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Rezâ Ghareh-Bâghi est né à Abâdân. Il a étudié la sculpture à la faculté des Beaux-arts de l’Université de Téhéran. Il est membre du comité directeur de l’Association des Sculpteurs d’Iran et enseigne la sculpture à l’Université Honar de Téhéran et à l’Université Ferdowsi de Mashhad. L’entretien qui suit a été réalisé à l’occasion de l’exposition de ses sculptures qui a eu lieu du 10 au 15 Mordâd 1388 (1er au 6 août 2009) à la Maison des Artistes d’Iran.
D.Z. : Monsieur Ghareh-Bâghi, aviez-vous déjà exposé vos sculptures auparavant ?
R.G. : C’est la deuxième fois que j’expose mes œuvres individuellement, mais j’ai participé à plus de vingt expositions collectives.
D.Z. : Pourriez-vous nous parler de vos sculptures ?
R.G. : Il y a deux thèmes dans cette exposition ; neuf de mes sculptures forment un ensemble intitulé Abou Ghraïb, l’autre ensemble est intitulé L’être humain et les objets. Les sculptures Abou Ghraïb sont des œuvres figuratives en aluminium ou en bronze pour lesquelles j’ai utilisé la technique du moulage. Pour les sculptures de l’ensemble L’être humain et les objets, j’ai utilisé du papier mâché et de la couleur.
D.Z. : Pourquoi avez-vous choisi ces deux thèmes ?
R.G. : Pour les sculptures Abou Ghraïb j’ai été inspiré par les évènements qui ont eu lieu au cours de ces 4 ou 5 dernières années en Irak et au Moyen Orient, en particulier ce qui s’est passé dans la prison d’Abou Ghraïb dont nous avons eu des échos à travers les reportages télévisés et les articles de presse. Nous avons vu combien le comportement à l’égard des prisonniers y était insultant et inhumain. Je n’ai pas voulu avoir un regard romantique sur Abou Ghraïb, j’ai plutôt eu envie de me servir d’Abou Ghraïb pour accéder à un point de vue plus général à propos de la situation de l’homme moderne. J’ai voulu montrer comment les acquis de la modernité ont rendu l’homme moderne malade, comment l’être humain est devenu prisonnier d’une certaine forme de passivité, comment les êtres humains sont en train d’êtres broyés, écrasés, éliminés, comment ils sont en train de s’éloigner de plus en plus de ce qui fait d’eux des êtres humains. J’ai voulu montrer que l’être humain est en train de perdre sa créativité et son regard interactif. Il me semble que nous assistons à une forme de déclin et de désagrégation de l’être humain.
D.Z. : Dans les sculptures de l’ensemble Abou Ghraïb, une partie du corps de l’être humain manque, mais ce qui manque a une forme géométrique, avec des bords bien tracés et très précis.
R.G. : Oui. J’ai voulu insister sur le système qui broie et anéantit l’humanité de l’être humain. C’est comme s’il y avait un système en place qui a des plans prémédités, ordonnés et bien précis pour anéantir l’humanité des êtres humains d’une manière conforme à ce qu’il a décidé. Les coupes en ligne droite et en formes géométriques sur le corps des êtres humains est une manière d’insister sur la structure de ce système qui les anéantit.
D.Z. : Pourriez-vous nous dire aussi quelques mots sur votre choix du thème L’être humain et les objets ?
R.G. : Ce thème a un point commun avec le thème Abou Ghraïb, car là aussi il s’agit de montrer la situation de l’homme moderne. Là encore, j’ai voulu mettre l’accent sur le fait que les conditions de la vie moderne sont en train d’éloigner les êtres humains de leur côté créatif ; je pense que l’homme est en train de se transformer en objet au point où un être humain se transforme en son propre lit, un être humain se transforme en sa propre chaise. L’une de mes sculptures représente un homme qui s’est transformé en une échelle alors qu’il n’est plus capable de s’élever de sa condition matérielle et d’accéder à une forme de transcendance, car il n’y a plus aucun mouvement de créativité en lui. Une autre de mes sculptures représente un homme qui s’est transformé en une porte, mais il n’y a rien derrière cette porte qu’il entrouvre dans un mouvement de recherche, peut-être parce qu’il n’y a plus rien d’humain à l’intérieur de cet homme. J’essaie avec mes sculptures de mettre l’accent sur les problèmes auxquels l’être humain moderne est confronté.
D.Z. : Est-ce que votre exposition précédente avait les mêmes thèmes ?
R.G. : Mon exposition précédente était à propos des femmes du sud de l’Iran ; des femmes qui vendent du poisson, qui ont des liens étroits avec la mer ; elles sont pour moi le symbole d’une certaine beauté et d’une forme d’innocence. J’avais voulu représenter avec mes sculptures l’individualité et la beauté des êtres humains authentiques ; je sentais que les femmes du sud pouvaient symboliser ces êtres humains authentiques.
D.Z. : Aimeriez-vous ajouter quelque chose à vos propos à la fin de cet entretien ?
R.G. : Je tiens à dire que la sculpture est un médium qui a de grandes capacités pour exprimer des idées. Une sculpture peut créer des concepts, elle peut entrer en relation avec la personne qui la voit et la faire réfléchir. Une sculpture est plus apte à faire cela que les autres médias artistiques car elle est dotée d’un volume et elle existe donc dans l’espace. Créer une sculpture pour une ville ou pour un espace public, pour qu’elle soit vue par les gens, est donc très important. Dans tous les pays, ériger et dévoiler une sculpture est considérée comme un évènement important. Nous devrions réfléchir à cela en Iran.
D.Z. : Voulez-vous dire par là que nous n’avons pas suffisamment de sculptures dans nos villes ?
R.G. : Oui. A mon avis, les institutions qui ont des responsabilités et qui décident des projets pour les villes d’Iran devraient s’intéresser à cette question, car nos villes et nos espaces publics ont besoin d’objets qui aient une valeur visuelle et conceptuelle, pour que le milieu dans lequel les citoyens vivent puisse être imprégné d’idées, de concepts et d’une certaine forme de beauté. Tout cela pour dire que la sculpture est extrêmement importante pour une ville. Créer des sculptures est une activité importante, elle ne doit pas être négligée ou rejetée ; les sculptures ne sont pas des travaux manuels, elles ne sont pas comparables au reste des installations et équipements que l’on voit dans une ville.
D.Z. : Avez-vous des sculptures érigées dans les villes d’Iran ?
R.G. : L’une de mes sculptures, intitulée Arash-e kamânguir (Arash l’archer) a été érigée récemment à l’entrée de l’aile nord de la Tour Milâd à Téhéran. C’est une sculpture en bronze et en pierre, de quatorze mètres environ de hauteur, construite en hommage à ceux qui se sont dévoués à l’Iran.
D.Z. : Monsieur Ghareh-Bâghi, je vous remercie pour cet entretien que vous avez accordé à La Revue de Téhéran.
R.G. : Moi aussi je vous remercie.
Sculptures de Rezâ Ghareh-Bâghi :