N° 29, avril 2008

Etude des différentes sortes de paronomases dans les textes pehlevis


Golfam Sharifi


 [1]

Paronomase (ou Jénâs) est une figure de syntaxe qui consiste à rapprocher au moins deux paronymes, c’est-à-dire des mots qui se ressemblent beaucoup sur le plan des sonorités mais qui n’ont pas la même signification. Cette figure est l’une des bases esthétiques centrales des œuvres littéraires. Cependant, jusqu’à présent, peu de recherches ont été consacrées à l’étude de l’emploi de cette figure dans les textes rédigés en moyen Perse.

A cette époque [2] (224-651), les orateurs et les poètes employaient, plus ou moins consciemment, les voyelles et les consonnes en vue de flatter l’oreille ou d’exprimer un sentiment.

Dans cette recherche, nous avons essayé de dégager les différentes sortes de paronomases dans les textes choisis, et plus particulièrement dans les Andarznaméhâ (les lettres du conseil).

Pour réaliser ce travail, nous fûment confrontés à quelques difficultés :

1. L’ambiguïté de l’écriture pehlevi à cause du caractère polyphonique des lettres.

2. L’emploi des idéogrammes araméens (hozvârech) [3] dans l’écriture pehlevi.

3. L’emploi détaillé des différentes formes de paronomases en pehlevi, sans pouvoir trouver leurs équivalents en français, et l’inexistence des expressions littéraires en pehlevi à cause du manque de document littéraires.

Inscription sur la tombe d’un homme de la province de Fârs en langue pahlavi, époque sassanide

Ces éléments ont limités notre recherche, dont la classification est basée sur celle d’Edward G. Brown (A Literary History of Persia, vol. II), qui emploie certains termes de la langue persane pour classifier les paronymes des textes pehlevis.

Nous avons recensé sept principaux types de paronomases :

Jénâs-e tâm, Jénâs-e muzâreh (ou muchâbeh), Jénâs-e zâyed, Jénâs-e lafzi, Jénâs-e khatti, Jénâs-e mukarar ou Takrir et enfin Jénâs-e eshtéghâgh.

Pour éclairer le sujet, chaque cas sera suivi d’un exemple.

1. Jénâs-e tâm (paronomase complète) se dit de mots homonymes, c’est-à-dire des mots dont la prononciation et l’orthographe sont identiques, mais leur sens est différent.

Exemple :

draxt-ê rust êst tar ô sahr âsûrîg

bun-as husk êst sar-as êst tar

Un arbre a poussé dans l’ensemble pays asûrîg

sa racine est sèche sa pointe humide

(Draxt î asûrîg, Jamasp Asana, p.109, 1er par.)

Dans ce vers, on trouve deux paronymes qui sont "tar" et qui prononcent par hozvarech : "LCDR", cependant, la signification du premier paronyme est "partout" alors que celle du deuxième : "humide".

Ecriture pahlavi datant de l’époque de Shâpour III, Tagh-é Bostan, province actuelle de Kermânshâh

2. Jénâs-e muzâreh ou muchâbeh (paronyme semblable) : se dit de mots dont les rythmes sont proches, mais dans lesquels les sons des 1ère ou 2ème lettres du mot sont différents.

Exemple :

ud wêhân kê zâd ud kê zâyêd âfrîn kunisn.

ud ahreman ud dêwân nifrîn kunisn.

Celui qui doit adorer les bons qui sont nés et qui naîtront,

devrait maudire Ahreman et les démons.

(Sixième livre du Denkard, Madan, p.499)

Ici, nous avons Jénâs-e muzâreh ou muchâbeh. Entre les mots presque homophones "âfrîn" et "nifrîn" , âfrîn signifie "adoration" et nifrîn "maudit".

3. Jénâs-e lafzi : se dit de mots paronymes qui ont la même prononciation, mais leurs orthographes et leurs significations sont différentes.

Exemple :

az az tô awartar hêm

pad was gônag xîr

Que je suis plus haut placé que toi à tous les niveaux.

(Draxt î âsûrîg, Jamasp Asana, p.109, 2ème par.)

Dans ce vers, les deux paronymes sont "az". Le premier est le pronom personnel "je", tandis que le deuxième est la préposition "de". Les deux paronymes ont été écrits par hozv ?rech "MN" :

4. Jénâs-e zâyêd : cette paronomase se réalise où l’un des paronymes possède une lettre alphabétique de plus que l’autre.

Exemple :

u-sân kirbag dânag-ê êd guft dên dastwar î dânâg ud hamîh

î frârôn kardan.

Ils ont dit qu’un grain de la bonté est le prêtre sage (=dên dastwar) et la compagnie des bons.

(Sixième livre du Dênkard, Madan, p.82)

"dânag" signifie : "grain" alors que"dânâg" :"sage".

5. Jénâs-e Khatti : il convient de différencier les sortes de paronomases de façon auditive ainsi que visuelle.

Dans le persan moderne, on qualifie d’homographes des mots dont les points sont les signes diacritiquales.

Exemple : bîmâr et tîmâr : بیمار و تیمار, pîr et tîr : پیر و تیر

Mais comme nous le savons, dans l’écriture pehlevi, il n’y a pas de point. Il semble donc plutôt que cette forme de paronomase (Jénâs) dans la langue pehlevi soit en relation avec les idéogrammes araméens (hozvâréch) qui n’ont pas encore été classifiés dans les livres rhétoriques.

En outre, il semble que les Iraniens écrivaient parfois consciemment dans une phrase un mot sous deux formes différentes, l’un en écriture pehlevi et l’autre en hozvâréch.

Les écrivains employaient probablement cette diversité d’orthographes pour l’ornement calligraphique ou peut-être pour ne pas oublier complètement l’araméen qui était un héritage national des périodes anciennes.

Exemple :

nâm î xwês rây xwêskârîh î xwês be ma hil.

Pour ta propre réputation, ne quitte pas ta propre responsabilité.

(Andarz î Azarbâd mahraspandân, Jamasp Asan, p. 67, par.107)

"xwês" est le pronom indéfini "on", qui a été écrit en orthographe pehlevi dans le mot composé : "xwêskârîh" et dans les autres cas, "xwês" a été écrit par Hozvâréch : NPSE

6. Jénâs-e mukarar ou takrîr (=la répétition).

C’est une forme d’ancienne figure de style. La répétition, comme son nom l’indique consiste à employer plusieurs fois les mêmes termes pour mettre en valeur une idée, pour exprimer avec plus de force une passion ou pour produire un effet d’insistance.

Exemple :

ud nê halagîhâ zûd zûd pad har zamân arzûg-têzîhâ ôzad

“an” î gôspand.

(Cinquième livre du Dênkard, Madan, p.466)

"Et on n’abattra pas le bétail vainement, très fréquemment et à tout moment quand le désir presse."

Traduction du cinquième livre du Dênkard, p.98-99, chap.24, par.23)

Dans cet exemple, la répétition de l’adverbe "zûd" montre l’insistance. "zûd zûd" signifie : "très fréquemment".

7. Jénâs-e eshtéghagh (la dérivation).

Procédé qui consiste à utiliser dans une phrase deux ou parfois plusieurs mots ayant le même radical, ou des verbes conjugués à des temps différents.

Exemple :

ud rêmanîh hamâg dêwîh ud az dêwân har kû dêw mêhmântar rêmanîh wês.

"Et la souillure est entièrement démoniaque et provient des démons.la souillure est la plus grande en celui en qui le démon réside le plus."

(Cinquième livre du Dênkard, Madan, p.463)

On retrouve ici la figure de dérivation qui relie les termes dêwîh, dêwân et dêw.

Ces termes ont, en effet, le même radical (dêw) qui exprime l’idée fondamentale.

abar ân î az abzônîgîh ud pês-xradîh ud purr-nêkîh î Zardust paydâgîhist ud paydâg ud paydâgîhêd

(Cinquième livre du Dênkard, Madan, p. 437)

"A propos de tout ce qui fut révélé, se révèle et se révélera de la sainteté…"

(Traduction du Cinquième livre du Dênkard, p.31, Chap.3, Par.1)

Ici, paydâgîhist et paydâgîhêd sont deux formes verbales aux conjugaisons différentes.

Dans la langue pehlevi, la dérivation s’emploie beaucoup plus fréquemment que les autres formes de Jénâs. Enfin, nous pouvons conclure que les sonorités servent à enrichir le discours chez les orateurs de cette période. Selon les cas évoqués, le goût des anciens se rapportait aux alliances sonores plutôt qu’à celles du sens. Cela a une importance considérable dans le rythme de syntaxe.

Bibliographie

- Amouzgar, Jaleh et Tafazzoli, Ahmad, La langue pehlevie, littérature et grammaire, 1375 (1997), Téhéran, éd. Moïn.

- Le cinquième Livre du Denkard (Traduction), Studia Iranica, 2000, Cahier 23, Paris.

- Browne, Edward G., A Litterary History of Persia, Vol II, 1951, UK, Cambridge.

- Chahine, Chahnaz et Ghavimi, Mahnaz, Versification française et genres poétiques, 1373 (1995), Téhéran, éd. Samt.

- Jâmâsp-Asana, Pehlevi Texts, 2 vols, Téhéran, Ed. Bonyâd-e Farhang-e Iran.

- Mackenzie, D.N, Farhang-e Kouchak-e Pehlevi, 1373 (1995), traduit par Mahchid Mirfakhrâyi, Téhéran, éd. Pajuhéchgâh-e

olum-e ensâni va motaleât-e farhangui.

- Madan, D.M. (éd), The Complete text of the Pehlevi Dinkard, (Vol. I), 1911, Bombay.

- Homâi, Jalâl-eddin, Fonun-e Balâghat va sanâat-e Adabi, 1384 (2006), Téhéran, éd. Nashr-e Homâ.

Notes

[1Cet article a été présenté lors du 6ème congrès international des études iraniennes au septembre 2007 à Vienne.(http://www.oeaw.ac.at/iran) Je remercie mes professeurs Madame Katayoun Mazdapour et Madame Soheila Saremi pour l’aide qu’elles m’ont accordés dans la réalisation de ce travail.

[2A l’époque des Sassanides, le pehlevi était la langue officielle.

[3C’est-à-dire les mots araméens écrits en alphabets pehlevis, dont la prononciation est aussi pehlevi.


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