N° 29, avril 2008

Thomas Hardy, le poète


Shekufeh Owlia


“The misapprehensiveness of his age is exactly what a poet is sent to remedy” [1]

Thomas Hardy naquit le 2 juin 1840 à Dorset, en Angleterre. Tout en gardant un fond traditionnel, par son souci du détail, son œuvre se place dans la tradition naturaliste. Ce fut à Londres qu’il reçut une solide formation d’architecte, formation qu’il s’empressa d’abandonner pour se livrer à sa passion véritable : l’écriture. Sa poésie ne verra le jour qu’à la fin du XIXème siècle avec un premier recueil intitulé Wessex [2] Poems, composé en plus de trente ans. Après le scandale déclenché par son roman Jude the Obscure (Jude l’Obscur) à l’aube du vingtième siècle, Hardy abandonne définitivement le roman pour se tourner vers la poésie, vouant ainsi le restant de ses jours aux vers et aux rimes. Quoique au début peu appréciés à leur juste valeur, ses poèmes furent plus tard réévalués par les écrivains du Mouvement [3] des années cinquante et soixante. Hardy, à la quête d’une voie nouvelle en prose aussi bien qu’en poésie, devint ainsi un écrivain de renom dans les deux domaines.

Hardy déclarait que la poésie était le grand amour de sa vie. Un bon nombre de ses poèmes, souvent sous forme d’anecdotes en vers, ont pour thèmes les chagrins d’amour, l’indifférence de l’homme aux souffrances des autres, ainsi que l’ironie du sort.

Les personnages et les héros qui peuplent les divers récits de Hardy ne sont jamais maîtres de leur sort ; ils sont en réalité à la merci de forces imprévisibles qui conspirent contre eux. Et ce que le destin leur réserve, à tous et à chacun, semble être au-delà de leur contrôle.

La perte de la foi religieuse au sein de la société contemporaine est un thème qui hante également tous ses écrits. Son œuvre tâche donc de faire taire le brouhaha de la vie moderne ; il s’agit d’un effort visant à remettre en question, voire redéfinir notre place au sein de l’univers et à rétablir notre relation avec le Créateur des cieux dans un monde où la présence divine s’efface un peu plus tous les jours au milieu du chaos de la vie. La soi-disant "disparition de Dieu" bouleversa cet homme de lettres plus profondément que ses contemporains.

Nombreux furent les poètes de l’époque victorienne qui se penchèrent sur la question de la place de Dieu dans l’ère industrielle, citons entre autres Matthew Arnold et Lord Alfred Tennyson. Dans In Memorium, chef-d’œuvre à caractère élégiaque écrit en dix-sept ans, ce dernier nous fait part de ses réflexions sur la relation de l’homme d’une part avec Dieu et d’autre part avec la nature. Le poème d’Arnold intitulé "To Marguerite" se centre sur le thème de l’isolement de l’homme dans l’ère dite moderne ; l’homme, une fois délaissé par Dieu, se trouve en proie à la solitude. Cette citation de Hardy nous en dit bien long : "Well : what we gain by science is, after all, sadness, as the Preacher said. The more we know of the laws and nature of the Universe the more ghastly a business we perceive it all to be.’’ [4]

Se qualifiant de mélioriste [5], Hardy se moquait bien d’être pessimiste, il n’en demeure pas moins qu’un très grand nombre de critiques sont d’avis que les poèmes et les romans de Hardy portent une marque de pessimisme, qu’il l’admette ou non. Avec l’embrasement de la Première Guerre mondiale en 1914, le désespoir de ses poèmes s’accentua.

La mélancolie présente dans les ouvrages de ce grand écrivain fait partie d’une vogue nostalgique propre à la fin de l’époque victorienne ; nous en retrouvons également des traces dans les œuvres du poète A.E. Housman, ainsi que dans la traduction de Fitzgerald des Rubaiyyat of Omar Khayyâm.

Le parcours religieux de Hardy fait état d’un milieu intermédiaire entre l’agnosticisme et le spiritisme. Les fantômes, les esprits ainsi que les forces surnaturelles contrôlant l’univers sont omniprésents dans ses écrits.

A partir de 1903, Hardy se livra à la composition de "The Dynasts", long poème épique en trois volumes traitant de l’épopée napoléonienne, qu’il acheva en six ans.

En 1912, la mort soudaine de sa femme Emma Lavinia Gifford, le plongea dans le deuil et inspira les élégies de Veteris Vestigia Flammae, qui forment un ensemble d’une rare beauté. A sa mort, Hardy fut incinéré et ses cendres furent enterrés dans le fameux ’Poets’Corner’ tandis que son cœur fut enseveli à Stinsford auprès de sa douce Emma.

Cette étoile filante de la littérature anglaise décéda en 1928 après avoir composé un dernier poème sur son lit de mort, qu’il dédia à sa femme défunte.

Hardy laisse une œuvre riche et variée, comportant une dizaine de romans, quatre recueils de nouvelles et près d’un millier de poèmes.

Qui creuse ma tombe

"Ah, mon bien-aimé, ces fleurs

Est-ce toi qui les as plantées ?"

-’’Non, ton mari s’est marié hier

Avec une riche héritière

Croyant qu’il ne te briserait point le cœur

En étant infidèle.’’

"Alors, qui est-ce qui creuse ma tombe,

Est-ce des proches, venus me voir ?"

-Ah, non, ils songent :

"A quoi bon poser des fleurs

Alors qu’il est impossible de déjouer la mort

L’âme ne fuit point le piège du trépas’’

"Mais il y a bien quelqu’un qui creuse ma tombe

Serait-ce mon ennemi, le malin ?’’

-"Non, lorsqu’il apprit que tu avais franchi le seuil de la mort

Cette Terre de laquelle aucun homme ne revient

Il enterra sa haine et se moque bien

D’où tu reposes en paix.’’

"Alors, qui est-ce qui creuse ma tombe ?

Dis le moi donc, puisque je n’ai pas pu deviner !’’

-Ah, c’est moi, chère maîtresse

Ton p’tit chiot, qui vit tout près

J’espère ne pas avoir troublé votre sommeil !’’

’Oh ! Oui, c’est bien toi qui creuses ma tombe

Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

Toi, mon âme sœur véritable !

Hélas ! C’est bien vrai

Qu’aucun amour sur terre

Ne surpasse la fidélité d’un chien !’’

"Maîtresse, j’ai creusé votre tombe

Pour y ensevelir un os

Au cas où j’aurais faim un jour

En faisant ma tournée ici

Je suis bien désolé d’avoir oublié

Que votre tombe se trouvait ici."

Notes

[1"Le poète a le devoir de remédier aux malentendus de son âge’’.

[2Wessex : Ancien royaume des Saxons de l’ouest.

[3Nom donné en 1954 par J.D. Scott, éditeur du ’Spectator’, à un groupe d’écrivains anglophones, comprenant Philip Larkin, Donald Davie, D.J. Enright, John Wain, Elizabeth Jennings, Thom Gunn, et Robert Conquest.

[4"La science est une source de tristesse immense, nous dit le prédicateur. Plus nous en savons sur la nature de l’univers et ses lois, plus le tout semble être une affaire à la fois horrible et effrayante."

[5Mélioriste : Personne qui croit que le monde peut devenir meilleur grâce aux efforts des hommes.


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