N° 47, octobre 2009

La place des femmes au sein du Kotéba (théâtre traditionnel malien)


Odile Puren


Avant d’aborder le Kotéba moderne, il est important de parler de la place de la femme au sein du Kotéba. A l’origine, les femmes ne devaient pas jouer du Kotéba et tout être féminin qui aurait tenté de participer à une représentation aurait été banni par la gent masculine. Nous étions donc dans un contexte similaire à celui que l’on retrouvait à l’époque de Shakespeare ; les rôles de femme étaient toujours assurés par des hommes. Ce qui permettait d’ailleurs de faire des sketches beaucoup plus drôles car, même lorsque le caractère érotique était relativement prononcé, les scènes tendancieuses étaient malgré tout bien acceptées par le public. Le rôle des femmes consistait uniquement à préparer la bière de mil et à la distribuer aux personnes présentes à la manifestation du Kotéba, ou bien à faire le repas lors du grand jour du Kotéba.

Depuis une centaine d’années, la place de la femme au niveau du Kotéba est parfois ambiguë.

Dans un village bambara, une petite fille de cinq ans est déjà membre du ton (association communautaire du Kotéba, regroupant tous ses membres). Ses parents la placent sous la protection d’un garçon plus âgé, également membre du ton. On dit que ce dernier est le kotéba-tiè (garçon, membre du ton et chargé de la protection d’une fillette jusqu’à son mariage) de la fillette et celle-ci la kotéba-mousso (nom donné à la fillette protégée par le kotéba-tiè ; jeune fille membre à part entière de la communauté du Kotéba) du garçon. Leur lien va se consolider au fil des années, jusqu’au mariage de la jeune fille. Une confiance mutuelle s’installe entre eux, ils doivent tout se dire ouvertement et sans réticence. La kotéba-mousso a le droit, si elle le désire, d’aller passer certaines nuits chez son kotéba-tiè sans que rien ne se passe entre eux. Elle ne peut prendre aucune décision importante : voyager toute seule, aller travailler en ville, avoir un ami… sans l’accord de son protecteur. Ce lien qui se tisse entre les deux jeunes gens peut durer dix, quinze ans, voire plus. Durant ces années, si la kotéba-mousso rencontre quelqu’un dont elle tombe amoureuse, son kotéba-tiè enquête sur cette personne afin de s’assurer de sa bonne moralité car il doit être digne d’épouser sa protégée. Puis il donne son accord pour que les amoureux se fréquentent dans la mesure où les résultats de ses enquêtes sont positifs. Cependant, il continue d’exercer son rôle auprès de sa kotéba-mousso en lui prodiguant de plus en plus de conseils sur les relations humaines. Le kotéba-tiè aurait acquis des connaissances dans ce domaine grâce aux vieillards. Nous constatons une fois de plus que sans le savoir des anciens, l’avenir du Kotéba ne peut être assuré.

Le jour du mariage de sa protégée, le kotéba-tiè doit rendre compte au groupe de Kotéba ou à la famille de la jeune fille, des rapports qui ont existé entre elle et lui durant toutes ces années de parrainage. L’un ou l’autre, à son tour informe le futur mari de la jeune fille, des déclarations de son kotéba-tiè.

La raison fondamentale qui pousse les familles bambara à confier « l’éducation » de leurs filles à des garçons plus âgés est de les aider à garder leur virginité jusqu’au jour de leur mariage. Ainsi, lorsqu’une kotéba-mousso demeure vierge, le kotéba-tiè qui a assuré son éducation réclame au jeune époux une récompense. Notons que chez les Bambara, un homme qui fait bien son travail et qui ne demande rien en reconnaissance du service qu’il a rendu est considéré comme un homme « sans valeur ».

La plupart des kotéba-tiè affirment le jour du mariage que leur kotéba-mousso est vierge.

La récompense donnée au kotéba-tiè est le plus souvent significative. Elle peut être :

- De l’argent, ce qui est rare.

- L’organisation d’une fête dans sa famille.

Le ton, sur le conseil du kotéba-kuntigui, peut organiser une séance de Kotéba dans la famille du kotéba-tiè. Pendant cette manifestation, on chante les louanges du bon éducateur et de la jeune fille qui a su écouter son protecteur. Ce qui rehausse l’honneur de la famille de celui-ci.

- Le don d’un bracelet ou d’une bague.

Parfois, la mariée accepte de laisser en souvenir au kotéba-tiè, son propre bracelet qu’elle affectionne particulièrement, ou bien la couverture qu’elle a utilisée chez lui alors qu’elle était sa protégée.

Une kotéba-mousso obéissante est ainsi préparée pour devenir une femme soumise.

De l’âge de cinq ans jusqu’au mariage, l’être féminin est un membre actif du Kotéba. Ensuite, il devient quasi passif. Qu’entendons-nous par membre actif ?

A partir de cinq ans, la kotéba-mousso est autorisée à danser du Kotéba si elle le souhaite. Dès sept ans, elle va aux champs travailler avec les garçons. La besogne des fillettes de son âge au niveau du ton consiste à apporter de l’eau aux garçons lorsqu’ils labourent. Elles aident aussi leurs aînées à faire la cuisine pour les travailleurs. Puis ensemble, elles chantent pour encourager ces derniers. Parfois elles essuient la sueur du front des kotéba-tiè. Quand il s’agit de récolter des haricots, du mil ou des arachides dans un champ de plusieurs hectares, tous les kotéden, quel que soit leur sexe, y participent. Mais si la récolte des haricots, par exemple, a lieu dans un champ de taille normale ou si elle se fait en même temps que le débroussaillage des champs voisins -un travail confié aux kotéden par un tiers– la priorité est donnée aux jeunes filles et aux fillettes de s’en occuper pendant que les hommes coupent les arbres et les hautes herbes. En plus de cela, lorsqu’une tâche d’ordre féminin telle que la préparation du beurre de karité est demandée au ton, ce sont les kotéba-mousso qui l’exécutent. Elles pilent les amandes de karité de façon à les séparer des noyaux qu’elles font griller. Ensuite elles les moulent puis vont puiser de l’eau qu’elles versent sur la pâte obtenue, la font chauffer sur un feu de bois jusqu’à ce que l’huile flotte au-dessus de l’eau. Cette huile est recueillie dans des pots en terre. Quelques jours plus tard, l’huile se solidifiera et changera de couleur : du marron foncé à l’origine, elle deviendra beige. Le beurre de karité ainsi obtenu sera prêt à la consommation.

Si les fillettes et les jeunes filles participent pleinement aux travaux collectifs, soit dans le champ du Kotéba soit parce que ces travaux sont demandés par un tiers, elles demeurent moins présentes au niveau du jeu.

En effet, dans le Kotéba traditionnel, les kotéba-mousso dansent ou non selon leur volonté. Mais au moment de la partie représentée, elles s’éclipsent. Lorsque nous leur avons demandé les raisons de cette disparition soudaine lors du jeu théâtral, elles nous ont répondu qu’elles craignent d’être mal considérées par les hommes. Mais nous croyons qu’elles n’osent pas jouer parce qu’elles demeurent des êtres soumis aux personnes de sexe masculin.

Une fois mariée, la jeune femme, disons plutôt la femme -pour mieux expliquer ce qui se passe au niveau des villages bambara- devient quasi passive au sein du Kotéba. Elle ne participe plus aux travaux collectifs mais peut danser à sa guise lors des manifestations de Kotéba. Le fait qu’elle ait été kotéden lui confère le droit de confier des travaux au ton en bénéficiant d’un tarif préférentiel, c’est-à-dire qu’elle ne lui paiera que la moitié du prix normal pour le travail à exécuter. Ceci reste valable si elle se marie avec un homme d’un autre village.

De nos jours, les mentalités ont évolué et les femmes commencent petit à petit à s’inscrire dans des groupes de Kotéba. Mais ce phénomène reste principalement limité aux grandes agglomérations. Malgré cela, certaines élèves de l’Institut National des Arts de Bamako continuent de cacher à leurs parents qu’elles font du théâtre, par crainte de leur réaction.

Cette émancipation féminine est plus suivie en Côte d’Ivoire avec le nombre de femmes jouant dans l’Ensemble Kotéba d’Abidjan de Souleyman KOLY.

En conclusion au Kotéba traditionnel, nous pouvons affirmer que le ton, comme toute association bambara telle que le grin (association essentiellement féminine), est un groupe structuré et hiérarchisé. Son bon fonctionnement demande de la rigueur, cet état d’esprit tient à cœur aux vieillards. Il semble qu’il a un but : former l’homme bambara c’est-à-dire que les anciens œuvrent à faire des jeunes des êtres vertueux de façon à ce qu’ils résistent aux mauvaises tentations de la vie.

Cette même organisation du Kotéba nous révèle aussi que pour jouer du théâtre traditionnel bambara, il faut obligatoirement adhérer à l’association du Kotéba. Par conséquent nul ne peut échapper au poids exercé par les vieux (le mot vieux n’a aucun sens péjoratif dans le milieu bambara). Ceux-ci ont pour souci de transmettre fidèlement la tradition aux plus jeunes afin qu’ils puissent assurer la relève. Mais ces futurs héritiers veulent du changement dans la manière des anciens de considérer la vie. Une telle mise en cause inévitable de la tradition est favorisée par plusieurs facteurs : l’exode rural, la rencontre de diverses cultures étrangères, puis le désir des jeunes de créer un monde dans lequel il y aura plus de liberté. Les vieux ne l’entendent pas de cette oreille. Ils préfèrent démissionner. Alors qu’il aurait suffit d’un peu de compréhension de leur part, suivi d’une souplesse dans leurs rapports avec les jeunes afin de permettre au Kotéba d’assurer plus durablement sa fonction didactique au sein de la société bambara.

Le retrait des vieux de l’association du Kotéba entraînera à la longue un déclin du Kotéba traditionnel en tant qu’art théâtral parce que ce sont eux qui symbolisent la tradition. Ils sont les premiers défenseurs de la culture bambara. Sans leur savoir, c’est toute la société bambara qui risque de s’écrouler car les vieillards constituent la charpente de cette société.

Par conséquent, il est souhaitable que les anciens et les jeunes trouvent un moyen de se comprendre. Au lieu de critiquer les vieux à travers quelques sketches de la partie représentée du Kotéba, les jeunes devront se regrouper et se concerter afin de définir en termes clairs les changements qu’ils veulent voir s’opérer. Ensuite ils analyseront les avantages et les inconvénients qui pourront en résulter. Si après une mûre réflexion sur les problèmes posés, ils réalisent qu’il est plus avantageux de changer certains aspects de la tradition, à ce moment-là, ils pourront déléguer l’un d’eux pour aller parler aux anciens. Ce délégué doit être assez éloquent et capable de convaincre les vieux par des arguments irréfutables. Si ces derniers persistent dans leur refus de réviser certains aspects de la tradition, alors les jeunes patienteront quelques années avant de relancer le problème. Il est évident qu’on ne peut pas changer du jour au lendemain une tradition plusieurs fois séculaires. C’est pour cela que les jeunes, pour avoir un jour raison des vieux, devront non seulement user de tactiques, mais aussi patienter et persévérer dans leurs revendications.


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1 Message

  • La place des femmes au sein du Kotéba (théâtre traditionnel malien) 26 octobre 2009 10:39, par Andrée BOURDIER

    - Merci pour cet article bien documenté et exposé qui regroupe les traditions du théatre antique grec,mais aussi du sport, la lutte, auquel seuls les hommes participaient, nus.Mais je ne m’étonne pas que la société malienne élève les petites filles à la soumission, puisque dans un pourcentage très élevé, elles subissent l’excision.

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