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Initiation à l’ethnologie baloutche
Mohammad Rezâ Tâheri
Traduction et adaptation par
L’histoire du peuple baloutche, la date de son installation au croisement de l’Orient et de l’Inde demeurent relativement inconnues, de même que la raison qui poussa les Baloutches à élire ce triangle sec et rude. La patrie principale des Baloutches est le Baloutchistân, autrefois nommé le Makrân. C’est sous le règne de Nâder Shâh (1736-1747) que le mot Baloutchistân remplaça celui de Makrân.
Pour certains, les Baloutches appartiendraient à l’ethnie irano-aryenne, pour d’autres, ils descendraient de tribus arabes. Selon cette deuxième théorie, l’ethnie baloutche remonterait à la postérité de Hamzah, l’oncle du Prophète de l’islam. Mais aucun document n’étaye cette thèse et la majorité des anthropologues s’accordent sur le fait que les Baloutches sont probablement d’origine iranienne. Selon la commission nationale de l’Unesco, la situation géographique, désertique et difficile d’accès du Baloutchistân a permis à ce peuple la préservation d’une identité antique irano-aryenne, expliquant sans doute la ressemblance de la langue baloutche avec les langues iraniennes antiques.
L’ethnie baloutche vit essentiellement en Iran, au Pakistan et en Afghanistan. Les Baloutches sont souvent dépeints comme des hommes nobles, accueillants, sincères, courageux, laborieux et guerriers. La rudesse de l’environnement a très vite obligé ce peuple à une vie très simple et parfois ascétique. Ils n’en ont pas moins une vie culturelle riche et certaines coutumes essentielles, parmi lesquelles on peut citer :
Le miyârdjali (recevoir des refugiés) : miyâr et bâhout signifient « se réfugier auprès de quelqu’un » et miyârdjali veut dire « recevoir des réfugiés ». Un homme craignant pour sa vie, qu’il soit coupable ou non du crime qu’on lui impute, peut demander asile à un chef de clan différent du sien. Ce chef de clan va ensuite accepter ou non cette demande d’asile en considérant l’affaire. S’il accepte, il tentera de régler le problème en s’entremettant, mais s’il ne réussit pas, il protégera le réfugié jusqu’à la fin de sa vie.
La promesse (ghowl) : ne jamais rompre une promesse ou un engagement a une importance centrale et demeure une règle absolue, qui est également devenue proverbe : « Je préfère perdre ma tête plutôt que de manquer à ma parole. »
L’hospitalité (mehmân dousti) : la célèbre hospitalité des Baloutches est en partie due à leur culture islamique au sein de laquelle l’invité est sacro-saint. On retrouve cette qualité dans toutes les couches sociales de la société baloutche, aussi bien chez les riches que chez les pauvres.
La solidarité et l’assistance mutuelle (hashr va madad) : la solitude n’a pas de sens pour un baloutche. Les conditions difficiles du milieu naturel ont fait de la vie communautaire l’unique moyen de survie. Cette notion est toujours fortement ancrée dans la société baloutche et est visible dans la coopération des Baloutches pour le développement de leur province. Ainsi, la construction des écoles et des maisons, la riziculture, la moisson ainsi que la construction de canaux souterrains et de barrages hydrauliques, etc. est souvent gérée par des coopératives.
L’aide au mariage (bedjâr) : le bedjâr consiste en une aide financière destiné aux jeunes hommes qui souhaitent fonder une famille. Bien que le bedjâr s’applique aujourd’hui aussi bien aux riches qu’aux pauvres, il était à l’origine destiné à servir de caisse de secours aux plus démunis. Le bedjâr est souvent donné par les parents, en argent ou en nature sous la forme d’un tapis, de chèvres, moutons, etc.
L’aide aux affaires religieuses (tchandeh) : le tchandeh, qui est également très important dans la culture baloutche, sert essentiellement à la construction de mosquées ou de centres d’enseignements religieux.
La vengeance (biyar) : si une personne ou un clan subit des dommages corporels ou matériels et que le coupable ne répare pas l’offense, il doit s’attendre à la vengeance du clan offensé, lequel attendra le meilleur moment pour passer à l’acte. Dans un poème baloutche, la rancune est ainsi décrite : « Quand les grandes pierres du fond du puits seront usées, peut-être que la rancune s’éloignera du cœur de l’homme. »
La cour (divân) : Dans la société baloutche, la "cour" signifie la réunion. Les grands et les doyens de la tribu ou des tribus se réunissent dans un lieu précis et s’occupent de la gestion des affaires importantes de la communauté. Cette réunion s’appelle « divân », et a pour objectif d’arbitrer un conflit entre deux personnes ou deux clans, pour décider de la dot d’un mariage, etc.
Peter : peter signifie l’acceptation d’une faute ou d’une négligence. Si une personne meurt ou est blessée lors d’une dispute entre deux personnes ou deux clans et que sa mort ou sa blessure a été le résultat de sa volonté d’empêcher la querelle de s’envenimer et d’entraîner une vengeance ou une guerre, le fautif accompagné des grands de son clan ira s’excuser et réparer sa faute auprès de la personne qui a subi le préjudice.
La façon de se vêtir est un autre élément qui distingue les Baloutches. La situation géographique du Baloutchistân, l’environnement naturel et des facteurs sociaux-historiques ont contribué à donner une forme spéciale et unique aux vêtements de ce peuple. Par exemple, les fines broderies des vêtements féminins baloutches sont aujourd’hui l’un des artisanats les plus importants de la région et leur succès les a fait connaître bien au-delà de cette province.
Le règne des Qâdjârs au XIXe siècle coïncide avec le redoublement des rivalités politiques et économiques des pays occidentaux dans la zone. Après la finalisation de la mainmise britannique sur l’Inde au XIXe siècle, le Baloutchistân devint le voisin direct de l’Angleterre coloniale. Alors que les Anglais espéraient agrandir leur sphère d’influence dans la zone, le pouvoir central iranien ne se souciait que peu d’une province aussi éloignée que le Baloutchistân. Pour les Qâdjârs, le Baloutchistân était un territoire iranien dont seuls les apports de taxes pouvaient avoir une quelconque importance.
La société baloutche était basée sur une hiérarchie tribale et villageoise. A cette époque, la faiblesse du pouvoir central iranien renforça considérablement cette hiérarchie et l’autorité tribale remplaça presque entièrement l’autorité étatique. Ainsi, le Baloutchistân vit de constantes révoltes difficilement maîtrisées par l’Etat.
Malgré les efforts du gouvernement qâdjâr pour dominer le Baloutchistân, le pouvoir des chefs locaux et des chefs de clans ne diminua guère et au début du XXe siècle, la province était gouvernée par des chefs locaux répartis sur diverses parties du territoire.
Lorsque Rezâ Pahlavi prit le pouvoir puis fonda la dynastie pahlavi en 1925, plusieurs des clans baloutches n’étaient plus depuis longtemps sous le contrôle de l’Etat : Doust Mohammad Khân, le plus grand adversaire de Rezâ Shâh dans le Baloutchistân et le doyen du clan Bârân Zahi, contrôlaient une grande partie du Baloutchistân de sud et les clans puissants d’Ahmad Zahi, Gamshâd Zahi et Esmâïl Zahi dominaient le nord de la province.
Au moment de la prise du pouvoir par Mohammad Rezâ Pahlavi en 1941, certains mouvements politiques indépendantistes apparurent dans le Baloutchistân sous l’influence du Baloutchistân pakistanais.
Avant la Révolution islamique, Assadollâh Alam, qui assuma longtemps la fonction de gouverneur du Baloutchistân, entreprit des efforts fructueux dans le rapprochement des relations entre le gouvernement et les chefs locaux. Plus tard, en tant que chancelier, il tenta également de rapprocher ces chefs de la cour, mais à cette époque, sous l’influence des Baloutches du Pakistan, des mouvements politiques indépendantistes commencèrent à voir le jour.
Parmi eux, on peut citer le Front de libération du Baloutchistân, fondé en 1963 par Jom’eh Khân et soutenu par les pays arabes. Ce groupe fut à l’origine de nombreuses attaques à main armée et continua ses activités terroristes jusqu’au début des années 70, sans réussir néanmoins à atteindre ses objectifs.
Par la suite, le Parti démocrate du Baloutchistân fut fondé à Bagdad dans les années 70. Ce groupe était la branche baloutche du Front national du peuple iranien et avait passé une alliance avec des membres du parti Toudeh. Il exigeait la mise en place d’un gouvernement démocratique national dans le Baloutchistân. L’usage de la langue baloutche dans le système éducatif était une autre des exigences de ce groupe qui fut dissout en 1975 après la conclusion du traité d’Alger entre le Shâh et Saddam Hussein, l’une des clauses du traité étant de ne pas protéger les opposants des deux pays.
Ces groupes politiques n’étaient soutenus ni par les chefs religieux ni par les chefs locaux. Cependant, une centaine de lettrés baloutches développaient des idées nationalistes. Ils étaient directement financés par le parti royal officiel, le Parti de la résurrection et le bureau de la reine Farah.
En somme, ces mouvements politiques étaient souvent le fruit d’une demande ethnique sans racines religieuses ou tribales. Ainsi, le gouvernement réussit à les contrôler par l’intermédiaire de trois éléments : les chefs locaux, le trafic de drogue et les intellectuels baloutches aux idées nationalistes.
Après la victoire de la Révolution islamique, le Baloutchistân connut de nombreux changements dus en particulier à l’intervention des Baloutches dans la gestion politique et religieuse de leur province, du fait de l’encouragement du gouvernement provisoire. D’autre part, l’opposition de ce gouvernement des chefs locaux au pouvoir poussa nombre d’entre eux à quitter l’Iran et à s’installer au Pakistan.
Un autre important changement qui eut lieu après la Révolution est l’augmentation constante du nombre d’universitaires et de lettrés. Une dizaine d’années avant la Révolution, seules quelques rares femmes Baloutches étaient lettrées.
Les Baloutches sont généralement de confession sunnite hanafite. Il est probable que ce choix date du règne de la dynastie locale des Barkasi. Doust Mohammad Khân Barkasi délégua le règlement des querelles de cour à des religieux, souvent Afghans et hanafites. Cette décision conféra dès lors un statut particulier aux religieux et aujourd’hui encore, les conflits et les querelles entre les clans sont réglés par ces derniers. Au cas où le litige est d’ordre juridique, la sharia dans son interprétation hanafite qui est appliquée. Les Baloutches s’adressent aux tribunaux étatiques uniquement lorsque le litige porte sur un problème étatique et extra tribal.
Dans la société encore très traditionnelle du Baloutchistân, le mariage entre les membres du clan ou d’une même famille est courant. Le mariage a lieu selon des rites purement baloutches et est également accompagné de musique traditionnelle.
La langue baloutche, qui possède plusieurs dialectes, est l’un des meilleurs exemples de la préservation des traditions dans cette société. Ceci dit, après la Révolution islamique et l’uniformisation des valeurs, la culture baloutche a été énormément influencée par la culture iranienne standard et beaucoup de jeunes baloutches sont aujourd’hui incapables de lire le baloutche. De plus en plus, de très nombreux mots persans parsèment les conversations. On est témoin de la même situation dans le Baloutchistân pakistanais avec cette différence que c’est l’anglais qui imprègne le baloutchi du Pakistan. Ainsi, bien que les traditions soient encore bien conservées, peu à peu, de nouvelles influences s’imposent au sein des différentes couches de cette société.
L’un des exemples frappants de cet état de fait est l’augmentation du nombre de mariages hors-clan et la modification du rôle traditionnel de l’homme et de la femme dans la famille. Dans un passé proche, la fondation d’une nouvelle famille se faisait uniquement par la voie d’une union entre les membres du noyau du clan, tandis que cette coutume est aujourd’hui beaucoup moins respectée. De même, la polygamie, autrefois très courante, est en constante diminution. Les jeunes Baloutches tendent à avoir un mode de vie différent de celui de leurs parents, sous l’influence de leurs études ou de leur travail. La modernisation de plus en plus rapide de cette société a également provoqué des changements considérables dans l’économie et les emplois, qui ne dépendent plus complètement d’un rapport direct avec la terre.
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Source : Missâgh, Faslnâmeh pajouheshi aghvâm va mazhab (Journal de recherche consacré aux ethnies et religions), no. 3, été 1386 (2007).