|
Entre Achoura et Norouz, lorsque Téhéran est encore sous le froid et la neige, une escapade de quelques jours au Sultanat d’Oman offre un plaisir à ne pas bouder. En survolant le Golfe Persique, le thermomètre passe de - 0° à + 25°. Situé à la pointe sud-est de la Péninsule arabique, Oman, avec ses 1700 km de côtes, les fjords de sa Péninsule du Musandam qui verrouille le Détroit d’Ormuz, les dunes de sables de Wahibah, les wadis plantés de palmiers dattiers, ou encore Mascate, belle capitale qui allie modernisme et tradition, offre au touriste des loisirs inépuisables. La région du Dhofar, proche du Yémen, se visite de préférence en été, quand la mousson, appelée ici qareef, fait verdir le désert.
Le nom Oman proviendrait de tribus arabes originaires d’une région du Yémen appelée Ouman, qui émigrèrent sur son territoire. Il y a environ 5000 ans, les premières oasis cultivées apparaissent dans le piémont occidental de la chaîne montagneuse du Hadjar, région qui se partage de nos jours entre le Sultanat d’Oman et l’Emirat d’Abu Dhabi. Oman est probablement le fabuleux pays de Magan, mentionné dans des tablettes sumériennes de la même époque. C’est le moment où les contacts s’intensifient avec la Mésopotamie, qui possède des gisements d’étain mais manque de cuivre pour fabriquer le bronze. Après avoir recouru aux gisements cuprifères du plateau iranien, il se tourne vers ceux des montagnes de l’actuel Sultanat.
Dès le Moyen-Age, Oman est une nation prospère de marins-marchands qui, du port de Sohar, situé au nord d’Oman, et connu dès l’Antiquité, envoyaient leurs boutres en Afrique, en Inde et en Extrême-Orient. Il est attesté qu’ils atteignirent, il y a fort longtemps, la Chine, les Etats-Unis, ainsi que les côtes d’Afrique centrale et du Sud. Selon la légende, Sinbad le Marin (Abou Obeïda) aurait vécu vers le Xe siècle à Sohar, lorsque, de ses quais, partait le cuivre extrait des mines du massif de l’Hadjar.
Au XIVe siècle, l’île d’Ormuz contrôle, entre la Perse et Oman, le détroit du même nom. Les Portugais prennent Mascate et Sohar puis Ormuz en 1508. Ils créeront, au XVIIIe siècle, des comptoirs maritimes sur la côte des Emirats arabes unis.
Au milieu du XVIIe siècle, l’imam omanais Sultan Ibn Saïf al Yarubi expulse les Portugais et conquiert l’île de Zanzibar puis Mombassa, au Kenya, qui leur appartenaient. Avec leurs possessions africaines, qui s’étendent de Zanzibar à Mogadiscio en Somalie, et celles du Golfe persique qui vont de Bahreïn au Pakistan actuel, les Omanais deviennent colonisateurs, fondant leur richesse sur l’esclavage et le commerce des épices.
Le voisin persan prend ombrage de cette expansion. Le Chah, dépourvu de marine de guerre, propose à Louis XIV d’envoyer, contre rémunération, des vaisseaux français prendre Mascate, ce que le Roi-Soleil refuse, peu enclin au mercenariat. C’est le point de départ de plus de trois siècles de cordiales relations franco-omanaises, bien illustrées par les cartes anciennes et autres documents d’époque du Musée franco-omanais de Mascate. En 1807, le traité de paix perpétuelle et de liberté de commerce consolidera les bonnes relations entre les deux pays
A la mort du Sultan Bin Saïf II en 1718, une guerre de succession éclate à Oman. La Perse intervient et occupe Oman en 1737. Les troupes de Nâder Chah en sont délogées six ans plus tard par le gouverneur de Sohar, Ahmed bin Saïd, fondateur de la dynastie des Bou Saïdides. Cette dynastie, la plus ancienne du Golfe, dirige encore de nos jours le Sultanat d’Oman.
En 1832, le sultan Saïd établit dans l’île de Zanzibar la capitale du Sultanat de Zanzibar, Mascate et Oman. A sa mort en 1856, le royaume est partagé entre ses fils, possessions africaines pour l’un, Oman pour l’autre.
En 1967, la rébellion du Front de Libération du Dhofar, mouvement marxiste soutenu par le Yémen du sud et les pays communistes, aboutit en 1970 à la déposition du souverain Saïd III, au bénéfice de son fils Qabous Ier, douzième descendant de la dynastie.
Son règne inaugure une ère de modernité pour le Sultanat. A l’avènement du Sultan Qabous, en effet, le Sultanat était replié sur lui-même, à plusieurs siècles du monde moderne. Il n’existait que trois écoles, un seul hôpital de 23 lits. La population souffrait de malnutrition et consommait de l’eau polluée. L’espérance de vie y était de 47 ans.
Aujourd’hui, toute la population, qui est d’environ trois millions d’habitants, a accès à l’éducation, aux soins, à l’eau et à l’électricité. La première université, l’Université nationale Sultan Qabous, a ouvert ses portes en 1986. Le réseau routier et les installations touristiques sont bien développés et de bonne qualité.
Le pays est gouverné selon les préceptes ancestraux de l’islam. Le système judiciaire est également fondé sur la loi islamique.
Le gouvernement est un système bicaméral, la loi fondamentale de l’Etat prévoit l’établissement du conseil d’Oman créé par décret royal en 1997. Il comprend le comité consultatif, Majlis al-Surat, dont les membres sont élus par les citoyens omanais tous les trois ans et le conseil d’état Majlis al-Dowlat dont les membres sont nommés par le Sultan. Ce système, au sein duquel la prise de décision est collégiale et consensuelle, fait d’Oman un des ةtats les plus stables de la péninsule Arabique.
Sur le plan international, le sultanat d’Oman est membre de la Ligue arabe et de l’Organisation des Nations Unies. Il fonde sa politique étrangère sur le bon voisinage et la coopération entre les pays du Golfe Persique. En 1981, le Conseil de Coopération du Golfe (CCEAG) comprenant Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Oman, Qatar, soit 44% des réserves mondiales de pétrole, est créé. Il a pour vocation la défense et l’intégration économique des pays membres. Lors de la guerre Iran-Irak, le Sultan Qabous a maintenu les relations avec la République islamique d’Iran et a conservé une certaine neutralité lors de la guerre du Golfe de 1990 à 1991.
Comme les populations autochtones de toute la péninsule arabique, les Omanais sont, pour la plupart, de souche arabe. Ils sont les descendants des tribus bédouines, dont une partie était nomade, vivant de l’élevage des chameaux. L’autre partie, sédentaire, vivait de la pêche des poissons et des perles, de la culture des palmiers-dattiers et des légumes, ainsi que des échanges maritimes internationaux. Dans le Sultanat, on peut croiser aussi des citoyens omanais à la peau noire, descendants des anciennes possessions d’Afrique.
Les Omanais sont, dans leur très grande majorité, musulmans. Dès les débuts de l’islam, les tribus arabes du pays, s’opposant à Ali, adoptèrent l’ibadisme, variante modérée du kharidjisme, mouvement sectaire de l’islam s’opposant tant au sunnisme qu’au chiisme. Les trois quarts des Omanais sont toujours d’obédience ibadite, le quart restant appartenant à la branche sunnite de l’islam. En raison de l’importante minorité indienne, 13 % de la population totale sont hindous.
Le code vestimentaire des Omanais semble, au premier coup d’œil, assez simple : les hommes sont en blanc, les femmes en noir. Quand on croise une famille omanaise lambda, on distingue le chef de famille, élégamment habillé de la dishdasha, robe blanche immaculée très sobre, attachée au col d’un cordon joliment travaillé. Il est coiffé du kumma, chapeau rond brodé ou d’une étoffe nouée en turban, en coton ou laine cachemire. C’est d’ailleurs le vêtement national, porté par les employés de l’Etat. Il est entouré de son ou de ses épouses, vêtues de l’abbaya, houppelande noire qui cache leur belle robe colorée, et qui, rabattue à la main, masque entièrement le visage. Selon leur origine géographique et religieuse, les femmes peuvent porter des robes magnifiquement colorées, sans abbaya. C’est le cas surtout à la campagne. Elles sont presque toujours voilées et peuvent porter un curieux masque, le burqa, qui cache le front et le nez, fait de cuir noir ou de tissu richement brodé, ou encore en or pour les grandes occasions. Les dishdashas portées par les jeunes gens et les hommes le week-end peuvent être de couleur brune, prune, lilas. Lorsqu’ils se déplacent en groupe dans la rue ou sur la plage, l’ensemble est un régal pour les yeux.
En raison de l’insuffisance de la main-d’œuvre locale, Oman est aussi peuplé d’un grand nombre de résidents expatriés (26 % de la population totale), venus pour la plupart d’Asie ou du sous-continent indien, Philippins, Indo-pakistanais, Bengalis, qui représentent le gros de la main-d’œuvre, et qui continuent à porter leur tenue traditionnelle d’origine.
De nombreux ouvriers et ingénieurs venus de Chine construisent à Oman les autoroutes du Sultanat. En ces jours suivant le Nouvel an chinois, il est surprenant de voir, parmi les baraquements des chantiers, des portiques décorés de lampions rouges et des calligraphies chinoises célébrant la nouvelle année.
Bien sûr, Oman est assis sur une réserve de pétrole estimée à plus de 600 millions de tonnes, pour une production annuelle de l’ordre de 40 millions de tonnes, le gaz naturel étant la deuxième richesse du sous-sol. Les pêcheurs de perle, vaincus par la perle de culture japonaise, ont disparu dans les années 1930. Reste, pour envoûter le visiteur, les fragrances produites par l’arbre à encens, qui était l’arbre sacré des anciennes religions monothéistes.
De nombreuses vallées à encens existent à Oman, comme celle de Dawkah qui est classée patrimoine mondial de l’Unesco. La région de l’encens commence dès les montagnes du Dhofar près du Yémen et s’étend jusqu’au Quart vide, la région désertique proche de l’Arabie Saoudite. Le climat chaud et humide de cette région permet la culture de l’arbre à encens qui est considéré ici comme un des meilleurs du monde.
L’encens, extrait du tronc de l’arbre, est toujours employé dans les mosquées, les temples et les églises. Les blanchisseurs omanais en imprègnent les dishdashas de leurs clients, et les femmes placent un brûleur d’encens sous leurs voiles pour parfumer leurs cheveux. Les parfumeurs du monde entier viennent chercher à Oman de quoi créer de nouveaux parfums.
Déjà, les Grecs et les Romains étaient sans cesse à la recherche de l’encens, que leur aristocratie utilisait comme complément des produits cosmétiques et qui était aussi utilisé au cours des cérémonies religieuses.
Mélangé au musc, au santal, à l’ambre, les bâtons d’encens finement moulus permettent de créer des parfums. La résine de l’arbre à encens est également utilisée dans leur composition.
Dans les années 1980, les autorités d’Oman décidèrent de faire revivre la tradition de la parfumerie omanaise. Le savant français Guy Robert, nez de Chanel, Dior, Hermès et Gucci, invité à venir travailler à Oman, mit au point le parfum Amouage à base d’un encens de Salallah, d’eau de rose et de myrrhe. Il est aussi le créateur de Monsieur Rochas, Madame Rochas, Equipage d’Hermès et a participé au Cinq de Chanel. Les bouteilles du parfum Amouage sont en argent pur recouvertes d’or 24 carats. Certaines sont serties de pierres précieuses telles que l’émeraude, la hyacinthe, la malachite, le lapis lazuli. La stylisation du flacon s’inspire de l’héritage omanais. Les flacons de parfum de luxe pour homme sont en forme de khanjar, le poignard omanais, les flacons de parfum pour femmes sont surmontés d’un capuchon doré en forme de mosquée.
La spectaculaire péninsule du Musandam, appelée parfois le mystérieux concierge du Golfe, située face au détroit d’Ormuz, est une partie géographiquement séparée du Sultanat par les Emirats Arabes Unis, et de l’Iran par 45 km à travers les eaux du détroit. Ses hautes falaises de calcaire ont été formées il y a des millions d’années, en même temps que la chaîne de montagne du Zagros en Iran, quand les plaques rocheuses sous-marines sont entrées en collision. Elle voit passer les plus gros tonnages d’or noir du monde. 17 millions de barils transitent chaque jour par ses eaux territoriales, soit 50 % des réserves pétrolières mondiales. Elle reste néanmoins un site paradisiaque dont les eaux habitées par les dauphins sont bordées de fjords vertigineux que les touristes parcourent sur les dhows, les traditionnels boutres de bois. La côte est parsemée de plages et de villages de pêcheurs uniquement accessibles par la mer, habités souvent par une seule famille, formant une tribu, base de la société omanaise. Des vestiges de cités disparues depuis 5000 ans ont été retrouvés, témoins de l’existence d’une autre tribu errante, de l’ethnie des Siqus, qui menait une existence de bergers d’une dureté similaire à celle des Bédouins. On pense qu’ils descendent des populations qui vivaient dans l’extrême nord d’Oman avant l’arrivée des tribus arabes et qui ont résisté au fil des siècles aux multiples envahisseurs.
Une canadienne installée dans la capitale omanaise nous a affirmé : "Muscat is a paradise". En ce mois de février, le festival annuel de la capitale omanaise bat son plein et on peut en effet s’y distraire du matin au soir. Les plages, les parcs, les musées et les salles de spectacle sont réquisitionnés pour offrir à la population des courses de chameaux et de chevaux, des combats de taureaux, des expositions, des concerts, des ballets, des pièces de théâtre, des colloques et des concours de poésie. Revers de la médaille, les hôtels, pourtant fort nombreux à Mascate, affichent complet, les plus beaux se trouvant sur la côte ; tel le Chedi, notre préféré, palace dont l’architecture contemporaine s’inspire de celle, traditionnelle, des nombreux forts qui défendaient la côte des intrusions extérieures dès le XVIIIe siècle.
La mosquée du Sultan Qabous Ier, ouverte en 2001, est un des plus beaux monuments de la ville. C’est l’une des plus grandes du monde. Elle peut accueillir jusqu’à 20 000 fidèles et recouvre 40 000 m². Elle est élevée sur un socle au niveau de la rue pour respecter la tradition omanaise. Elle doit beaucoup au savoir-faire iranien puisque ce sont des maîtres persans qui ont créé son tapis de 21 tonnes, composé d’une seule pièce de 60 par 70 mètres et de 1 700 millions de nœuds. Il en est de même pour les céramiques florales, inspirées des modèles Safavides d’Ispahan, qui ornent ses murs. Des maîtres verriers français ont réalisé les grands vitraux.
La route côtière qui s’étend de Mascate à Sour, important port situé sur la corne de la péninsule arabique, traverse des mangroves, refuge des oiseaux migrateurs, ainsi que de nombreux wadis plantés de palmiers-dattiers géants, ressource agricole très importante à Oman. A la saison des pluies, les eaux de ces rivières, à sec le reste de l’année, se gonflent en un clin d’œil et remplissent, en une semaine, puits et nappes phréatiques, grâce à un ingénieux système de barrages répartis sur le territoire.
Environ 3000 réseaux d’aflajs conduisent l’eau des sources souterraines, par gravité, sur des kilomètres, pour alimenter l’agriculture et les peuplements permanents. Ce système d’irrigation, fruit de l’expérience des anciens Omanais, permet d’envoyer l’eau dans toutes les directions souhaitées. C’est ainsi que montagnes et déserts, transformés en oasis, accueillent la culture d’arbres, de céréales, de fruits et de légumes dans les endroits les plus arides. Cinq de ces systèmes sont également inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Ils ne sont pas sans rappeler les qanats du désert iranien.
Le port de Sour accueillait, il y a encore trois ou quatre ans, des chantiers navals où l’on fabriquait les dhows, ces boutres de bois utilisés par les pêcheurs omanais, qui leur préfèrent dorénavant les barques en fibre de verre, légères et meilleur marché. C’est ici que fut récemment construit le navire de Sinbad, le Sohar, pour démontrer à notre époque les prouesses des marins omanais dans l’antiquité. Il avait un mât principal de 22 mètres et fut construit en utilisant les mêmes techniques que celles des bateaux traditionnels : pas de clous, trois voiles et une coque double. Il commença son voyage vers la Chine en 1981. L’équipage, sous le commandement d’un Irlandais, était composé de vingt marins pour la plupart omanais. Après avoir parcouru 6000 miles en six mois, il arriva en Chine, démontrant une fois de plus que les marins omanais étaient capables de naviguer sur un bateau en fibre de corde et donnant corps ainsi à la légende de Sinbad. On peut l’admirer dorénavant sur une place de Mascate où il est exposé.
A l’intérieur, les dunes de sables de Wahibah accueillent des safaris en voitures tout terrain, pour le plus grand plaisir des touristes et des locaux en mal d’émotion et de montée d’adrénaline. Mais elles sont surtout le lieu de vie d’une faune dont nous découvrons d’émouvantes traces sur le sable au petit matin, en sortant des barastis, ces huttes des campements du désert, recouvertes de feuilles de palmiers.
La grande curiosité d’Oman reste les énormes tortues vertes qui viennent pondre sur quelques plages de l’Océan indien, une fois tous les quatre ans. Ces espèces étant protégées, on ne peut assister à ce spectaculaire événement qu’accompagné de guides munis d’autorisation pour pénétrer sur les sites de ponte, comme c’est le cas à Ras Al Jinaïz, au sud de Sour. A la nuit tombée, pour éviter les prédateurs, ces énormes bêtes, dont le poids peut atteindre 150 kg, creusent un trou profond dans lequel elles déposent une centaine d’œufs, recouverts d’une membrane blanche. Une fois la ponte terminée, elles rebouchent la cavité puis repartent, épuisées, vers la mer.
Les petites tortues sortiront du sable au bout de deux mois, en déchirant la membrane de leur œuf et se précipiteront vers la mer en livrant un inégal combat contre les goélands qui guettent leur apparition. Si elles attendent le jour, la plupart seront dévorées avant d’atteindre l’eau. Une fois la mer atteinte, elles ne seront pas pour autant sorties d’affaire car elles devront encore craindre les crabes ou autres prédateurs marins.
Sur un millier d’œufs, seulement trois ou quatre petits pourront survivre. Notre grande joie est d’avoir pu forcer un peu la nature en confiant aux gardiens du site quelques nouveau-nés menacés d’être dévorés. Après une journée passée dans un aquarium, ils seront mis à la mer, la nuit venue, augmentant un peu leur chance de survie.