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Le Baloutchistân, région du Moyen-Orient partagée entre Pakistan, Iran et Afghanistan, a développé une culture qui se différencie nettement de celles des autres parties de l’Iran. En témoigne l’historien français René Grousset [1] qui situait le Baloutchistân entre « l’Asie occidentale classique et le vaste monde hindou », évoquant ainsi sa « double affinité » culturelle.
Dans le but de faire connaître cette riche culture à son public iranophone et francophone, l’IFRI (Institut français de recherche en Iran) avait invité en janvier 2008 (Bahman 1386), Mohammad Din-Dashti, Directeur de l’association آhang-e Baloutch (Musique baloutche en persan) basée à Irânshahr, dans la province iranienne du Sistân et Baloutchistân. Son intervention portait à la fois sur les spécificités culturelles du Baloutchistân et sur la présentation des activités des associations culturelles de cette région.
Mohammad Din-Dashti considère que la communauté baloutche représente une société en phase de transition, tendant à se détacher de sa structure traditionnelle pour se diriger vers une société plus moderne. Il reconnaît, cependant, que cette transition peine à aboutir malgré l’urbanisation croissante, la rapidité des télécommunications, une forte progression démographique et une politique d’encouragement à l’éducation des jeunes au Baloutchistân.
Quelques associations culturelles présentes dans la région accompagnent cette transition, dans un climat politique et culturel particulier à cette partie de l’Iran, et contribuent à l’évolution du Baloutchistân. Les fondateurs de ces organisations, en quête d’identité ethnique, ont pour motivation de revivifier et de développer l’originalité de la culture baloutche, sur le plan de la langue, de la musique, de la littérature, des arts du spectacle et des cérémonies cultuelles, culturelles et artistiques. Situées pour la plupart dans le sud du Baloutchistân, elles ont développé, à partir de l’an 2000, des activités culturelles et artistiques remarquables. Elles sont très populaires en raison des programmes culturels et artistiques qu’elles proposent, peu nombreux dans la région. Mohammad-Din Dashti tient à rendre un hommage particulier à l’une d’entre elles, aujourd’hui disparue, qui a animé pendant plusieurs années une émission radiophonique, en langue baloutche, dédiée à la culture de cette contrée.
L’effectif de leurs membres varie de 70 à 300 personnes, composé principalement d’étudiants, mais l’âge varie de 18 à 70 ans. Les femmes et les jeunes filles y sont très présentes. Sur le plan ethnique et religieux, les Perses baloutches sont majoritaires, la population non baloutche y est moins représentée. Les Mawlawi (fidèles de religion sunnite au Baloutchistân) [2] ne font pas partie de ces associations car ils possèdent leurs propres organisations d’obédience religieuse. Il n’y a pas de coopération entre les deux communautés car l’approche de l’art et de la culture est de nature religieuse chez les Mawlawi.
L’association آhang-e Baloutch, que dirige Mohammad-Din Dashti, produit chaque année deux pièces de théâtre, un film court-métrage documentaire et organise des colloques et de nombreux concerts de musique baloutche. Elle a également créé un atelier de musique. Sur le plan social, آhang-e Baloutch apporte une aide active aux jeunes dans le cadre des problèmes liés à l’addiction aux stupéfiants.
La culture baloutche se définit par la richesse de son art, de sa musique et de sa langue.
On dénombre dix-sept instruments spécifiques à la musique traditionnelle, parmi lesquels la flûte double, ou do-ney en persan, et la viole sorud, qui comprend quatre cordes amplifiées par six à huit cordes sympathiques [3], instrument le plus identitaire du Baloutchistân, et l’un des plus anciens (une miniature mongole du XVIIe montre un joueur de sorud devant un derviche en extase).
La littérature baloutche, riche en contes, récits, poésie et légendes était jusqu’à présent orale. Cette tradition orale peine à se perpétuer, faute d’interprètes. L’un des plus populaires, Mollâ Kamâlân Hout, musicien, conteur et poète, est âgé de soixante-dix ans. Des tentatives d’écriture sont en cours actuellement afin de ne pas perdre ce patrimoine original, qui appartient, non seulement au Baloutchistân, mais à l’Iran tout entier.
L’artisanat traditionnel présente aussi une grande richesse. L’habileté des artisans baloutches s’exprime, par exemple, dans leur faculté à produire pas moins de quatre-vingt-dix-neuf articles différents à partir des feuilles de palmier sauvage, parmi lesquels, corbeilles, paniers, bonnets, nattes et sandales. La broderie des femmes baloutches est unique. Elle comporte des motifs surprenants, où l’on remarque l’assemblage particulier des couleurs. L’art de la céramique baloutche date de la période protohistorique. La remarquable céramique de Kalpouregân, village situé près de la ville de Sarâvân est encore réalisée par quelques villageoises. Avec le Japon, c’est le seul endroit au monde où les artistes céramistes réalisent encore leurs œuvres entièrement à la main.
Les qualités de dévouement et de générosité des citoyens baloutches n’en sont pas moins grandes. Lorsqu’une personne est en danger, elle trouve automatiquement refuge auprès d’un membre de la communauté, c’est la « culture du réfugié », propre au peuple baloutche. Le Baloutchistân étant une zone frontalière, ses habitants ont toujours protégé ses frontières contre l’envahisseur, il a donné le jour à de nombreux combattants héroïques.
[1] René Grousset (1885-1952) spécialiste de l’Asie, et membre de l’Académie française.
[2] Le terme de mawlawi désigne, dans le monde persanophone, les clercs de l’islam sunnite formés depuis le XIXe siècle dans le sous-continent indien – par opposition aux mollâ chiites, ainsi qu’aux damullâ sunnites éduqués en Afghanistan ou en Asie centrale. En Iran oriental, le corps des mawlawi constitue une élite alternative formée de lignées de religieux sunnites d’origine persane ou kurde, aux racines arabes Ghuraysh (donc apparentés au prophète Mohammad), alliées matrimoniales traditionnelles des principales tribus d’éleveurs baloutches. (Stéphane A. Dudoignon, historien, chargé de recherches au CNRS)
[3] Sur un instrument de musique à cordes, les cordes sympathiques sont des cordes libres, sur lesquelles on n’exerce aucune action, mais qui entrent en vibration par simple résonance - par sympathie - avec les notes jouées de même hauteur (fréquence). Ce sont des oscillateurs couplés.