N° 31, juin 2008

Le documentaire animé, un nouveau regard sur le monde


Rokhsâreh Ghâem-Maghâmi
Traduit par

Babak Ershadi


L’expression "documentaire animé" paraît, de prime abord, associer deux concepts contradictoires. En effet, le film documentaire est défini traditionnellement comme une œuvre cinématographique objective qui colle étroitement à la réalité extérieure. Il se donne pour mission d’exprimer la vérité sans qu’il y ait de manipulation ni d’artifice. Quant à l’animation (dessin animé), elle est conçue comme une pure fiction, créée, image par image, par l’artiste, sans qu’il y en ait d’équivalent dans le monde extérieur. Par conséquent, la contradiction entre le documentaire et l’animation pourrait sembler irréductible, le premier se définissant en liaison substantielle avec le réel, la seconde étant, par définition, en rupture totale avec la réalité.

Le chercheur norvégien Gunnar Strom a cependant réussi à réduire cette contradiction existant entre l’animation et le documentaire : "Si nous examinons de près la question de l’incompatibilité entre l’animation et le documentaire, nous nous apercevons que les deux termes s’appliquent à des niveaux différents : l’animation est un terme technique relatif à une méthode de production de film ; tandis que le documentaire est une notion conceptuelle portant sur la représentation de la réalité, donc sur le contenu de l’œuvre cinématographique. Par conséquent, il serait possible théoriquement qu’un produit soit à la fois un dessin animé, du point de vue technique, et un documentaire, en ce qui concerne son contenu."

En tout état de cause, l’utilisation conjointe de l’animation et du documentaire existe, sous diverses formes, depuis les débuts de l’histoire du cinéma, mais c’est à partir des années 1980 que la production de films d’animation marqués par une approche documentaire, a connu un véritable essor. Des filières universitaires, consacrées à cet art et qui ont permis de le développer, ont été créées depuis la fin des années 1990.

Définitions

Tout d’abord, les chercheurs établissent une distinction entre "l’animation documentaire" [1] et "le documentaire animé" [2]. Dans le premier cas, l’accent est mis sur la technique de production, tandis que dans le second, c’est le contenu du produit qui prime sur la technique. Il faut souligner pourtant que la distinction n’a rien d’impératif, car une même production peut être qualifiée à la fois d’animation documentaire et/ou de documentaire animé, en fonction du regard que l’on porte sur le produit.

Paul Wells donne une définition plus précise du documentaire animé : "Le documentaire animé est un film d’animation à tendance documentaire. Plus le film d’animation opte pour une représentation réaliste des choses, en ayant recours aux usages habituels des films documentaires (utilisation d’une forme de narration propre au documentaire, présentation d’informations réelles et précises, interview avec des experts, etc.), plus il s’approche du film documentaire."

Comme l’explique ici Paul Wells, le documentaire animé peut donc avoir recours à des interviews radiophoniques, à des commentaires scientifiques et à la reproduction d’événements réels. Certaines animations documentaires utilisent ainsi la bande sonore d’interviews qu’elles fixent ensuite sur des images de dessin animé. Cela crée évidemment un effet très différent de ce que produit le mixage de la même bande sonore avec la prise de vue d’origine.

Cyanosé de Mme Rokhsâreh Ghâemmaghâmi, tourné en 2006

Il existe des animations documentaires qui montrent des personnages racontant leur vie représentée sous forme de dessin animé. Cette technique de représentation d’événements personnels ou historiques accentue un effet particulier, qui est l’approche fondamentale de tous les films d’animation : la subjectivité. Dans la plupart des cas, le documentaire animé ou l’animation documentaire prend forme lorsque la subjectivité de l’approche (élément fictif) et le contenu réaliste (élément effectif) sont réunis.

Pour mieux comprendre la notion de "tendance documentaire ", il est nécessaire de définir ce qu’est un film documentaire. John Grierson y a réfléchi. Il écrit : "Le documentaire est un traitement créatif de la réalité". Mais cette définition laisse la porte ouverte à différentes interprétations, car la notion de créativité peut être entendue de diverses façons.

Brian Winston qualifie, quant à lui, le documentaire de "revendication de la réalité", tandis que pour John Corner, le documentaire est "l’art d’enregistrer le réel". Le célèbre théoricien du cinéma documentaire, Carl Plantinga ne définit pas spécifiquement le documentaire : selon lui, il serait plutôt à considérer comme un art libre, dont la définition ne devrait pas être fixée d’avance.

Noël Carol attire notre attention sur la question délicate de "l’étiquetage" d’un film documentaire. A son avis, quand un réalisateur ou son producteur présentent un produit cinématographique comme film documentaire, cette étiquette joue un rôle déterminant dans l’esprit du public. En effet, l’étiquetage d’un film avant même sa projection publique fige les particularités de l’oeuvre et la définition qui pourrait en être faite.

Historique du documentaire animé

Le terme "Animated documentary" (documentaire animé) n’est apparu que dans les années 1990. En effet, les dessins animés marqués par une tendance documentaire, qui avaient été produits avant les années 1990, ont souvent été classés parmi les courts-métrages ou parmi les œuvres du cinéma expérimental (en raison justement de l’absence d’une définition spécifique pour ce nouveau genre).

Cependant, l’association du film d’animation et du documentaire remonte, comme nous l’avons mentionné, aux débuts du cinéma.

Sinking of the Lusitania, tourné en 1918, est en réalité le premier documentaire animé de l’histoire du septième art. Cet ouvrage de Windsor Mc Cay est, sans aucun doute, un des rares documentaires animés qui ait été consacré à l’actualité politique. Ce documentaire est construit autour de photographies d’un bateau de croisière américain, torpillé par un sous-marin allemand en 1915, avec plus de 2000 passagers à bord. Le réalisateur a eu également recours aux récits de survivants ou de témoins de cet événement.

A partir des années 1970, le public prend goût pour un nouveau type de dessins animés et de films d’animation. Les évolutions sociales et politiques survenues à l’échelle occidentale puis mondiale expliquent en grande partie ce changement. Ces évolutions ont abouti à un malaise économique et culturel latent, qui a par exemple provoqué en France les événements de mai 1968. A cette époque-là, toutes les forces de mécontentement, non exprimées depuis la Seconde Guerre Mondiale, ont explosé en même temps. Il n’est donc pas surprenant de constater que, dans les années 1960-1970, les mouvements de femmes se sont développés parallèlement aux mouvements de gauche. Les deux mouvements d’émancipation féminine les plus célèbres ont ainsi été créés à ce moment-là (en 1968). Il s’agit du Women’s Lib aux Etats-Unis et du Mouvement pour la Libération des Femmes (MLF) en France. Le nombre croissant des femmes dans les studios cinématographiques et les facultés des Beaux-arts résulte de cette nouvelle prise de position de la femme dans la société. A la même époque, les films d’animation ont commencé à être très marqués par l’autobiographie. Il semble que le cinéma documentaire a été en réalité poussé, sous l’influence de la pensée postmoderne, vers une expression autobiographique et individuelle.

Extrait du film Creature comfort (Le confort des créatures)- Peter Lord- 1989

Il est vrai que, depuis les années 1960, aux yeux du public et de nombreux artistes, le purisme originel de l’art moderniste avait dégénéré en formules stériles et monotones. L’art, et surtout l’architecture, s’est développé alors en réaction contre l’orthodoxie moderniste et un nouveau courant artistique est né : le post-modernisme. Contrairement au modernisme, le post-modernisme n’a pas émergé comme un mouvement reposant sur des principes théoriques précis et un style unique : tout en reconnaissant les styles précédents, il aspire à davantage d’individualité et d’originalité en art. Ce nouveau courant s’est appuyé en grande partie sur des principes artistiques traditionnels, qui ont été réinterprétés. Un grand nombre de réalisateurs de films documentaires de cette époque se sont en effet de nouveau intéressés aux documentaires des années 1920-1930, dont ils ont repris certains éléments. Ce retour aux sources a favorisé, contre toute attente, l’essor du documentaire animé moderne.

Vers la fin des années 1970, les fondateurs de la compagnie Ardman sont à considérer comme les porte-étendards du mouvement d’animation documentaire : Peter Lord et David Sproxton ont en effet créé une série d’animations mettant en scène des marionnettes en pâte à modeler [3]. Ces marionnettes retraçaient la vie de certaines personnes interviewées, dont on entendait la voix (la bande son originale était sauvegardée). L’une de leurs premières créations a été Confessions d’une fille de foyer qui a rencontré un tel succès que la chaîne BBC a commandé à la compagnie Ardman d’autres Conversations animées (1978). Ensuite, ces deux cinéastes ont produit aussi la série Des bribes de conversation pour la BBC.

"Le confort des créatures" (Comfort Creatures, 1989) est l’une des plus célèbres productions de la compagnie Ardman. Pour créer ce film d’animation, les auteurs ont interviewé des passants à propos de la question du logement. Ils ont fixé ensuite la bande sonore de ces interviews sur des images d’animation dont les personnages en pâte à modeler sont les animaux d’un zoo. Un microphone est placé dans le cadre de l’image, devant les animaux, pour donner une impression de documentaire.

Les ouvrages de la compagnie Ardman ont influencé un grand nombre de réalisateurs de films d’animation. Le célèbre réalisateur Chris Flandreth dit par exemple s’être inspiré de ce film de la compagnie Ardman, Le Confort des créatures, pour créer son film Ryan (2004).

A partir des années 1990, le développement de la technologie numérique a réduit considérablement le coût technique des productions cinématographiques, ce qui a renforcé l’indépendance des réalisateurs de films d’animation vis à vis des grands studios cinématographiques. Les réalisateurs ont alors davantage et plus librement exprimé leurs expériences personnelles et leur monde imaginaire à travers des séquences ou des films d’animation.

Un nombre considérable d’animations documentaires ont été réalisées depuis lors, comme "La voix de sa mère" (His Mother’s Voice, 1997) de Dennis Topicof, "Danser à l’intérieur" (Dancing Inside, 1999) de Guilian Lassy, "Le silence" (Silence, 1998) d’Orly Yadin, et Ryan (2004) de Chris Flandreth.

Au début du XXIème siècle, sous l’impulsion de recherches cinématographiques et des perfectionnements de la technologie numérique, un nouveau courant de documentaires animés, scientifiques, a vu le jour. La série de films d’animation "Marcher avec les dinosaures" (Walking with Dinosaurs, 1999) est l’une des premières créations de ce genre. Dans ce film, toutes les images, magnifiquement réalistes, sont produites par des techniques d’animation. Le film est parfaitement documenté et décrit avec rigueur des lieux, des époques et des créatures disparus. Le perfectionnement de la production d’images numériques est extrêmement rapide, de sorte que l’on peut aisément imaginer que ces images numériques pourraient, dans un très proche avenir, devenir aussi réalistes que des prises de vue ordinaires. Il est évident que le développement de ces nouvelles technologies aura une influence décisive sur les notions de documentaire et de dessin animé, amenant à définir autrement le documentaire animé.

Le documentaire animé en Iran

L’histoire du cinéma documentaire en Iran est très ancienne, presque aussi ancienne que celle du cinéma documentaire international. Les premiers documentaires iraniens appartiennent à l’époque de la dynastie Qâdjâre. Ils ont été réalisés au début du XXème siècle par Mirzâ Ebrâhim Khân, alias Akkâsbâshi (qui veut dire littéralement en persan : "maître photographe"). En effet, Mirzâ Ebrâhim Khân était photographe officiel à la cour du roi Mozaffar-ed-din Shâh.

Extrait du film Az Tehran ta tehran (De Téhéran à Téhéran) -Nafise Riahi - 1983

Le premier film d’animation en Iran a été imaginé par M. Esfandiyâr Ahmadieh, qui a produit Mollâ Nasreddine en 1957.

Le Centre de l’Education Intellectuelle des Enfants et des Adolescents (en persan : کانون پرورش فکری کودکان و نوجوانان), fondé en 1960, a produit également des films d’animation à partir des années 1970. Certaines des productions de ce centre peuvent être classées dans la catégorie des documentaires animés. Cependant, le documentaire animé ou l’animation documentaire restaient, à cette époque, très méconnus en Iran.

Il y a eu pourtant des artistes qui se sont aventurés instinctivement dans ce domaine, sans avoir reçu de formation particulière et sans connaître les fondements théoriques ou l’histoire de ce genre de productions cinématographiques.

Les Collines de Marlik (1963) de M. Ebrâhim Golestân est peut-être le premier véritable documentaire animé iranien. Dans ce film, l’auteur a utilisé la technique "arrêt sur image" pour montrer des pièces découvertes sur le site archéologique des Collines de Marlik. La succession de ces images permet au réalisateur de relater la vie des hommes qui vivaient, il y a des milliers d’années, sur les collines de Marlik, et comment ils en sont venus à combattre des envahisseurs. L’auteur a donc utilisé la narration sur cette succession d’images arrêtées.

Dans les années 1970, période d’essor de l’animation documentaire en Europe, un groupe de jeunes artistes iraniens, ayant étudié le cinéma dans les pays européens, s’avère très actif au Centre de l’Education Intellectuelle des Enfants et des Adolescents. Ils produisent certains documentaires animés. Cependant, il faut admettre que la plupart de ces films sont dépourvus de deux éléments, fondamentaux pour être qualifiés de documentaire animé : l’individualité et le recours volontaire à l’expression documentaire.

En réalité, la plupart de ces films d’animation, commandés par le Centre de l’Education Intellectuelle des Enfants et des Adolescents, avaient des visées éducatives. L’un d’entre eux est une œuvre remarquable, produit en 1983 : De l’ancien Téhéran au Téhéran moderne [4]. Les réalisateurs de ce film, Mmes Nafisseh Riyâhi et Soudâbeh Agâh y narrent l’histoire de la ville de Téhéran en utilisant des dessins et des photos anciennes. Le mouvement des photos est créé par la technique du "cut-out" et parfois aussi grâce à des dessins sur papier calque. Bien que la narration garde toujours un ton sérieux, les images sont parfois débordantes d’une ironie joyeuse.

M. Farshid Mesqali est proche de l’animation documentaire dans ses trois œuvres : Regarde de nouveau (1974), Une goutte de sang, une goutte de pétrole (1983) et Pourquoi et comment ? (1985). Le documentaire animé Les enfants au musée (1987) de M. Abdollâh Alimorâd est aussi remarquable. Il faut citer également Le mal de dents (1980) du célèbre cinéaste iranien Abbâs Kiarostami. Dans ce documentaire éducatif destiné aux enfants, le réalisateur a introduit de véritables séquences d’animation.

Ryan- Chris Landreth- 2004

L’évolution numérique des années 1990 a entraîné l’usage plus large de techniques d’animation dans les documentaires iraniens, notamment ceux consacrés à l’archéologie. Des séquences d’animation numérique ont ainsi été utilisées pour reconfigurer des monuments détruits ou reconstituer des événements anciens. Moi Darius de Vahid Bâqerzâdeh, Vers l’arbre de vie de Mohsen Ramezânzâdeh, la série Patrimoine culturel de l’Iran (quatrième épisode) et Les héritiers de Kiyoumars de Pejmân Mazâheri sont des documentaires archéologiques qui ont partiellement utilisé des techniques d’animation. La Splendeur de Persépolis (2003) de Farzine Rezayân a même eu recours avec brio aux techniques d’animation en trois dimensions (3D) pour reproduire Persépolis, ancienne capitale des Achéménides.

A partir des années 1990, l’animation se généralise et apparaît également dans les documentaires industriels iraniens. Des séquences animées en 3D y sont introduites pour simuler les processus industriels, pour voyager dans le futur, montrer des produits finis ou qui n’ont pas encore été conçus ou fabriqués, pour prévoir le résultat final d’un projet de développement, etc.

Si nous considérons la technique de prise de vue "time laps", c’est-à-dire une prise de vue à intervalles de temps réguliers, comme une technique d’animation, nous pourrons considérer Le jour, la lettre [5] (2002) de Mohammad-Ali Safoua comme le premier documentaire animé iranien qui utilise des voix et des bruits réels dans la bande sonore principale. Le sujet de ce documentaire animé est tiré d’un fait réel : la noyade accidentelle de six écolières dans le grand bassin du Parc central de Téhéran. Sur la bande sonore, on entend la voix de présentateurs de la radio et de la télévision qui diffusent la nouvelle de la noyade tragique. Il y a également la voix d’un narrateur-commentateur qui exprime la pensée et les émotions du réalisateur lui-même. Ce narrateur commence par une dédicace : "Ce film est dédié aux jeunes fleurs qui se sont fanées dans l’eau". On voit alors des fleurs dans un verre d’eau en train de se faner rapidement, en même temps que les voix des présentateurs de la radio et de la télévision annoncent la nouvelle du drame des six écolières. Cette séquence de la fleur qui se fane a été obtenue par une prise de vue "time laps" : pendant une semaine, une caméra a filmé le flétrissement d’une fleur, qui est retransmis en accéléré dans le film. L’avantage de ce procédé est qu’il permet, par une métaphore visuelle, d’exprimer une impression, la subjectivité du réalisateur. Cela s’avère d’autant plus important à souligner que les techniques d’animation avaient été utilisées jusqu’ici, dans la plupart des documentaires iraniens, uniquement dans un souci pratique. Elles n’étaient pas mises au service de l’expression des sentiments profonds de l’auteur.

Cyanosé (en persan : سیانوزه) de Mme Rokhsâreh Ghâemmaghâmi, tourné en 2006, est un documentaire de trente minutes comprenant dix minutes d’animation, qui décrit les conditions de vie difficiles de Jamshid Aminifar, artiste peintre de rue à Téhéran.

Pour réaliser ce film, une fois les prises de vue terminées, la réalisatrice a, pendant le montage, introduit des plans d’animation. Un schéma préliminaire de ces séquences d’animation avait été mis au point avant le tournage. Il a été légèrement modifié au moment du montage. Pour mettre au point ces animations, la réalisatrice a réutilisé les motifs d’environ 200 tableaux de Jamshid Aminifar, racontant l’histoire de sa vie à partir de ses œuvres.

Malgré tous ces exemples, il faut admettre que les films d’animation iraniens sont le plus souvent dépourvus d’une approche esthétique et rares sont ceux qui cherchent à exprimer les sentiments profonds et le monde intérieur des héros ou réalisateurs. Pourtant les documentaires iraniens favorisent généralement l’introspection, la subjectivité. Ils considèrent le réel avec émotion et passion au lieu de s’astreindre à l’objectivité, à la neutralité. Cette tendance à la subjectivité pourrait donc favoriser le développement des films d’animation.

Il y a en effet beaucoup de facteurs favorables au développement du documentaire animé en Iran, compte tenu des conditions politiques, culturelles et sociales du pays :

1- Le souci de protéger, sous le couvert de l’anonymat, l’identité de victimes des problèmes sociaux : Le taux élevé de la toxicomanie, les problèmes socioculturels des femmes et des jeunes comptent parmi les questions les plus importantes qui agitent la société iranienne aujourd’hui. Protéger l’identité des personnes interrogées ou filmées s’impose aux documentaristes qui traitent ces sujets. Or, le recours aux techniques numériques de filtrage pour masquer les visages porte préjudice à la valeur esthétique des films documentaire, les réduisant souvent à des reportages télévisés. Les documentaristes sont confrontés à leur responsabilité d’artiste et à leur engagement social : le consentement de la personne filmée est-il suffisant pour que l’on puisse diffuser son image de façon non masquée, lorsqu’elle est aux prises avec la société (comme par exemple pour un toxicomane) ? La diffusion de ses images ne risque-t-elle pas d’aggraver son cas ? Dans de telles circonstances, le recours aux techniques d’animation est un moyen efficace pour remplacer les images tournées, tout en préservant la bande sonore. Les techniques d’animation et leur immense potentiel esthétique peuvent même renforcer l’effet recherché par le réalisateur, par rapport à ce que lui apporterait l’image réelle de ses personnages.

Sinking Lusitania (Le naufrage du Lusitania)- Winsor McCay-1918

2- L’animation en tant qu’instrument éducatif : Depuis longtemps, les films d’animation ont été, en Iran, mis au service de l’éducation, surtout l’éducation des enfants. Dans les pays scandinaves (qui ont la réputation d’être avancés du point de vue des libertés sexuelles), les films d’animation ont été largement utilisés pour enseigner aux élèves certaines questions de la vie sexuelle et conjugale dont l’explication était parfois trop difficile pour les enseignants. Cela serait bénéfique pour le système éducatif iranien de s’inspirer de telles initiatives, d’autant plus que des obstacles sociaux, culturels et moraux empêchent souvent dans le pays la transmission convenable de ces connaissances, ô combien nécessaires. La distance que crée le recours à l’animation par rapport aux images réelles faciliterait beaucoup cette tâche.

3- L’animation au service des documentaires historiques : Compte tenu des coûts pharamineux de la production des films historiques, l’animation documentaire peut être un moyen moins coûteux et parfois plus efficace pour familiariser le public avec les différents chapitres de l’histoire plusieurs fois millénaires de l’Iran.

4- L’animation, expression de la subjectivité de la pensée : La pensée iranienne est dominée parfois par une forte subjectivité, notamment quand il s’agit de l’expérience intuitive et gnostique si chère à la plupart des Iraniens. L’animation peut donc être un instrument efficace pour la transmission visuelle et allégorique du sens profond des œuvres littéraires.

5- L’animation pour contourner les obstacles d’ordre moral, religieux et social : La morale orientale et la culture islamique des Iraniens sont fortement marquées par les principes de pudeur et de décence. Par conséquent, le cinéaste, dans le sens large du terme, doit éviter la visualisation de scènes qui pourraient choquer l’opinion publique et enfreindre les règles sociales et religieuses de la société iranienne, comme la question du voile des femmes. Prenons l’exemple d’images d’une femme non voilée, qui pourraient donner des informations de grande importance, mais dont la projection publique serait impossible en raison de l’obligation de porter le Hidjab islamique dans le cinéma en Iran. Le traitement de ces plans par des techniques d’animation permettrait de résoudre facilement le problème.

L’animation documentaire a, sans aucun doute, de nombreuses autres qualités, et nous ne sommes qu’au début de ce long chemin qui enrichira davantage le septième art en Iran.

Notes

[1"Documentary Animation" en anglais.

[2"Animated Documentary" en anglais.

[3Pâte à modeler : pâte malléable avec laquelle les enfants façonnent des objets.

[4En persan : از طهران تا تهران jouant sur le changement de l’orthographe du nom de la capitale iranienne en moins d’un siècle.

[5En persan : "روز-نامه", un jeu de mot sur l’équivalant persan de ’journal’, qui veut dire littéralement "lettre du jour".


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  • Le documentaire animé, un nouveau regard sur le monde 28 février 2011 17:47, par Forum des images

    Le Forum des images organise du 18 au 20 mars prochains un événement intitulé "Le documentaire animé : vrai ou faux ?"

    Le Forum des images a choisi d’explorer les limites de ce genre à part entière par un week-end exceptionnel de projections et de rencontres. Le programme comprend une quarantaine de courts métrages marquants de ces 30 dernières années, avec notamment de nombreux classiques - Journal de Sébastien Laudenbach, Ryan de Chris Landreth, Le Face-à-face avec la lune de John Canemaker (le 19 mars à 14h30) – et des réalisations récentes comme Madagascar, carnet de voyage de Bastien Dubois, sélectionné aux Oscars, ou encore Hubert, l’homme aux bonbons de Marie Paccou (le 20 mars à 18h15).

    Ces projections ont lieu en présence de réalisateurs qui témoignent de leurs expériences, avec un invité exceptionnel : Theodore Ushev.

    Cette programmation s’accompagne d’une table ronde « Documentaire animé ou animation du réel - Où commence et où s’arrête le « documentaire animé » ?

    Pour plus d’infos :
    http://www.forumdesimages.fr/fdi/Festivals-et-evenements/Le-documentaire-anime-vrai-ou-faux/Presentation-de-l-evenement

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