de la culture occidentale. Certains ont pu intégrer le conservatoire de chant de Toulouse, et celui d’Orléans pour la flûte, le piano et le chant, à la grande satisfaction de leurs maîtres.

Malgré les emplois du temps chargés des uns et des autres, le groupe parvient à se réunir en moyenne tous les cinq mois. En Septembre 2004 ils étaient à Firouz Abâd, en Février 2007 à Téhéran pour des répétitions et des stages, en juillet 2007 en concert à la salle Vahdat de Téhéran, en novembre 2007 en tournée européenne, en mars 2008 pour le nouvel enregistrement.

En moyenne Nour organise trois ou quatre concerts par an à l’étranger, ce qui donne le temps de travailler entre temps.

Pour 2008, des concerts sont programmés en juillet en France, en octobre en Corée du sud et en novembre en Autriche. En 2009, un concert est programmé en février en Belgique.

Notes

[1Fils d’Abbas Kiarostami

[2Nour signifie Lumière en persan.

[3Un concert avait réuni pour la première fois l’ensemble Nour au Forum des Images à Paris, dans le cadre de la « Nuit blanche » en octobre 2003.


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1 Message

  • Le groupe Nour, voix et lumière 19 juin 2012 00:28, par Pierrain Veronique

    J’ai eu la très grande chance d’assister à un concert du groupe Nour à Fès lors du Festival de musiques sacrées .
    Cela faisait logtemps que je n’avais connu un aussi grand bonheur musical, aussi fort et intense. Il semble en avoir été de même pour toute l’assistance, nous ne voulions plus laisser partir ces "pourvoyeurs" de bonheur !

    Encore un grand merci à eux

    véronique

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