N° 26, janvier 2008

L’histoire du thé et du safran en Iran


Hoda Sadjâdi


Dans la plupart des cultures du monde, le thé est considéré comme une boisson ayant des vertus médicinales et curatives nombreuses, notamment concernant certains cancers. Il existe de nombreuses légendes concernant l’apparition de l’utilisation du thé comme boisson. Par exemple, les Chinois racontent qu’il y a 5000 ans, le vent avait amené quelques feuilles de thé dans la tasse d’eau chaude de l’empereur de Chine, et cet événement fut à l’origine de la consommation du thé en tant que boisson. Environ 2700 ans av. J.-C., le thé était cultivé en Chine à grande échelle et consommé sous forme d’infusion pour lutter contre la fatigue. Elle serait ensuite venue de la Chine en Europe.

Les feuilles de thé, Lâhîjân

Le thé et le safran comptent parmi les meilleurs produits agricoles iraniens dont la saveur et le parfum ont toujours été très appréciés par ses habitants. Ils sont aujourd’hui cultivés dans les régions du Guîlân pour le thé et le Khorâssân pour le safran.

L’histoire du thé en Iran

Pendant des siècles, les Iraniens ont bu du café et ne connaissaient pas le thé. C’est pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, les salons de thé ont conservé le nom de Qahveh Khâneh, c’est- à-dire "maison du café". Avec la domination des Ottomans sur les territoires de l’ouest et les tensions qu’elle occasionna au niveau des approvisionnements, il y a eu une pénurie de café en Iran. A cette même époque, l’Iran et l’Inde entretenaient de bonnes relations commerciales et les marchands des deux pays commencèrent à effectuer des échanges croissants. Ainsi, pour la première fois, le pays procéda à de vastes importations de produits indiens auparavant méconnus des Iraniens, y compris le thé. Le "tchây" ("thé" en persan actuel) n’est ainsi pas un mot persan mais viendrait de Chine, où le théier à deux noms : "Té" qui, selon le dialecte du peuple de la région Amoy, se prononce "Tây" ou "Tchâ". Peu après son introduction, le thé remplaça peu à peu le café en Iran.

Au début du XIXe siècle, un marchand iranien du nom de Mohammad Guîlânî emmena la première boite de thé dans le bazar de Tabrîz. Peu à peu, au vu de la croissance de la consommation de ce produit dans le pays, un nombre croissant de marchands essayèrent d’en importer en Iran. Le thé chinois entrait en Iran par le Turkestan et le thé indien arrivait par le Baloutchistan et les ports du sud.

Sous le règne de Nâssereddîn Shâh, il y a eu une forte croissance du volume des importations de thé notamment du à l’ouverture des marchés iraniens aux produits étrangers.

Un célèbre marchand de l’époque, Hâdj Mohammad Hossein Ispahânî qui acheta et distribua le thé pendant des années en Iran, partit en Inde afin d’apprendre la culture du théier et revint dans son pays avec des graines de thé en 1884, après avoir effectué trois ans d’études et de recherches sur cette plante. Il y consacra d’ailleurs toute sa fortune et réussit, malgré beaucoup de difficultés, à cultiver une petite surface de thé à proximité de Lâhîjân. Malheureusement, l’absence de soutien du roi ainsi que le refus des grands producteurs de riz de la région de voir se développer la culture de ce produit fit échouer le projet de Mohammad Hossein Ispahânî.

Kâshef Alsaltâneh Tchâykâr

Mohammad Mîrzâ Kâshef Alsaltâneh partit en Inde en 1897 pour y assumer la fonction de consul d’Iran, fut également chargé par le roi Nâssereddîn Shâh d’apprendre la culture du thé, ce dernier lui ayant confié : "Cela fait des années que je suis partisan du développement de la culture du thé en Iran. J’ai déjà demandé plusieurs fois des graines de thé à la Chine et à l’Inde, mais les cultures ne sont jamais arrivées à maturité. Pourtant, je ne me suis pas résigné. A l’occasion de votre mission en Inde, je vous demande d’apprendre à maîtriser la culture du thé, d’en étudier attentivement les différentes étapes, et de nous envoyer des graines de qualité."

Le père du thé Iranien

Mohammad Mîrzâ Qavânlou, plus célèbre sous le nom de Kâshef Alsaltâneh Tchâykâr, est né en 1865 à Torbat Heydârieh. Son père s’appelait Assad Allâh Nâ’ebololîâ et sa mère, Jahân Arâ Azîzolsaltâneh, était une princesse qâdjâre. Dès son enfance, Mohammad Mîrzâ apprit la littérature arabe et persane avec des professeurs privés qui venaient à son domicile. Il entra par la suite à l’école Darolfonoun où il étudia la langue française et les sciences. A 16 ans, il fut employé par le ministère des affaires étrangères et devint secrétaire du ministre Mîrzâ Nâsser Allâh Moshîroddoleh.

Après avoir passé deux ans à travailler aux côtés du ministre, il partit à Paris en 1919 afin d’étudier le droit à la Sorbonne. Après avoir obtenu sa maîtrise, il étudia également le droit administratif pendant un an, et fut en même temps nommé premier conseiller de l’ambassadeur de l’époque. Lors de son retour en Iran, selon l’ordre du roi Nâssereddîn Shâh, il commença à traduire et à rédiger la Constitution et les lois administratives en collaboration avec Nâsser Malek.

A cette même époque, il rejoignit les opposants du roi qui demandaient la mise en place d’un Etat parlementaire en Iran, qui se solda par son arrestation sur injonction du roi. Cependant, Mohammad Mîrzâ parvint à s’échapper et partit à Torbat Heydârieh puis sur ses terres à Neyshâbour. Les policiers cernèrent la ville pour l’arrêter. Il s’enfuit donc via le Turkménistan puis se rendit en Turquie. Il fit le commerce du tapis et d’antiquités à Istanbul, jusqu’à ce que le roi qui le poursuivait sans relâche demande son arrestation au gouvernement turc. Il fut donc contraint de se réfugier à Paris où il demeura jusqu’à l’assassinat du Shâh.

Les fermières à la ferme de thé, Lâhidjân

Mohammad Mîrzâ s’est marié à trente ans avec Gohar Guérânmâyeh. En 1934, sur ordre du ministre des affaires étrangères, il devint consul général d’Iran en Inde. Il vécut à Bombay puis dans le district politique de la région de Simla, situé à proximité de l’Himalaya, où il commença à étudier le thé. Par la suite, il voyagea au sein de régions réputées pour la culture du thé. En observant la culture et l’industrie du thé en Inde, Mohammad Mîrzâ réussit à acquérir des connaissances solides dans ce domaine et obtint un certificat en vigueur dans l’Inde de l’époque l’autorisant à en faire la culture.

A cette période, l’industrie du thé était une véritable chasse gardée et la diffusion des techniques de culture du théier était interdite dans la majorité des pays orientaux. Il acheta donc une exploitation dans la région même et commença à y cultiver le thé. Après avoir maîtrisé la culture et l’industrie de cette plante, il retourna en Iran. Malgré les difficultés évoquées, Mohammad Mîrzâ parvint à emmener avec lui des graines de thé, près de 4000 plants de cette plante, du café, de la cannelle, du poivre, des clous du girofle, du camphre, de la racine de curcuma, de la cardamome, de la mangue et du gingembre.

Le safran ou Crocus Sativus

Kâshef Alsaltâneh parvint donc à importer de nombreux plants de thé en Iran. En regard avec ses expériences indiennes, il choisit la région du Guîlân, ayant selon lui le climat le plus favorable, pour y cultiver son thé. Il fut de nouveau confronté à l’opposition des grands propriétaires de Lâhîjân ; cependant, après l’intervention de Mohammad Valî Khân Ténékabonî, le gouverneur du Guîlân, il put mettre en place librement ses activités. Ses premières tentatives marquèrent donc le début de la culture du thé en Iran. Il déploya également de nombreux efforts pour apprendre cette culture au peuple de la région, néanmoins, les protestations de la population locale ne lui facilitèrent guère la tache. A force de patience, il réussit cependant à diffuser l’ensemble des méthodes liées à la culture, à la cueillette, et au séchage du thé et put finalement développer la production de thé dans la région du Guîlân et surtout à Lâhîjân.

Sous le règne de Rezâ Khân, Kâshef Alsaltâneh, qui possédait la licence de production de thé d’Iran depuis le règne de Mozafareddîn Shâh, fut élu responsable de l’ensemble de la production de thé. Il étudia également de près le développement de l’industrie du thé en Chine et au Japon, afin de découvrir les raisons de leur succès. Il fit aussi venir des spécialistes chinois, importa de nouvelles graines de Chine et acheta des machines agricoles afin d’étendre cette industrie en Iran. En raison des efforts de Mohammad Mîrzâ Qavânlou dans ce domaine, il lui fut décerné le titre de "père du thé iranien". Il décéda sur la route du retour de l’un de ses voyages en Inde, près de Boushehr, dans un accident de voiture. Il fut enterré à Lâhîjân, où on érigea un monument à son souvenir.

Le safran

Le safran ou Crocus Sativus fait partie de la famille des Iridacées. Son nom scientifique proviendrait de Corycus, une région de l’est de la Méditerranée. Selon certains chercheurs, le safran proviendrait de l’ancien Etat mède d’Iran, alors que d’autres soutiennent au contraire qu’il proviendrait de plusieurs pays, comme la Grèce, la Turquie, l’Asie mineure et l’Iran.

Les Iraniens ont exporté le safran dans différents pays du monde antique durant des siècles, et ont enseigné sa culture et ses propriétés aux Grecs, Chinois, Romains, ainsi qu’aux peuples sémites, y compris les Arabes. Ils ont ainsi enseigné la culture du safran aux nations musulmanes des bords de la méditerranée pendant les quatre premiers siècles de l’Islam.

Ainsi, les premières cultures de safran dans le bassin méditerranéen auraient été mises en place par les Iraniens exilés sous le règne de Moavieh en Syrie. Par la suite, la culture du safran se répandit en Afrique du nord ainsi qu’en Andalousie et en Sicile. Deux grandes tribus iraniennes, Rostamiân et Bânou Tabarî, ont été à la base de la diffusion de cette culture aux autres peuplades musulmanes.

L’histoire nous montre que l’or et le safran ont toujours fait partie intégrante de la culture des Iraniens : au cours de leurs cérémonies et des fêtes, ils jetaient des pièces d’or et du safran sur leurs mariés, les rois ou les pèlerins. Dans certaines cérémonies, ils jetaient seulement du safran, qui était parfois accompagné de légères pulvérisations d’eau de rose ainsi que du parfum du musc, d’ambre gris et de bois d’aloès brûlé.

A l’époque des Achéménides, le safran était utilisé pour colorer le pain et parfumer les plats.

Darius, le célèbre roi de la perse antique, se parfumait avec une huile faite à base d’un mélange d’huile de tournesol avec du safran et du vin de datte. Sous le règne des Parthes, le safran iranien était exporté à Rome et en Grèce. La Chine fut aussi plus tard l’un des plus gros acheteurs de safran iranien. Sous les Sassanides, la culture du safran se répandit à Qom et à Boun, et sa qualité tendit à s’améliorer. A cette même époque, le safran était utilisé pour la fabrication des papiers précieux : on mélangeait le safran avec de l’encre afin d’obtenir de l’encre rouge ou jaune qui était utilisée pour rédiger les ordres, les lettres des rois et des Emirs ainsi que pour écrire le nom des livres ou les titres des chapitres des livres.

Pendant des siècles, l’encre mélangée avec du safran fut ainsi utilisée pour colorer, enluminer et ornementer les bords des pages ou même écrire des prières et des talismans. Selon les vieux documents rédigés en pahlavi, le nom persan du safran était "karkam". Le mot actuel "za’feroun" provient sans doute d’une arabisation de ce même mot. Cependant, selon plusieurs recherches, le mot "karkam" serait d’origine sumérienne. Dans certains ouvrages arabes et persans, on peut trouver une dizaine de mots faisant référence au safran ; cependant, le mot "za’feroun" demeure le plus utilisé par les poètes ou écrivains iraniens pour désigner cette plante et ses caractéristiques.

En Europe, la culture du safran fut d’abord développée au Xe siècle en Espagne par les arabes, qui l’avaient eux-mêmes apprise des iraniens. Elle s’étendit ensuite au XVIIIe siècle dans la région de Walden en Angleterre, c’est pour quoi aujourd’hui cette région est connue du nom de "Saffron Walden".

Le safran et l’art

De l’enluminure des pages des livres évoquée précédemment au tissage du tapis, le safran a toujours joué un rôle central dans l’art iranien. Il fut ainsi l’un des colorants naturels le plus utilisé dans ce domaine. Les meilleurs tapis persans tissés avec des fils en soie, qui sont aujourd’hui exportés dans les différents pays du monde, sont colorés avec des colorants naturels dont le safran. En outre, dans le passé, les artisans ainsi que les rois et les Emirs croyaient que l’utilisation du safran pouvait conférer un certain aspect sacré à leur travail. Aujourd’hui encore, le safran est utilisé en Iran comme un colorant précieux dans les domaines de la peinture et de la sculpture.


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9 Messages

  • safran 11 novembre 2009 02:55, par Hassan Maache

    nous sommes de Maroc , precisement a la region de safran taliouine province de Taroudant.
    je veuv remercie les informationes tres riches .si possible de nous aide a voir un exemple d’analyse de safran Iranienne .sur tout la moitie de matire safranal.
    autre fois merci beaucoup a bien tot
    Maache Hassan
    biliss01@hotmail.com

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  • L’histoire du thé et du safran en Iran 20 mars 2014 10:46, par badi marif

    je lisais toujours vos articles avec passion .Ils m ont été d un grand profit. Je vous remercie de vos efforts et dieu vous recompensera .Je vous demande respectueusement s il est possible de consacrer une etude sur le recit du coran relatant l histoire de harout et marout a Babylone et en particulier sur les vestiges traces fouilles des archéologues et contes legendes qui ont persiste a ce jour dans la region .mes remerciements

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  • L’histoire du thé et du safran en Iran 20 mai 2014 17:52, par Frédéric Pire

    "Darius, le célèbre roi de la perse antique, se parfumait avec une huile faite à base d’un mélange d’huile de TOURNESOL"
    Les perses avaient déjà découvert l’Amérique ^^ ? Les tournesols sont originaires du nouveau Monde, ce qui est improbable dans l’antiquité.
    Apparemment Darius se parfumait avec quelque chose se rapprochant du kyphi égyptien et contenant du safran.

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  • L’histoire du thé et du safran en Iran 22 mars 2015 13:16, par banga edgard yannick

    Salamoileikom je suis un jeune cameroun etudiant dans les science islamique vivant au cameroun j ai avec des ami bu du thé iranie vraiment c est super j aimerais prendre contact avec certaine de ces entreprise pour pour commercialiser ce thé au cameroun à echellon nationale comme mi prendre je compte vraime sur votre aide merci vive la republique d iran

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  • L’histoire du thé et du safran en Iran 15 août 2015 15:18, par josyane Belliard

    Bonjour

    Je suis Française et j’écris à partir de la France (Menton près de Nice). Je m’intéresse depuis de très nombreuses années à l’Histoire Perse, Iranienne. Cependant, ma culture reste livresque. J’espère que j’irai un jour visiter l’Iran et tous ses sites antiques.

    Je suis heureuse d’avoir découvert votre site que je vais consulter de plus en plus souvent.

    Je cherche également, une ou plusieurs correspondante(s) iranienne(s), habitant en Iran et avec qui correspondre en Français.

    Où puis-je trouver du thé iranien en France ?

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  • Devant me rendre en Iran au mois de septembre, je zappe sur le net afin de trouver quelques informations J’habite un petit village dans les Landes Le net donne pas mal de renseignements

    J’ai l’impression que le voyage que je dois faire a beaucoup de ressemblance avec vos descriptions

    Merci et bonne continuation

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  • L’histoire du thé et du safran en Iran 14 juin 2017 14:45, par Fleurs d’Epices

    Bonjour

    Je suis d’origine iranienne et j’ai une Entreprise dans la région centre avec de nombreux produits iraniens dont le thé et le safran.

    Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à me contacter.

    fleursdepicestours@gmail.com

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