N° 50, janvier 2010

Paris Photo 2009


19 - 22 novembre 2009

Jean-Pierre Brigaudiot


C’est une foire d’art consacrée à la photo ; elle est la plus marquante de la saison parisienne et bien que parisienne, elle se présente comme une foire très internationale. Elle se tient au Carrousel du Louvre, cet espace en sous sol que partagent le musée du Louvre, les ruines d’un Paris moyenâgeux, des commerces et les espaces consacrés aux salons et expositions.

Photo : Sadegh Tirafkan

La photo a mis longtemps, très longtemps, à acquérir le statut d’art à part entière. Elle fut d’abord reconnue comme technique, ce qui selon une séparation séculaire lui interdisait en tant qu’art mécanique, de rejoindre les arts libéraux, autrement dit les beaux arts. La photo repose sur des appareils et des techniques créés pour représenter le monde ou en présenter certaines apparences, ou simplement les évoquer. Car toute photo, si fondée sur la mimésis soit-elle, reste une image avec sa définitive fixité et partialité. Pour le public, la photo est un art aisé d’accès ; en effet, elle n’est pas cantonnée par essence dans les musées qui, malgré une grande fréquentation, restent élitistes. Elle est familière, fait partie de notre quotidien, et puis elle représente le monde qui est notre milieu de vie ; elle est également plus accessible que bien d’autres formes d’art car elle ne requiert, du moins semble-t-il, ou croit-on, pas nécessairement de connaissances ni de culture préalables ; en effet, chacun en use en toute simplicité et même la pratique avec ou sans intention artistique. Désormais et depuis quelques lustres, la photo est considérée comme un art à part entière qui a ses musées, ses galeries et ses salons ainsi que son marché, celui-ci hissant certaines œuvres à des prix considérables.

Pour cette foire 2009, très courue, on se bouscule entre amateurs et professionnels, les uns galeristes, les autres photographes souvent en tenue d’explorateurs-reporters, et tous ceux qui viennent voir et apprécier, collectionneurs et curieux très motivés. Dommage, vraiment, que le prix d’entrée - comme en beaucoup de manifestations culturelles - soit tellement dissuasif, notamment pour les étudiants en art ; mais commerce oblige ! Cette manifestation a le vent en poupe et témoigne de la dynamique de la photo en même temps que du marché qu’elle génère - ainsi cette composante de l’art transgresse-t-elle allègrement la morosité ambiante de ce qu’on appelle l’art contemporain. Pour ce qui est des galeries françaises, il est significatif que beaucoup de celles qui sont présentes ne se vouent pas spécifiquement à la photo, comme par exemple la galerie Renos Xippas ou encore la galerie Patricia Dorfmann. Au-delà de la simple visite des stands des galeries, l’offre de Paris Photo est très large, avec beaucoup de conférences et de rencontres avec les photographes, avec aussi le prix BMW (la marque automobile) et une exposition sans éclat que le public semble un peu bouder, avec encore un prix des jeunes talents sponsorisé par SFR (l’opérateur téléphonique) et le signalement de nombreuses manifestations dans des lieux institutionnels : au Centre Georges Pompidou, à la Maison Européenne de la Photographie, à la Bibliothèque Nationale de France, au musée du jeu de Paume, à l’Institut du Monde Arabe (Palestine, la création dans tous ses états) et d’autre part dans de nombreuses galeries ou même dans des ventes publiques.

Peut être plus qu’ailleurs, qu’en d’autres salons et foires d’art, on entend parler un peu toutes les langues parmi lesquelles l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le portugais mais également le farsi, le coréen, l’arabe, etc., ceci pour dire combien la manifestation est cosmopolite et exerce un fort attrait. Plus de cent galeries sont réunies ici. En même temps, cette présence de galeries comme les galeries iraniennes, tunisiennes, libanaises et des Emirats arabes confirme un accès à la scène artistique internationale des artistes de ces pays, donc leur renommée hors du cadre régional sans avoir à quitter leur aire d’appartenance, ce qui est un phénomène récent.

Et si l’on entend parler farsi, c’est qu’une fois encore, l’Iran est à l’honneur à travers certains de ses photographes et par les galeries invitées (Silkroad et Assar Art), tout comme la photo iranienne est actuellement à l’honneur avec les deux remarquables expositions au Musée du quai Branly et à La Monnaie de Paris : respectivement 165 ans de photographie iranienne et Iran 1979-2009, entre l’espoir et le chaos, 30 ans de photographie documentaire iranienne. La présence iranienne à Paris Photo se fait grâce à la participation active de la Fondation arabe pour l’image, sous le label La scène arabe et iranienne. Cette fondation a pour objectif la sauvegarde et la valorisation du patrimoine photo des pays du Moyen Orient et d’Afrique du nord, elle détient plus de 300 000 œuvres.

Photo : Mehrad Afsari

Avec cette foire de grande envergure tous les genres connus en photographie ou presque sont présents : photo ethnologique ou historique aux tons passés et ocrés, photo reportage, photo plasticienne avec toute la gamme des déclinaisons et catégories qui lui sont propres, à travers des sujets ou prétextes comme la nature, le paysage esthétisé ou le paysage de l’abandon, celui des non-lieux, banlieues, friches industrielles ou zones intermédiaires où vivent des populations sans grand espoir de jours meilleurs. Et puis il y a l’objet, tel quel, simple, banal ou sacralisé par l’artiste qui s’en empare. Il y a la photo arrangée, mise en scène et éventuellement retravaillée à l’ordinateur - car la photo bouge en ses définitions et les dogmes (ou ce qu’il en subsiste) sont subvertis par la liberté dont usent certains photographes ; aussi voit-on cohabiter le tirage argentique artisanal avec l’impression jet d’encre. Avec la photo contemporaine, il en est comme de la peinture figurative et de la peinture abstraite il y a quelques décennies : argentique ou numérique ou mixte, peu importe et il n’y a ni opposition ni vérité intangible. Tout ces genres qui se côtoient reflètent les postures, voire les engagements des photographes et d’un stand à l’autre on passe d’un monde béat de type Disneyland propre par exemple à Yann Arthus Bertrand à un regard social ou politique critique acéré, envers d’un trop joli décor. Ce Paris Photo 2009 m’est apparu comme bouillonnant de créativité, ceci assez paradoxalement car je n’ai pourtant pas gardé le sentiment de découvertes époustouflantes. Peut être est-ce parce que la photo est omniprésente dans le monde de l’art et dans notre quotidien. La très grande quantité et la diversité des œuvres ne lassent cependant pas, chaque photo étant un regard sur notre monde en même temps qu’une manière particulière de voir celui-ci, de le rapporter, de le dire, de le croire, de le sublimer ou de le dénier. Car la photo ne dit nullement le réel, elle dit un réel parmi d’autres manières de le dire. Encore faudrait-il définir le réel ; mais cela échappe à la seule photo.

Pour revenir à la photographie iranienne, je crois qu’on pourrait la considérer comme bicéphale avec d’une part la photo iranienne d’Iran et la photo des Iraniens vivant de longue date hors l’Iran, dont certains, comme la très newyorkaise Shirin Neshat (exposée par la galerie Jerôme de Noirmont, Paris) opèrent dans la fiction au sujet d’un pays qui leur est certainement devenu très étranger. Il faut dire que la photo iranienne, dans son ensemble, témoigne d’une extrême vitalité, allant désormais bien au-delà de ce qui la caractérisa plusieurs décennies durant : la photo reportage, liée aux événements majeurs qu’ont été la révolution et la guerre contre l’Irak.

La photo iranienne de par son indéniable intérêt et sa qualité est couramment présente sur le marché international, donc dans de nombreuses galeries non iraniennes, comme par exemple avec la B21 gallery de Dubaï ou comme ce fut le cas avec la galerie parisienne Thaddaeus Ropac en février et mars dernier avec l’exposition Raad O Bargh. 17 artistes iraniens à Paris. Nul doute que ces échanges entre peuples sur la base de la création artistique sont enthousiasmants.


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