N° 61, décembre 2010

La tortue métallique*


Soroush Emâmi Râd (Rahgozar)
Traduit par

Azitâ Lessâni


Dans la profondeur d’une vallée, au bord d’une petite rivière, quelques enfants en entouraient un autre :

"C’est moi qui l’ai trouvée le premier ! Et je ne la montrerai à personne !

- S’il te plaît Tâher, je t’en supplie, montre-la-nous !

- Ne me demande pas ça ! Quand je dis que je ne la donne pas, je ne la donne pas… Je l’ai trouvée moi-même, alors c’est à moi !

- Mais, frère Fouâd, il ment ! Je te le jure que c’est moi qui l’ai trouvée et qu’il me l’a arrachée.

- Je te l’ai arrachée, moi ? Allez, enfant gâté, va t’en ! Cesse de renifler et mouche-toi !"

Fouâd cria d’une voix sombre :

"Hé, Tâher ! Ne pense pas que tu peux nous dire n’importe quoi sous prétexte que tu es le fils du chef du village. Tu veux que je dise à ton père que c’est par la force que tu as emmené ces mômes ici ? Hein ?"

Tâher reculait en cachant les mains derrière le dos :

"Qu’est-ce qui vous prend ? اa vous agace de ne pas pouvoir voir mon trésor ?

- Moi ? Agacé ? Tu dis n’importe quoi. Quel trésor ?"

Adel, qui s’était caché derrière son frère, dit en pleurnichant :

"Frère Fouâd, frère Fouâd, c’est moi qui l’ai vue le premier. C’est une pierre. Une jolie pierre qui brille. Je te le jure sur l’âme du notre père Ali que c’est moi le premier qui l’ai vue. Je voulais…

- Tu le répètes encore ! Espèce de fou ! Moi, je me fiche de ce que tu as vu. L’important est que je suis arrivé le premier et je l’ai gagnée !"

Un autre s’avança :

"Main… main… maintenant… mo… mo… montre-la-nous ! Tu… tu… tu ne vas pas… pas… mourir…, non ?

- Qu’est-ce que tu racontes ? Pisseux ! C’est à moi et je ne veux pas la montrer. Et maintenant, allez, bougez, je veux passer !"

Fouâd, qui entrait dans l’adolescence et ne pouvait tolérer ces injures, prit alors la main de son frère cadet :

"Allez ! On rentre !

- Non, non frère… Dis-lui de me rendre ma pierre, s’il te plaît !

- Quand je te dis qu’il faut rentrer, tu dois m’obéir ! Lève-toi !"

Mais Adel se sauva des mains de son frère et tomba par terre. Il piétinait sur le sable fin au bord de la rivière en pleurant et en répétant :

"Frère, s’il te plaît… sur l’âme de papa. Dis-lui de me rendre ma pierre… frère…

Fouâd se mit en colère et saisit Adel par la nuque :

- Je te dis de te lever, Adel… Lève-toi, espèce d’imbécile ! Tu supplies le fils du chef pour un simple objet ? Allez, on rentre ! Si maman apprend que tu es venu ici, elle va te faire la peau. Lève-toi !"

Mais Adel se roulait par terre. Fouâd se retourna vers Tâher :

"Mais alors, laisse-le voir ce truc ; ça ne va pas te tuer, non ?"

Il y avait d’un côté Tâher qui cachait les mains derrière le dos en hochant la tête comme signe de « non », et de l’autre, Adel qui pleurnichait constamment.

"Qu’est-ce qui se passe, Adel ? Fouâd, c’est quoi cette tête ?

La voix bondissait du haut d’un rocher face à la vallée :

- Pourquoi vous êtes descendus ?

Fouâd cria :

- Sœur, je suis venu chercher Adel. Il est venu ici sans permission.

- Montez, sinon je dirai à maman… Allez, dépêchez-vous !

- Sœur Nishtemân, je n’arrive pas à… C’est que… Adel ne vient pas, il pleure.

- Quoi ? Il pleure ? Mais pourquoi ?"

Tâher se retourna et vit Nishtemân, la sœur aînée de Fouâd et d’Adel, qui descendait péniblement le rocher. Ce dernier inclina le cou et vit l’objet dans la main de Tâher et recommença à pleurer si fort que sa voix résonna dans toute la vallée.

"Tâher, tu embêtes encore des orphelins ?

- Non, Nishtemân chérie. Ce sont tes frères qui m’embêtent !"

Nichtemân, dépassant d’une tête tout le petit groupe, se retourna vers Fouâd qui n’arrivait toujours pas à convaincre Adel.

"Qu’est-ce qu’il y a, Fouâd ? Qu’est-ce que c’est que cette dispute ?

- Ni… Ni… Nish… Nishtemân ! Ce… ce… ce Tâher nous… nous… impose sa volonté."

Les autres approuvèrent en hochant la tête.

"Tofigh, laisse-moi raconter… Aujourd’hui, Tâher a amené de force les enfants ici dans cette vallée et…"

Tâher voulut parler mais Fouâd l’interrompit :

"… Je crois qu’Adel avait vu quelque chose au bord de la rivière, mais Tâher est arrivé plus vite, l’a chassé et ne la lui donne pas !

- Et qu’est-ce que c’est ?

- Nous ne le savons pas non plus !

- Vous vous disputez sans savoir pour quoi ? Ben alors… Tâher, donne-la-moi !"

Tâher avait baissé la tête, dessinant quelque chose sur le sable avec le point de sa pantoufle. Nishtemân lui hurla :

"Donne-la-moi ! Je veux savoir ce que c’est !

- C’est à moi… et je ne la montre à personne !

- Ta gueule… Donne-la-moi !

- Je dirai à mon papa que tu m’as grondé !

- Fiche-moi la paix. Dis-lui ! Et je vais lui dire que tu as forcé ces petits à venir ici …"

Tâher sentait les larmes lui monter aux yeux et allait se mettre à pleurer quand Nishtemân continua :

"On n’en veut plus. Garde-la ; seulement montre-la en la gardant dans ton poing. Laisse Adel voir que ce n’est rien, peut-être qu’il va se taire. Dans ta main… d’accord chéri ?"

Tâher, qui suffoquait de larmes, recula d’un autre pas et montra des yeux le dessin juste devant ses pieds. Nishtemân s’avança et contempla le dessin sur le sable. Puis, elle se retourna vers Tâher en grommelant :

"Une tortue ! Tout ça pour une tortue ?!"

Adel qui mêlait larmes et morve, cria :

"Non, non, c’était pas une tortue… Elle brillait… brill…"

Nishtemân murmura :

"Une tortue qui brille ?"

Tous les regards, plus curieux qu’avant, se tournèrent vers Tâher qui tentait de contourner le cercle des enfants. Nishtemân se précipita et saisit son col. Il cria :

"Lâche-moi ! Sinon je te jure que je vais la lancer dans la rivière… Lâche-moi !"

En voyant la scène de la bagarre entre Nishtemân et Tâher, les enfants osèrent l’attaquer pour tous les embêtements qu’il leur avait causés. Il leva le bras et soudain tous s’immobilisèrent.

Adel se tut. Fouâd regarda avec attention et Nishtemân sentit son bras s’insensibiliser. Tâher qui, poing levé, tenait un objet brillant, s’écria en larmes :

"Tenez ! Voilà votre tortue métallique ! Je ne la veux plus !...

Et il la jeta avec force devant les enfants.

***

L’explosion fit vibrer les vitres de la maison du chef. Sa femme se précipita dehors :

"Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que ce bruit ?

Le chef sortit de l’étable :

- Ça venait de la vallée… Une bête a dû sauter sur une mine !

* Texte issu d’une série de nouvelles intitulée Gâm Mahâl (Le pas impossible), Téhéran, éd. Afrâz, 2009. Écrit en août 2006 ; réécrit en août 2008.


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