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L’univers poétique et spirituel de Charles Baudelaire
Dr. Nastaran Yasrebi Nejâd*
Dâvoud Afshâri Badrlou**
« La vie fourmille de monstres innocents. – Seigneur, mon Dieu ! Vous, le Créateur, Vous le Maître ; Vous qui avez fait la Loi et la Liberté ; Vous le souverain qui laissez faire, Vous le juge, qui pardonnez ; Vous qui êtes plein de motifs et de causes, et qui avez peut-être mis dans mon esprit le goût de l’horreur pour convertir mon cœur, comme la guérison au bout d’une lame ; Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! O Créateur ! Peut-il exister des monstres aux yeux de celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comme ils se sont faits et comment ils auraient pu ne pas se faire ? » [1]
a poésie fut l’instrument privilégié de tous ceux qui cherchèrent à dépasser la réalité au XIXe siècle. La publication par Charles Baudelaire des Fleurs du Mal en 1857 constitue une étape décisive. Contre Champfleury, le théoricien du réalisme et les réalistes qui à la même époque prétendent que le romantisme est dépassé, Baudelaire y voit « l’expression la plus récente, la plus actuelle du Beau » [2]. Mais c’est un nouveau romantisme qu’il propose, défini avant tout par la spiritualité et la modernité. Ces perspectives nouvelles débloquent la situation de la poésie. A cette date, en effet, les poètes se trouvaient placés devant un dilemme : il leur fallait choisir entre deux extrêmes, le lyrisme romantique qui privilégie les sentiments ou le formalisme parnassien purement attaché à la forme, au style. Baudelaire leur ouvre une troisième voie moderne et spirituelle, le symbolisme, et a été considéré comme le chef du fil de ce mouvement mystique.
Dans ce parcours, deux éléments décisifs peuvent être retenus : la spiritualité et l’art. Des deux recours possibles, lequel choisira-t-il ? Dieu ou l’Art ? « Après les Fleurs du Mal, écrit Barbey d’Aurevilly, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle, ou se faire chrétien ! » [3]. Nous connaissons l’appel pathétique :
"Ah ! Seigneur, donnez-moi la force et le courage
De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût." [4]
Cris d’âme chrétienne, annonçant Sagesse de Verlaine, Claudel et Huysmans. Paul Bourget, grand critique, voit alors en Baudelaire, non un libertin analyseur, mais un catholique désabusé. N’est-ce pas la grande libération du mal du siècle, celle de Chateaubriand, celle de Lamartine ? Le mal chez Baudelaire est sans doute de n’avoir pu être entièrement ce qu’il a appelé de ses vœux. Après la volupté et le dégoût, il a souffert de cette incertitude.
Quel pathétique se dégage de la section II de Hygiène, quand Baudelaire fait un retour sur lui même en toute lucidité : « Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné. - Au moral comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l’action, du rêve, du souvenir, du désir, du regret, du remords, du beau, du nombre, etc. - J’ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant, j’ai toujours le vertige, et aujourd’hui 23 janvier 1862, j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité. » [5] Il est désormais à l’heure du choix. Le dilemme est là, l’alternative est sans rémission. Tel est le sentiment de la pensée II où passe l’angoisse : « Hygiène. Morale. - A chaque minute nous sommes écrasés par l’idée et la sensation du temps. Et il n’y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l’oublier : le plaisir et le travail. Le Plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons. - Plus nous nous servons d’un de ces moyens, plus l’autre nous inspire de répugnance. - On ne peut oublier le temps qu’en s’en servant. - Tout ne se fait que peu à peu. » [6] Et la fin souligne le moyen du salut : « Pour guérir de tout, de la misère, de la maladie et de la mélancolie, il ne manque absolument que le goût du travail. » [7]
Il y a chez lui la peur incontestable d’un Au-delà de châtiment, de l’Enfer : « Hygiène - En renvoyant ce qu’on a à faire, on court le danger de ne jamais pouvoir le faire. En ne se convertissant pas tout de suite, on risque d’être damné » [8].
Baudelaire a eu le privilège heureux ou malheureux d’avoir senti le premier ce déchirement et cette aspiration vers un Bien idéal et vers Dieu, le Dieu de son enfance, et vers le Mal et la révolte satanique.
Dans Notre Baudelaire, Stanislas Fumet déclare que : « Les hommes du dix-neuvième siècle, par ignorance et par orgueil, ont fait tomber la nuit sur eux. Mais, comme ils n’étaient pas privés de passion, ils se sont assez bien débattus dans l’enceinte que la négation avait érigée autour de leur petit univers humain, et plusieurs sont allés donner de la tête contre les portes. Quelques-uns, comme Baudelaire, n’ont pas été dupes, ils ont identifié le démon, se sont en titubant replacés dans l’axe et de nouveau ont honoré Dieu. » [9] Toutefois le critique observe des nuances, que nous admettrons : « Il serait injuste… affirme-t-il, d’exiger de ces précurseurs un abandon aussi complet des facultés humaines que celui requis, par exemple, dans cette sorte d’aube mystérieuse où il semble que nous commencions de vivre à présent. On observe dans l’art du dix-neuvième siècle et notamment dans l’art baudelairien une pénible mais utile désagrégation de la matière et du péché. » [10] Et en guise de conclusion, Stanislas Fumet écrit : « Il n’est pas un poète qui fasse faire un signe de croix plus pur. » [11] Mais quel homme en définitive domine en lui ? Nous nous souviendrons que c’est dans l’église Saint-Loup de Namur, qu’il tombera un jour de mars 1866 pour ne plus se relever ; qu’il attendra sereinement la mort et une mort chrétienne en pleine paralysie et en pleine aphasie. C’est dans ses Journaux intimes laissés à Poulet Malassis, son éditeur, qu’il faut chercher le vrai message du Baudelaire en proie à l’ennui et à l’angoisse, quêtant son salut. Nous songeons surtout aux Fusées et à Mon cœur mis à nu.
Déjà la première section de ses Fusées pose le problème du spirituel et sa nécessité par opposition au matériel et au charnel : « Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister. - Ce qui est créé dans l’esprit est plus vivant que la matière. » [12] Et dans la section Xl il montre la puissance de l’appel au spirituel : « Il y a dans la prière une opération magique. La prière est une des grandes forces de la dynamique intellectuelle. Il y a là une récurrence électrique - Le chapelet est un médium, un véhicule ; c’est la prière mise à la portée de tous. » [13]
C’est par l’amour qu’il rejoint Dieu : « Qu’est-ce que l’amour ? demande –t-il à la section XXV. Le besoin de sortir de soi. » [14] Vient ensuite une confidence dans la section XLIII : « Dieu et sa profondeur. - On peut ne pas manquer d’esprit et chercher dans Dieu le complice et l’ami qui manquent toujours. Dieu est l’éternel confident dans cette tragédie dont chacun est le héros. » [15] En réalité, la relation l’homme et Dieu ou la prière est une dynamique, comme les sacrements, éprouvée par Baudelaire mystique dès son jeune âge : « Traité de dynamique morale. - De la vertu des sacrements. - Dès mon enfance, tendance à la mysticité. Mes conversations avec Dieu. » [16] Voilà pourquoi il s’en prend à l’auteur de la Vie de Jésus, niant l’efficacité de la Prière et de la Foi. « Dynamique morale de Jésus. - Ernest Renan trouve ridicule que Jésus croie à la toute-puissance, même matérielle, de la Prière et de la Foi. » [17] Et Baudelaire ajoute : « Les sacrements sont les moyens de cette dynamique. » [18]
S’il n’approche pas des sacrements, du moins éprouve-il le besoin de la prière et de l’hygiène spirituelle. La réforme doit être intérieure : « Etre un grand homme et un saint pour soi-même, voilà l’unique chose importante », nous dit-il dans la section XXVIII. [19] Émouvantes sont ces prières qui s’échelonnent dans Mon cœur mis à nu ; Baudelaire pense à la fois aux autres et à lui-même : « Prière - Ne me châtiez pas dans ma mère et ne châtiez pas ma mère à cause de moi. - Je vous recommande les âmes de mon père et de Mariette. – Donnez-moi la force de faire immédiatement mon devoir tous les jours et de devenir ainsi un héros et un Saint. » [20] Le poète entre même dans les détails matériels, qui concrétiseront sa recherche du progrès spirituel : « faire de tout ce que je gagnerai quatre parts, - une pour la vie courante, une pour mes créanciers, une pour mes amis, et une pour ma mère ; - obéir aux principes de la plus stricte sobriété, dont le premier est la suppression de tous les excitants, quels qu’ils soient. » [21]
Il a compris qu’à la prière il faut joindre le travail, quel qu’il soit : « Travail immédiat, même mauvais, vaut mieux que la rêverie », nous dit-il dans la section VI. [22] Et d’expliquer pourquoi : « Le travail engendre forcément les bonnes mœurs, sobriété, et chasteté, conséquemment la santé, la richesse, le génie successif et progressif, et la charité. » [23]
Il veut vraiment faire naître un homme nouveau, l’homme nouveau : « Je n’ai pas encore connu le plaisir d’un plan réalisé. Puissance de l’idée fixe, puissance de l’espérance. - L’habitude d’accomplir le Devoir chasse la peur. » [24] Il ne parle pas autrement que les directeurs de conscience : « Une suite de petites volontés fait un gros résultat. » [25] Il semble bien se présenter à nous comme un chrétien total, du moins par le désir, par son souci, non seulement de sa mère, mais tous les êtres souffrants.
Par là Baudelaire tend vers un idéal, mais il atteint déjà un sommet : « Faire son devoir tous les jours et se fier à Dieu, pour le lendemain… - Une sagesse abrégée. Prière : charité, sagesse et force » [26], il se souvient de l’épître de Saint Paul : « Sans la charité, je ne suis qu’une cymbale retentissante… - Ma phase d’égoïsme est-elle finie ? » [27] Il trouve des mots émouvants : « Mes humiliations ont été des grâces de Dieu » [28], ou encore : « L’homme qui fait sa prière le soir est un capitaine qui pose des sentinelles. Il peut dormir. » [29]
Il y a cependant en son mal du siècle un mysticisme, une spiritualité dernière qu’il faut mettre à côté de son art qui peut aussi apporter la délivrance, la libération par le rythme, le son, la musique, l’image, les correspondances, les symboles. Il l’avait trouvé en un sens chez Nerval et Poe. Il a distingué après Poe dans l’Art romantique, en parlant de Théophile Gautier, la poésie de la passion, « qui est l’ivresse du cœur » [30] et la vérité, « qui est la pâture de la raison » [31]. Il en veut au didactisme d’enchaîner le poème à la prose et à la terre inhibant par là notre attention intellectuelle, empêchant l’enlèvement de l’âme, l’aspiration vers une Beauté supérieure, fin et principe de la poésie. Cette mystérieuse catharsis, qui a inspiré à l’abbé Bremond des pages admirables dans "Prière et Poésie", Baudelaire l’a apprise de Poe, comme aussi de Coleridge et des premiers représentants du romantisme anglais. N’est-ce pas cette catharsis qui lui fait considérer la création comme un ensemble de figures, « une forêt de symboles », ainsi qu’il le dit dans son étude sur Delacroix de l’« Art romantique. »
Les analogies sont déjà soulignées dans le Salon de 1846 des Curiosités esthétiques, à propos de la Couleur : « J’ignore, écrit Baudelaire, si quelque analogiste a établi solidement une gamme complète des couleurs et des sentiments, mais je me rappelle un passage d’Hoffmann qui exprime parfaitement mon idée, et qui plaira à tous ceux qui aiment sincèrement la nature : « Ce n’est pas seulement en rêve et dans le léger délire qui précède le sommeil, c’est encore éveillé, lorsque j’entends de la musique, que je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons et les parfums. Il me semble que toutes ces choses ont été engendrées par un même rayon de lumière, et qu’elles doivent se réunir dans un merveilleux concert. L’odeur me fait tomber dans une profonde rêverie, et j’entends alors comme dans le lointain les sons graves et profonds du hautbois. » [32]
Dans l’Art romantique, à propos de Victor Hugo, le poète passe une revue critique des penseurs de l’analogie. [33] Face à eux, le mystique suédois du XVIIIe siècle occupe une position éminente : « D’ailleurs Swedenborg, qui possédait une âme bien plus grande, nous avait déjà enseigné que le ciel est un très grand homme ; que tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant. » [34] Et il en vient au théoricien de la physiognomonie : « Lavater, limitant au visage de l’homme la démonstration de l’universelle vérité, nous avait traduit le sens spirituel du contour, de la forme, de la dimension. » [35] D’où le symbolisme universel, d’où la fonction du poète. Dans ses notions d’opacité et de transparence Baudelaire se rencontre ici avec le Balzac de Séraphita et de Louis Lambert : « Si nous étendons la démonstration (non seulement nous en avons le droit, mais il nous serait infiniment difficile de faire autrement), nous arrivons à cette vérité que tout est hiéroglyphique, et nous savons que les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative, c’est –à- dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native des âmes. Or, qu’est-ce qu’un poète (je prends le mot dans son acception la plus large), si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ? Chez les excellents poètes, il n’y a pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie, et qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs. » [36]
Mais qu’est-ce que la Poésie ? Baudelaire à plusieurs reprises est revenu à elle, en particulier dans les chapitres III et IV des Notes Nouvelles sur Edgar Poe en tête des Nouvelles Histoires Extraordinaires, dont il donne une version en 1857. Il reprend ces lignes à peine modifiées dans l’Art romantique, lorsqu’il parle de Théophile Gautier : « Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile… » [37] Mais Baudelaire va insister sur l’idée de la gratuité de la Poésie : « La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a d’autre but qu’Elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » [38]
Cela ne l’empêche pas, au contraire, de faire coup double, d’opérer la catharsis : « Je ne veux pas dire que la poésie n’ennoblisse pas les mœurs - qu’on me comprenne bien, - que son résultat final ne soit pas d’élever l’homme au-dessus du niveau des intérêts vulgaires ; ce serait évidemment une absurdité. » [39]
Dans cette expression de soi, dans son activité autarcique, elle est mue par le Goût et l’Art, elle est quête de la Beauté ; le poète rejoint le spirituel dans l’ordre littéraire ou plutôt poétique et reprend le thème romantique du paradis perdu : « C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation des nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé. » [40]
Comme Baudelaire va ici au-delà du simple romantisme de l’Allemagne de Madame de Staël et se rencontre avec Novalis, qu’il ne connaît point : « Ainsi le principe de la poésie est strictement et simplement, l’aspiration humaine vers une Beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, un enlèvement de l’âme ; enthousiasme tout –à- fait indépendant de la passion, qui est l’ivresse du cœur, et de la vérité, qui est la pâture de la raison. Car la passion est chose naturelle, trop naturelle même, pour ne pas introduire un ton blessant, discordant, dans le domaine de la Beauté pure ; trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs Désirs, les gracieuses Mélancolies et les Nobles Désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la Poésie » [41].
Baudelaire rejoint ainsi par le privilège du poète prédestiné et à l’école de Nerval, la connaissance du sens véritable et réel des choses. Il entre à la suite de Swedenborg, de Hoffmann, de Lavater, de Fourier, dans l’Au-delà qui enveloppe le monde visible : « Car tout le visible a dit Novalis, repose sur un fond invisible ; ce qui s’entend sur un fond qui ne peut s’entendre, ce qui est tangible sur un fond impalpable » [42]. Ces perceptions permettent l’établissement d’une communication avec l’occulte et l’invisible : « Et le poète tentera sa libération toute spirituelle et conduisant vers Dieu grâce à ces matériaux de désordre transmis par sa mémoire, sa perception, ses joies et ses douleurs. Il va recréer un ordre qui à un moment donné dans une circonstance donnée sera l’expression infaillible de son âme. Sorcellerie évocatoire, magie suggestive. Car l’âme, de cette expression surnaturelle ne trouve sa vraie patrie que dans l’au-delà spirituel où plonge la nature » [43]. L’analogie métaphysique, le sens profond de l’univers, le message divin des correspondances, qui comme à Nerval et à Poe, dans les enchantements de la musique et du rythme apportera l’apaisement au mal, à toute cette laideur dont le poète est ivre jusqu’au vomissement, à cette postulation simultanée du Bien et du Mal :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. [44]
C’est sans doute aussi ce que comprendront Verlaine et Rimbaud. Pourriture et idéal, beauté et message de Dieu dans ses Correspondances, dans l’art reconstruisant spirituellement l’univers, apportant à la chair la clarté surnaturelle en donnant le sens du divin. Dans les régions éthérées de la vraie poésie, il n’y a plus ni Bien, ni Mal. C’est cela que nous sentons dans les cris d’ennui, d’angoisse et de mort des Fleurs du Mal, des Petits poèmes en prose, des Journaux intimes.
Finalement, Baudelaire est un mystique ; mystique de Dieu et de la Beauté, de l’amour spirituel, de la pitié humaine, intégrant la Beauté à Dieu et à l’Amour. A sa passion des orgies et des ténèbres correspond et s’oppose son jugement du stoïcisme que nous avons cité : « C’est une religion qui n’a qu’un sacrement : le suicide » [45]. N’est ce pas lui encore qui voit en la prière « une opération magique, une des grandes forces de la dynamique intellectuelle. Il y a comme une récurrence électrique » [46]. Et quel frisson du chrétien réveillé dans le froid de sa nuit de désespoir en ces paroles : « L’homme qui a fait sa prière le soir est un capitaine qui pose des sentinelles : il peut dormir » [47] .Nous pensons que Baudelaire l’a faite, tourné vers les régions éthérées de la vraie Poésie, où il n’y a plus ni Bien ni Mal. Quelles que soient nos croyances, considérons-le avec une sympathie fraternelle et douloureuse, « Hypocrites lecteurs, ses semblables, ses frères » [48]. Ange ou démon, âme surtout, qu’il dorme dans le tumulte retombé, mais toujours vivant de son scandale.
*Maître de conférence du département de français de l’Université Azâd Islamique d’Arâk.
**Etudiant en maîtrise de langue et littérature française de l’Université Azâd Islamique d’Arâk.
[1] Pichois, Claude, Œuvres complètes de Baudelaire, Ed. Pléiade, Paris, 2006, p. 303.
[2] Berton, Jean –Claude, Histoire de la littérature et des idées en France au XIXe siècle, Paris, 1999, p.142.
[3] Dédéyan, Charles, Le Nouveau Mal du siècle de Baudelaire à nos jours, Ed. Société d’édition d’enseignement supérieur de la Sorbonne Paris. V, 1972, p.140
[4] Op.cit., Pichois, p. 113.
[5] Ibid., p.1265.
[6] Ibid., p.1266.
[7] Ibid., p.1266.
[8] Ibid., p.1266.
[9] Fumet, Stanislas, Notre Baudelaire, Ed. Plon Nourrit, Paris, 1956, (Le Roseau d’Or). p.III de l’avertissement.
[10] Ibid., p.111.
[11] Ibid., p.237.
[12] Op.cit, Pichois, p.1247.
[13] Ibid., p.1257.
[14] Ibid., p.1286.
[15] Ibid., p.1298.
[16] Ibid., p.1299, section XLV.
[17] Ibid., p.1223, section XLV.
[18] Ibid., p.1300, section XLV.
[19] Ibid., p.1289.
[20] Ibid., p.1287.
[21] Ibid., p.1270.
[22] Ibid., p.1268.
[23] Ibid., p.1268.
[24] Ibid., p. 1268.
[25] Ibid., p.1268.
[26] Ibid., p.1268.
[27] Ibid., p. 1268.
[28] Ibid., p.1268.
[29] Ibid., p.1269.
[30] Bourget, Paul, Essais de psychologie contemporaine, Gallimard, Paris, 1993, p.38.
[31] Ibid.
[32] Op.cit., Pichos, pp. 883-884.
[33] Ibid., p. 704.
[34] Ibid., p. 705.
[35] Ibid., p. 705.
[36] Ibid.p. 705.
[37] Ibid.p.p.684- 685.
[38] Ibid.p .685.
[39] Ibid.p. 685.
[40] Ibid. p. 686.
[41] Ibid.
[42] Ibid.
[43] Rymond. Marcel. De Baudelaire au surréalisme. ed. José Corti. Paris.1988.p.10.
[44] Ibid, p.11.
[45] De Bènouville. Guillain. Baudelaire le trop chrétien. Ed. Grasset. Paris.1979.p.48.
[46] Ibid.
[47] Ibid.
[48] Pommier. Jean. La mystique de Baudelaire. Ed. Armand Colin. Paris.1979.p.29.