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Féreydoun Joneydi : "La fête "Tchelleh" [1] et la fête de "Norouz" [2] montrent que nos ancêtres avaient des connaissances très poussées en mathématique et en astronomie."
Monsieur Fereydoun Joneydi est le Directeur de la Fondation Neyshâbour. Cette fondation privée a pour but de promouvoir la recherche sur l’histoire, les langues et les civilisations iraniennes. La Fondation Neyshâbour, qui accueille chaque année des dizaines d’amoureux des civilisations de l’Iran, a été inaugurée en 1979, grâce aux efforts incessants de Monsieur Joneydi, qui explique que l’idée d’une telle entreprise lui était venue à l’esprit le jour où il s’était rendu compte que ceux qui s’intéressaient à l’Iran devaient être assez fous pour y consacrer leur vie entière. Au début, le succès de cette fondation, où le Maître enseigne bénévolement les langues anciennes de l’Iran, n’était guère assuré, mais aujourd’hui, elle est devenue un centre important de recherches internationales sur l’Iran.
-Monsieur Joneydi, si Yaldâ est une fête iranienne, pourquoi n’a-t-elle pas un nom iranien ? [3]
-On appelait cette fête "la fête de Tchelleh" dans toutes les régions de l’Iran jusqu’à il y a vingt ans. Je ne sais pas pourquoi, l’appellation de cete fête a changé tout d’un coup. Nous utilisons en Iran, encore de nos jours, les termes "petit tchelleh", "grand tchelleh" [4], "tchelleh de l’été". Ces termes nous montrent que les iraniens avaient, dans les temps anciens, un calendrier suivant lequel l’année était divisée en 9 périodes de 40 jours, plus une période de 5 jours en fin d’année, juste avant Nowrouz, qui correspondait aux 5 jours réservés au retour de l’âme des défunts, et pendant lesquels des cérémonies religieuses avaient lieu. Plus tard, le calendier fut changé en 12 périodes de 30 jours, plus les 5 jours de la fin de l’année.
-A quoi correspondait cette fête dans les temps anciens ?
-Cette fête était la célébration de Mehr. Mehr représentait la fidélité à l’engagement et au serment. Son symbole dans le monde matériel était la lumière de l’aube. Il est écrit dans "Mehr-Yacht" - chapitre de l’Avestâ [5] consacré à Mehr - que la première divinité qui apparaît avant le soleil au-dessus du mont Alborz est Mehr. Mehr est donc la lumière de l’aube, qui apparaît avant le lever du soleil.
Les Iraniens restaient réveillés au cours de la nuit la plus longue de l’année, pour prier et attendre l’aube. Au cours de cette veillée, ils étaient joyeux et mangeaient toutes sortes de fruits frais et de fruits secs, ce qui était une manière de louer et deremercier le Créateur. L’une des conséquences de cette coutume était que les Iraniens cultivaient différentes sortes d’arbres fruitiers, ce qui leur permettait d’avoir des fruits pendant toute l’année.
-De quand date cette fête en Iran ?
-Cette fête date du règne de Féreydoun, c’est-à-dire de l’époque où les iraniens furent libérés du joug des Babéliens. Cet évènement historique est retracé dans l’histoire de Zahâk, dans le Shâhnâmeh de Ferdowsi [6]. Les iraniens continuèrent à célébrer cette fête après l’avènement du zoroastrisme, et continuent à la célébrer encore de nos jours alors qu’ils sont musulmans pour la plupart, car les valeurs que représente Mehr leur tiennent à coeur. Célébrer la fête de Tchelleh signifiait et signifie encore pour les Iraniens que la longue nuit sombre prendra fin, et le monde s’éclaircira avec l’apparition de la lumière de l’aube.
-Vous dites que cette fête date du temps où Féreydoun régnait en Iran. Est-ce que Féreydoun n’est pas un héros mythique ?
-Ces personnalités que l’on considère comme appartenant aux mythes et légendes iraniens ont réellement existé. L’Iran a un passé très ancien, qui remonte à plusieurs millénaires, et dont nous n’avons encore que des connaissances rudimentaires. Féreydoun est une figure non pas mythique, mais historique, mais nous ne savons pas encore exatement la date de son règne.
Monsieur Berbérian géologue renommé, membre de l’Académie des Sciences de New York et de la Fondation Neyshâbour, a fait récemment des études avec le carbone14, et il estime que la libération des Iraniens du joug des Babéliens (c’est-à-dire le règne de Féreydoun) remonte à 6000 ans. Ce n’est qu’une estimation bien entendu, mais les fouilles archéologiques montrent qu’il y avait en Iran des civilisations très évoluées, datant d’il y a au moins 5000 ans.
Je vous cite deux cas qui montrent le degré de connaissances auxquelles les Iraniens étaient parvenus il y a des millénaires :
Au cours des fouilles archéologiques dans "Shahr-e Soukhteh" [7], on a trouvé le crâne d’une jeune fille de 16 ans que l’on avait trépané pour faire sortir l’excédent du liquide céphalo-rachidien ; cette intervention chirurgicale date d’il y a 4850 ans.
De même, au cours des fouilles effectuées près de Djiroft [8], on a trouvé un crâne avec un oeil artificiel, ce qui montre que les habitants de cette région étaient capables d’opérer les yeux il y 5000 ans.
De plus, le professeur Madjid-Zâdeh, responsable des fouilles archéologiques de Djiroft, a trouvé récemment une tablette sur laquelle est gravé un texte. Cette écriture est plus vieille d’un demi-millénaire que les premières écritures sumériennes, ce qui va dans le sens de la théorie selon laquelle l’invention de l’écriture s’est concrétisée en Iran.
Quand nous mettons ces éléments les uns à côté des autres, dire que Féreydoun était le roi des Iraniens il y a 6000 ans devient plausible.
-J’ai lu dans certains documents que la fête de la naissance de Mehr avait lieu, dans les temps anciens, lors de la fête de Mehregân.
-La fête de Mehregân date elle aussi de l’époque où les Iraniens commencèrent à adorer Mehr, c’est-à-dire à l’époque où Féreydoun était roi d’Iran ; mais elle n’était pas la célébration de la naissance de Mehr. La fête de Mehregân a lieu au début de l’automne, c’est-à-dire au moment des récoltes. Mehregân avait pour fonction de célébrer les récoltes.
Je voudrais ajouter une chose : Ce qui est important, et qu’il faut retenir, est que la fête de Tchelleh et la fête de Nowrouz, ces deux grandes fêtes très anciennes que les Iraniens célèbrent l’une au solstice d’hiver et l’autre à l’équinoxe du printemps, nous montrent que les Perses avaient, il y des millénaires, une connaissance poussée en mathématiques et en astronomie, et donc des moyens pour calculer et mesurer le temps.
-Je vous remercie pour cet entretien.
[1] Tchelleh signifie "quarantaine" en persan.
[2] Nowrouz signifie "jour nouveau" en persan ; c’est le nom de la fête du Nouvel An iranien, qui est célébrée le premier jour du printemps.
[3] Yaldâ est un mot d’origine syriaque, et signifie "naissance".
[4] "Petit tchelleh" et "grand tchelleh" correspondent à la première et à la seconde partie de l’hiver.
[5] L’Avestâ est le livre sacré des zoroastriens.
[6] Ferdowsi (932-1020 après J.C) est le grand poète épique persan, dont le chef-d’oeuvre, nommé "Shâhnâmeh" (mot qui signifie "livre des rois") retrace l’histoire de l’Iran ancien. Pour écrire son livre, Ferdowsi a utlisé des documents datant de l’époque de la dynastie Sassanide (224-651 après J.C), écrits en langue Pahlavi, qui retraçaient l’Histoire des rois de l’Iran depuis les origines.
[7] Site archéologique situé dans la province du Sistân-Baloutchestân. Le terme "Shahr-e Soukhteh" signifie en persan "ville brûlée".
[8] Ville située au sud de l’Iran, dans la province de Kerman.