N° 47, octobre 2009

Rencontre parisienne avec un jeune homme de Zâhedân


Mireille Ferreira


Kambiz Gohari, jeune homme de 35 ans, curieux, intelligent et cultivé, a suivi des études d’architecture à Téhéran puis a été nommé professeur d’architecture et d’histoire de l’art à Zahedan, tout en travaillant dans sa propre agence d’architecture. Depuis novembre 2007, Kambiz prépare une thèse de doctorat d’architecture à Paris, tout en collaborant à l’une des plus grandes agences d’architecture française, Architecture Studio.

Présentés l’un à l’autre par une de ses collègues architecte, nous avions convenu de nous retrouver pour un entretien au pied du grand escalier de l’Opéra, place de la Bastille, un des lieux les plus emblématiques de l’art, de la culture et de l’histoire de France.

Mireille Ferreira : Quels sont vos rapports avec le Sistan-Baloutchistan ?

Kambiz Gohari : Mon père est originaire de Tabriz, capitale de la province d’Azerbaïdjan d’Iran, ma mère est née dans le centre de l’Iran à Naïn. Mon patronyme, Gohari, qui signifie joailler en persan, est un héritage de mon grand-père qui exerçait cette profession à Tabriz. Ma famille s’est installée à Kerman puis à Zahedan lorsque j’avais douze ou treize ans ; comme les Baloutches qui, à l’époque seldjoukide, avaient fui les régions du Guilân et du Mazanderân au nord de l’Iran, pour venir s’installer sur les terres arides du sud de l’Iran, en raison des rivalités qui existaient entre les différentes ethnies de la région.

Une vue du parc Mellat, Zâhedân

Je suis né à Téhéran mais j’ai grandi à Zâhedân . Je suis très attaché à cette ville mais je me sens Persan avant tout. Mes parents sont persanophones. Je comprends le baloutchi et le dialecte sistani mais je ne les parle pas. J’ai des oncles à Tabriz qui se sentent turcs mais au Baloutchistan, on se sent perse. Notre culture est persane. Je suis Persan avant d’être Baloutche ou Azeri. Les Perses n’existent plus en Iran, c’était au temps de l’empire achéménide. L’Iran, maintenant, est une entité commune. C’est la langue qui fait l’appartenance à une nation, à un pays.

Une tradition très riche est liée à la province du Sistan-Baloutchistan :

Plusieurs petites rivières, captées dans les montagnes afghanes toutes proches, se jettent dans le lac Hamun. Une légende zoroastrienne est née dans ce lac. Elle prédit qu’à la fin des temps, une vierge (Vispataurvi) sera fécondée par la semence de Zoroastre, conservée dans ce lac, et donnera naissance à Saoshian, le dernier messie zoroastrien, et le dernier homme sur la terre.

Le Sistan est la région d’origine de Rostam l’un des plus grands héros mythiques dont Ferdowsi a raconté les exploits dans le Shâhnâmeh, le Livre des Rois.

M.F. : Pourquoi avez-vous préféré la France à d’autres pays occidentaux pour préparer votre doctorat ?

K.G. : La France s’est imposée à moi comme une évidence. On va aux États-Unis pour faire du commerce ou des affaires, la France est un pays de culture. Par ce choix, je poursuis la tradition des échanges culturels qui existaient entre ce pays et l’Iran depuis que l’Emir Kabir, premier ministre du shah kadjar Nasser Ed Din, avait décidé, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, d’envoyer les premiers étudiants iraniens en France. Cette tradition s’est poursuivie jusqu’à la fin du règne de Reza Shah Pahlavi au début du XXe siècle.

Le thème de ma thèse de doctorat est l’aménagement du territoire. Les deux pays ont en commun une même approche de ce sujet, avec, dans les deux cas, un état centralisé politiquement et, pour la France, un aménagement du territoire régionalisé. Nous avons des expériences à échanger sur ce point.

Une mosquée située au parc de loisir de Barâsân, Zâhedân

M.F. : Quels sont les motivations qui vous ont fait interrompre vos activités professionnelles pour vous consacrer pendant plusieurs années à une thèse de doctorat ?

K.G. : Une modernisation de la province du Sistan-Baloutchistan me semble indispensable à son développement. Sa position géographique aux confins de l’Iran ne lui permet pas de posséder une industrie d’importance nationale. Zâhedân est la plus jeune capitale régionale de l’Iran, elle a peu d’histoire. Au temps des Achéménides, le Sistan était la réserve de blé de la Perse ; ses moulins à vent, qui ont été les premiers du monde, sont là pour l’attester. Mais de nos jours, la première ressource de cette région est le commerce transfrontalier avec le Pakistan, l’Afghanistan, l’Asie centrale. Les importations des pays d’Asie centrale depuis la mer d’Oman sont de première importance pour l’économie locale.

Après les trois ou quatre années qui me restent à étudier en France, je souhaite avoir la possibilité d’appliquer à ma ville de Zahedan les principes d’aménagement du territoire appris en France. C’est à Zahedan que je vois mon avenir, c’est là que je me sens utile.


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