Depuis le rayonnement de la civilisation Islamique en Perse, la ville sainte de Qom a toujours été un centre religieux rassemblant de grands érudits et accueillant de nombreux pèlerins. Selon le sixième Imam chiite, Djafar Sâdiq, "Qom est le berceau des érudits, et sa population est constamment prosternée et occupée à prier." Il soulignait ainsi dès cette époque l’enracinement profond de la croyance et de la dévotion de ses habitants. Cherchant à éclaircir leurs esprits et trouver des réponses à leurs interrogations, les visiteurs allaient souvent voir les "sources d’imitation" (marja’-e taqlid), grands savants en science religieuse, tout en n’accordant que peu d’importance aux forces gouvernantes et au pouvoir temporel de manière général. En effet, les Douze Imams du chiisme duodécimain sont considérés comme infaillibles et sont, pour leurs fidèles, les guides de la communauté, les vrais détenteurs du pouvoir spirituel et temporel. C’est pourquoi, les califes et rois furent considérés par les chiites comme des chefs injustes voire des oppresseurs.

L’un des hommes de science et théologien éminents de cette ville fut Abû Jâfâr Mohammed ibn Ali ibn Moussa ibn Babawya al-Khorâsâni ar-Râzi surnommé populairement "Sheikh Sadough". Né en 306 ou 307 de l’Hégire à Qom, sa famille était connue pour son érudition, et Ali bin Hossein bin Moussa bin Babawya bin Qomi, le père de Sheikh Sadough, était une grande autorité religieuse de l’époque. Doté d’une excellente mémoire et d’une capacité à apprendre unique, Sheikh Sadough provoqua la stupéfaction de ses précepteurs dès le début de ses études. Il suffisait notamment qu’il écoute une fois un discours ou récit, quelle qu’en soit la longueur, pour qu’il le retienne dans ses moindres détails. Outre ce trait distinctif, il était également connu pour son honnêteté et sa droiture, ce qui lui valut le surnom de "Sheikh Sadough", signifiant "le plus honnête".

Sa famille ne possédait qu’une petite maison située près du bazar de Qom, et menait une vie très simple. A leur grand désespoir, ses parents ne purent avoir d’enfant durant de nombreuses années. Nous étions alors à l’époque de la première occultation du dernier Imam chiite, durant laquelle les gens consultaient fréquemment ses représentants accrédités pour trouver des réponses à leurs interrogations. Ainsi, selon les doctrines chiites, le Douzième Imam entra en occultation en 874 ; il vivait alors caché tout en continuant dans un premier temps à communiquer ses dogmes et prescriptions aux fidèles par l’intermédiaire de quatre "agents". Cette période fut surnommée "l’occultation mineure". Abd al-Ghâssem Hossein ibn Rooh Nobakhti était alors le troisième représentant de l’Imam à l’époque où vivait Ibn Babawya. Au cours d’un voyage à Bagdad, ville de résidence de Nobakhti, Ibn Babawya était parvenu à le rencontrer et eut avec lui un long entretien qui donna naissance à une profonde amitié entre les deux hommes. Quelques temps plus tard, il rédigea une lettre à l’Imam caché dans laquelle il l’implorait de prier Dieu afin qu’il lui fasse le don d’un enfant vertueux. Cette lettre fut ensuite confiée à Nobakhti qui assura l’auteur d’obtenir la réponse en trois jours. A la fin de cette échéance, la réponse fut remise à Ibn Babawya. Selon les documents historiques retrouvés, la réponse de l’Imam indiquait que Ibn Babawya n’aurait pas de descendant de sa première épouse, en revanche, la seconde alliance qu’il allait conclure avec une servante Délimite lui donnerait deux garçons qui seraient une source de bienfaits et de bénédiction pour tout le peuple. L’Imam avait par ailleurs choisi leurs prénoms ; baptisant l’un Mohamed et l’autre Hossein. La lettre s’achevait par des prières demandant à Dieu que ses enfants lui apportent de nombreux bienfaits spirituels et matériels.

L’un des événements majeurs de l’époque de Sheikh Sadough fut l’émergence de l’empire bouyide (932-1055 de l’ère chrétienne). Cette dynastie chiite d’origine Perse régna sur un vaste territoire s’étendant de la Perse de l’époque à Bagdad et jusqu’à la frontière syrienne. Créant un nouvel ensemble territorial, les Bouyides ne cherchèrent pas à persécuter les sunnites majoritaires ni à établir un califat chiite. Cependant, ils accueillaient librement des hommes de lettres et de science, contribuant ainsi à propager la tradition chiite fortement dénaturée depuis la mort du prophète Mohammad.

Un grand nombre de hadiths avaient été en effet falsifiés ou créés de toutes pièces entre temps. Dans la tradition chiite, les hadiths sont les paroles du prophète Mohammad et des Douze Imams Chiites rapportées et transmises par leurs contemporains, qui expliquent notamment de manière claire et explicite certains versets du Coran. Or, avec le passage du temps, il s’est alors avéré nécessaire de vérifier l’ensemble de ces paroles et de s’assurer de la fiabilité de leurs transmetteurs. C’est dans ce but que se développa progressivement la science du hadith. Composée de sources référentielles et de règles très précises, elle permet de déterminer l’origine et la fiabilité de la chaîne des transmetteurs de hadiths ainsi que leur énoncé. De nombreux savants en sciences islamiques firent preuve d’une extrême sévérité et précision dans le traitement et la classification des hadiths afin d’en établir l’authenticité et la validité. Sheikh Sadough sillonnait ainsi régulièrement divers pays et villes - de Balkh à Boukhara, de Koufa à Bagdad, de Mashhad à Neyshâbour et de la Mecque à Médine - afin de rassembler de nombreux hadiths, non sans s’exposer à de nombreux dangers. Par la suite, il regagna la ville de Rey, où on l’avait invité à s’installer après le décès de Sheikh Koleyni, le plus influent savant de la ville.

Qualifié de "mu’allim" ("maître") par ses disciples, Sheikh Sadough se distingua par l’étendue et la profondeur de ses connaissances dans de nombreuses disciplines. Dans son œuvre intitulée Al-Fehrest, Sheikh Toussi dénombre près de trois cents ouvrages écrits par Sheikh Sadough.

Sheikh Sadough rendit l’âme à l’âge de soixante-quinze ans. Il est enterré à Rey, au cimetière d’Ibn Babawya, qui est depuis devenu un lieu de pèlerinage pour de nombreux Iraniens qui viennent confier leurs prières et espérances à l’honorable Sheikh. Bien que la renommée de Sheikh Sadough fut dès son époque déjà très répandue, un événement qui se déroula en l’an 1238 de l’Hégire contribua à renforcer la piété populaire et provoqua un véritable afflux de pèlerins.

En cette année de 1238, à l’époque du règne de Fatalishâh, le dernier roi qâdjâr, de fortes pluies contribuèrent à endommager la tombe de Sheikh Sadough. Lors des travaux de restauration, plusieurs visiteurs entrevirent le cercueil dans lequel se trouvait la dépouille du Sheikh, qui était parfaitement conservée au point que le henné de ses ongles était d’une couleur éclatante comme s’il datait de la veille. La nouvelle se répandit à toute vitesse à Téhéran et Fatalishâh, qui voulait en avoir le cœur net, se rendit lui-même sur les lieux pour vérifier si les rumeurs étaient fondées, et, ayant constaté leur véracité, proclama la dépouille "saine" et en parfait état de conservation.

Bibliographie
- Al-Moghneh : études consacrées à la loi islamique.
- ’Elal al-Sharâyeh : philosophie de la législation.
- Daâëm-ol-Islam fi marefati-l-halâlé va-l-harâm : ouvrage consacré aux devoirs religieux des musulmans.
- At-Tawhid : études sur la foi et la pensée musulmanes.
- Oyûn-e Akhbâr or-Réza : hagiographie de l’imam Réza.
- Kamâl-o-Din va tamâmonehma : ouvrage consacré au douzième Imam et aux raisons de son occultation.
- Faghih-o man lâ yahzar-ohol faghih : ensemble de textes sur la jurisprudence des Douze Imams.


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