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Entretien avec le Dr. Luis Alberto Vargas, anthropologue et chirurgien mexicain
Entretien réalisé par
,Né en 1941 à Mexico, le Dr. Luis Alberto Vargas est médecin chirurgien diplômé de l’UNAM (Universidad Nacional Autَnoma de México), anthropologue physique à l’Ecole Nationale d’Anthropologie et d’Histoire, ainsi que docteur en biologie, spécialisé en anthropologie de l’Université de Paris. Il est également chercheur titulaire à l’Institut des Recherches Anthropologiques de l’Université Nationale Autonome du Mexique et membre du Système National des Chercheurs. Il est également membre de l’Académie Mexicaine des Sciences et de l’Académie Nationale de Médecine, ainsi que nutritionniste honoraire au Collège Mexicain des Nutritionnistes. Il a été président de l’Union Internationale de Sciences Anthropologiques et Ethnologiques et conseiller en nutrition de l’Organisation Panaméricaine de la Santé. Il collabore avec le « Comité Editorial de Cuadernos de Nutriciَn » et d’autres publications scientifiques et de vulgarisation. Il a enseigné dans diverses universités aux Etats-Unis et en Europe et enseigne actuellement la médecine à l’UNAM.
Farzâneh Pourmazâheri : Pourquoi vous vous-êtes intéressé à l’anthropologie ? Comment voyez-vous le monde anthropologique ?
Dr. Luis Alberto Vargas : Je suis né dans une famille constamment en contact avec des anthropologues mexicains et j’ai pu ainsi connaître cette discipline. J’ai d’abord étudié la médecine, mais après avoir terminé mes étude, je me suis rendu compte que cette carrière ne m’offrait pas une vision suffisamment globale et humaniste pour écouter les malades, notamment pour appréhender la situation sociale et culturelle des communautés indigènes. J’ai donc estimé que l’anthropologie pourrait m’offrir une perspective plus vaste. Je suis heureux de ce choix qui m’a permis d’acquérir au cours de ma formation d’anthropologue, au Mexique et en France, une vision plus complète de la vie humaine.
L’anthropologie est une science très active, partout dans le monde, mais elle est actuellement menacée de désagrégation. Au Mexique, nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’une science unitaire, qui englobe l’anthropologie physique, l’anthropologie sociale, l’archéologie, l’ethnologie, l’ethnohistoire et finalement l’anthropologie linguistique. Et grâce à cette globalité, nous pouvons atteindre une vision unitaire et globale de l’humain. En Europe, ces branches anthropologiques s’enseignent séparément dans les facultés et ne sont pas intégrées les unes aux autres.
Afsâneh Pourmazâheri : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste l’anthropologie physique ?
L.A.V : L’anthropologie physique est une branche de l’anthropologie qui étudie l’évolution, la diversité et l’adaptation du genre Homo sapiens. De ce fait, l’anthropologie physique considère l’homme dans son intégralité biopsychosocioculturelle, et non comme un animal de plus, comme le voit la zoologie humaine. Notre point de départ est biologique, mais nous avons ensuite intégré des champs mentaux, sociaux et culturels, qui ont donné à notre espèce ses caractéristiques fondamentales.
F.P. : Quel est le rôle de la culture dans l’alimentation ?
L.A.V. : L’alimentation est l’un des multiples processus bioculturels des hommes. Cela signifie que, comme tout être vivant, nous avons besoin d’user des substances du monde extérieur pour obtenir l’énergie qui nous permet d’entretenir nos corps. Néanmoins, nous le faisons dans le contexte de notre monde culturel, ce qui implique beaucoup plus qu’une suite de coutumes héritées de nos ancêtres pour obtenir cette nourriture, la préparer et la consommer. D’ailleurs, nous attribuons également à notre alimentation une valeur symbolique qui lui fait jouer plusieurs fonctions différentes pour nous et nos communautés.
A.P : Avez-vous déjà visité l’Orient ? Si oui, quel aspect de l’Orient vous intéresse le plus ?
L.A.V : Pour les Mexicains, l’Orient est en même temps étrange et familier. Nous ne comprenons pas les langues orientales, mais les modes de vie et les physiques des Orientaux ressemblent aux nôtres, malgré certaines différences indéniables. Lors de mes rares voyages au Moyen Orient, je me suis donc un peu senti chez moi, tout en appréciant les valeurs de leur forme de vie.
F.P : Avez-vous fait certaines recherches sur l’Iran ? En tant qu’anthropologue, pensez-vous qu’il soit possible de comparer, analyser et lier deux pays aussi loin l’un de l’autre que l’Iran et le Mexique ?
L.A.V : Je n’ai pas fait de recherches sur l’Iran, mais il est sans aucun doute possible d’établir des comparaisons entre ces deux pays. Ici nous avons déjà eu des étudiants du Moyen-Orient en anthropologie à l’Université Nationale Autonome du Mexique, et des chercheurs venus travailler à l’Institut des Recherches Anthropologiques de la même université. Cependant, les conférences et séminaires universitaires mexicains avec ces pays demeurent limités, alors qu’ils pourraient permettre la réalisation de plus vastes échanges scientifiques.
L.A.V. : A.P. : La médecine indigène en Amérique a été toujours un motif d’étonnement et d’admiration pour les hommes « modernes ». Pourriez-vous nous expliquer l’optique de l’anthropologie appliquée aux méthodes utilisées notamment par les Mayas et les Aztèques, souvent considérées comme plus "avancées" que leurs contemporaines ?
L.A.V. : Je ne suis pas d’accord avec cette vision romantique selon laquelle les temps passés auraient été meilleurs et que les sociétés mésoaméricaines possédaient une sagesse absolue. Evidemment, je ne remets pas en question les mérites de ces civilisations, justement parce que je les ai étudiées. J’admets à ce titre que l’une des caractéristiques les plus admirables de ces civilisations était de considérer les malades dans toute leur complexité et non uniquement en tant que corps malades.
F.P. : Comment voyez-vous l’avenir de l’anthropologie ?
L.A.V. : L’anthropologie s’impose et progresse quotidiennement, même dans des champs aussi indépendants de l’idéologie que l’anthropologie physique. J’espère que l’anthropologie sera un jour unifiée et découvrira de nouveaux chemins d’application pour contribuer au bien-être de l’humanité. L’anthropologie possède une vocation universelle, et elle peut être étudiée et appliquée partout dans le monde. L’une de nos tâches est de former et de préparer des médecins à prendre en charge des malades de cultures différentes. Nous travaillons actuellement avec des hôpitaux recevant des patients indigènes. Je suis sûr que la richesse et la pluralité des cultures orientales peut également permettre une application de l’anthropologie de manière similaire à ici.
F.P. et A.P. : Dr. Luis Alberto Vargas, nous vous remercions infiniment d’avoir consacré votre temps à cet entretien pour La Revue de Téhéran.
L.A.V. : Je vous remercie également.