La Perse safavide connut, au cours des différents règnes et au gré des changements de capitale, un âge d’or qui toucha tous les domaines, de l’urbanisme à la peinture, en passant par l’art de vivre. L’architecture safavide, héritière du passé, s’épanouit ainsi au contact des civilisations mongole, ottomane et occidentale, qui évoque déjà une certaine globalisation des cultures avant l’heure.

A la faveur de nombreux échanges avec l’Europe, nombreux furent les voyageurs qui témoignèrent, au travers de leurs récits et correspondances, de l’ouverture et du rayonnement culturel de la Perse safavide. La civilisation de l’ancienne perse nous a ainsi légué un héritage culturel et artistique extrêmement riche et universellement apprécié. L’architecture historique de ses villes anciennes porte la marque de certains aspects de cette tradition et reste le témoin d’un héritage très ancien. En outre, l’existence d’un lien fort entre nature et histoire alla de pair avec la créativité et l’ingéniosité déployée dans l’aménagement de l’espace et de l’émergence de différents styles architecturaux.

Colombier, Meybod, Yazd

Parmi les monuments prodigieux de l’ère safavide, les colombiers semblent avoir été moins évoqués. Ils formèrent néanmoins partie intégrante des faubourgs d’Ispahan de cette époque et furent un exemple du style architectural de l’ère safavide parfois non exempt d’une certaine touche d’excentricité. Cet ensemble homogène d’architecture urbaine, construit en grand nombre dans les champs verdoyants et fertiles des villages d’Ispahan, avait pour objectif principal la récolte des fientes de pigeon, mais visait également à éloigner les pigeons des champs cultivables pour les empêcher de dégrader ces terres et enfin à chasser les pigeons pour s’en nourrir. En effet, les agriculteurs de l’époque avaient été bien surpris de constater les effets positifs des fientes de pigeon sur leur sol, et les considérèrent donc désormais comme un des meilleurs éléments nutritifs et fertilisants des terres. L’efficacité de l’engrais à base de fiente était plus particulièrement saillante dans le domaine des cultures maraîchères, notamment le melon et la pastèque. Nous ignorons cependant la date précise de leur construction. Nous sommes cependant certains qu’il y a 700 ans, il y existait tout un commerce intérieur de colombiers entre les agriculteurs locaux et les propriétaires terriens qui devaient payer chaque année des taxes à l’Etat. Néanmoins, Hâfez Abrû nous révèle dans son livre intitulé Majma-al-Tawârîkh (œuvre qu’il rédigea à la demande de Shâhrokh, gouverneur timouride de l’époque) que selon le décret du septième gouverneur Ilkhanide (1271-1303), la chasse aux alentours des champs était déclarée officiellement interdite.

Selon les rapports datant de cette époque, la fiente de pigeon comptait ainsi parmi les principaux revenus annuels de l’Etat et constitua un enjeu du développement économique du secteur agricole. Cela est notamment une des causes expliquant le fait que dans la Perse antique, la détention d’oiseaux et son élevage occupaient une place importante.

’’Je crois que l’Iran est le pays où les meilleurs colombiers furent construits. Ces gigantesques tours sont six fois plus élevées que nos plus grands centres de recherche étudiant les différentes espèces d’oiseaux. J’ai dénombré plus de 3000 colombiers aux alentours d’Ispahan’’ nous raconte "Chartin’’, voyageur français qui décida de partir pour la Perse et l’Inde à l’âge de 22 ans pour y faire du commerce de diamants. Très vite, il plût au roi de Perse Shâh Abbâs II, qui en fit son marchand jusqu’en 1670. Il publia alors Le couronnement de Soleiman troisième, roy de Perse. En1673, il retourna en Perse et resta quatre ans à Ispahan. En 1686, il publia la première partie des Voyages de monsieur le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient ; ouvrage qui sera largement salué par Montesquieu, Rousseau, Voltaire et Gibbon. Dans cette œuvre, il prétend connaître la ville d’Ispahan mieux que Paris. Chardin considérait que l’histoire et les monuments d’Ispahan étaient tellement uniques qu’il consacra l’un des dix volumes de son œuvre sur l’Iran à cette ville. Aujourd’hui encore, ses écrits restent d’un grand intérêt et témoignent de la vie persane de cette époque.

Colombier, Meybod, Yazd

Selon une idée répandue mais néanmoins erronée, la forte augmentation de la demande d’engrais à base de pigeon, étant également employé comme combustible dans les maisons, entraîna une pénurie de cette substance. Selon le recensement de 1676, on avait dénombré un total de 606 colombiers hors d’usage ou à même d’être utilisés. 65 colombiers avaient été déjà enregistrés par l’Organisation des Héritages Nationaux de l’Iran. Or, ce ne fut que peu avant le développement de l’industrie pétrochimique, au début des années 1960, que l’engrais animal commença graduellement à perdre sa position de choix.

Il est important de noter que les styles architecturaux de ces tours sont très variés et diffèrent d’une région à l’autre. A titre d’exemple, au nord-est et au sud d’Ispahan, la forme circulaire est dominante tandis qu’à Khân sâr et Golpâygân, villes situées au nord-ouest, elles sont le plus souvent de forme quadrangulaire.

Les plus anciennes formes sont les structures cylindriques. Pour maintenir la solidité de la colonne, le corps externe était construit en forme oblique, à l’opposé de la paroi interne qui remontait verticalement jusqu’au toit. A l’extrémité du toit se trouvait une coupole qui servait à la ventilation, à l’éclairage, ainsi qu’au va-et-vient des oiseaux. Au milieu de la coupole de certaines tours se trouvaient également d’autres tourelles de dimension moindre. Le plan de l’espace interne était élaboré de façon à loger le plus grand nombre possible de pigeons dans des petites chambres-cellules conçues à cet effet. Cet espace était assez vaste pour permettre aux oiseaux de s’envoler librement. Cependant, les serpents et les oiseaux sauvages représentaient une menace majeure et constante pour la vie de milliers de pigeons. Certaines mesures avaient alors été alors prises ; on avait notamment recouvert le dôme de plâtre réticulaire pour empêcher l’entrée des animaux - en particulier des serpents - et on remplissait de temps en temps des pots en terre de lait que l’on plaçait à côté d’anneaux de chaux sous la terre. Selon une idée répandue à l’époque, cette méthode permettait d’empoisonner mortellement les serpents. Une fois par an, les agriculteurs entraient à l’intérieur des tours par une grande porte pour collecter les fientes. Ensuite, la porte était scellée avec du plâtre.

Certaines villes comme Ispahan, Falâvarjân, Homâyûn Shahr, Khânsâr , Golpâygân, ainsi que plusieurs autres villes situées à l’est d’Ispahan comptent parmi les lieux où l’on trouvait le nombre le plus important de colombiers. Ces somptueuses structures étaient cependant souvent prises pour des citadelles et des tours de surveillance.

Colombier, Ispahan

Les colombierss devinrent rapidement des infrastructures essentielles de l’ensemble du secteur agricole de la Perse Antique, et constituaient un objet de fierté.

En raison d’une bonne climatisation adaptée aux besoins des pigeons et de leur sécurité, ils constituèrent des zones protégées par excellence pour ces derniers. Les pigeons entraient à l’intérieur de la tour au travers de tuyaux de tuile dont le diamètre correspondait à la taille des pigeons, ce qui empêchait les oiseaux chasseurs comme les faucons, les hiboux ou les corbeaux d’y pénétrer. Des dispositifs étaient également mis en place pour éviter l’accès aux tours des pigeons agresseurs, étant donné que l’entrée d’un seul élément ou oiseau gênant suffisait pour menacer la sécurité et la vie de milliers de pigeons et se traduisait par l’évacuation des milliers de colombiers.

Pour augmenter le nombre d’entrées, on attirait même parfois les pigeons en disposant certaines plantes et tête d’animaux dont l’odeur les attirait. Ainsi, des têtes de loups et de hyènes étaient parfois placées à différents endroits des colombiers sur des nids. L’effet du Bâdgîr ou plutôt de la ventilation naturelle ainsi que l’éclairage à l’intérieur des tours font partie des autres éléments pris en compte.

D’après les études des architectes contemporains, le plan et les principes employés dans la construction des colombiers révèlent une bonne connaissance des diverses sciences des constructeurs de l’époque. A titre d’exemple, la résistance du corps interne de la tour aux vibrations intenses produites par le brusque envol de milliers de pigeons s’échappant en collectivité à travers les orifices nécessite une bonne connaissance des règles physiques de la résonance. En outre, l’aménagement permettant une rentabilisation maximale de la surface par rapport au volume fixe de la colonne fait preuve d’une bonne maîtrise des règles mathématiques et des principes géométriques. D’autre part, le développement horizontal et vertical de la colonne et sa division en des milliers de marches et d’étages servait d’échafaudage lors de sa restauration.

Ces constructions et anciennes techniques que l’on peut trouver dans différents pays constituent des éléments qui complètent le grand musée de l’histoire du monde. La préservation et la restauration de tels monuments fait à ce titre partie des obligations de l’Organisation de Protection des monuments culturels et touristiques de l’Iran, qui est actuellement dirigée par le vice président de la république.


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  • Les colombiers 2 mai 2015 16:41, par Buysse Robert

    Bonjour,
    après un voyage de 15 jours en Iran à mon retour j’ai découvert votre site.
    Exceptionnel tout comme votre pays, la population est accueillante, souriante et aimable.
    Je suis heureux d’avoir découvert le pays et maintenant votre site qui m’apporte les informations complémentaires pour mes albums car plus de 3000 photos à classer.
    Merci et j’espère que vous continuerez ce site merveilleux.
    Bien à vous
    Robert Buysse

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