N° 61, décembre 2010

L’écho en France du cinéma venu d’Iran


Elodie Bernard


Depuis plusieurs années, la sélection du festival de Cannes fait la part belle aux films iraniens, ce qui témoigne de la vitalité et de la diversité des productions cinématographiques venues d’Iran. Ce phénomène a débuté dans les années 80 avec des noms qui font désormais autorité dans le métier, Abbâs Kiârostami, Mohsen Makhmalbâf, Alirezâ Davoudnejâd, Niki Karimi. Mais le cinéma iranien ne cesse d’évoluer, sous l’impulsion notamment de metteurs en scène dont les films ont très récemment marqué son retour en force en Europe, frayant une voie sûre pour ladite deuxième nouvelle vague. Sortis tous deux en 2009, Les Chats Persans de Bahman Ghobâdi et A propos d’Elly de Asghar Farhâdi ont connu un franc succès dans les salles françaises.

« Le cinéma iranien est l’un des plus importants cinémas artistiques dans le monde », a affirmé le réalisateur allemand Werner Herzog. Il a connu un véritable essor à la fin de la guerre contre l’Irak, tant sur un plan quantitatif que qualitatif. Cependant, si les productions cinématographiques iraniennes se sont imposées dans les années 80 sur la scène mondiale, elles n’en restent pas moins en décalage avec la société d’origine. A l’époque, ces exemples de réussite étaient favorisés par l’Etat iranien et essentiellement tournés vers l’exportation ; ces films étant encore peu diffusés à l’intérieur du pays et étant soumis aux normes de l’Etat. Les premières découvertes de ce cinéma en Europe se sont faites grâce au festival de Locarno, véritable relais de diffusion des films sur le continent. C’est ainsi que le cinéma d’Abbâs Kiârostami est devenu « un outil diplomatique » permettant d’ouvrir en Occident une fenêtre sur l’Iran. [1]

Ce metteur en scène a véritablement couronné la consécration internationale du cinéma iranien, avec l’obtention de la Palme d’or à Cannes en 1997 pour son film Le Goût de la cerise puis, en 1999, du Grand Prix du Jury au festival de Venise avec Où est la maison de mon ami ? Cependant, le mouvement de reconnaissance de ce cinéma avait déjà été impulsé quelques années plus tôt, dès le milieu des années 80 : Le Coureur (Davandeh) et L’Eau, le Vent, la Terre d’Amir Nâderi par le Grand prix du festival des 3 Continents de Nantes en 1985 et en 1989 (Amir Nâderi recevra également le prix du jury du Festival de Venise, en 1995) ainsi que le film Routes froides (Jâdehâ-ye sard) de Massoud Jafari Jozani par le festival de Berlin en 1987. Certains critiques de cinéma datent la reconnaissance de ce cinéma à la sortie de ces deux films. Plusieurs autres réalisations ont été consacrées par la suite lors de festivals internationaux : Jafar Panâhi reçut le Lion d’or à Venise pour Le Cercle (Dâyereh) et la Caméra d’or à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc. A la suite de la Palme d’or reçue à Cannes par Kiârostami, la vague du cinéma iranien continue d’enthousiasmer les publics étrangers. Sont ainsi récompensés, entre autres, le cinéaste Bahman Ghobâdi qui reçoit la Caméra d’or en 2000 pour Un temps pour l’ivresse des chevaux et la réalisatrice Samira Makhmalbâf, fille de Mohsen Makhmalbâf. Depuis, les films iraniens obtiennent fréquemment des récompenses.

Actuellement, les productions iraniennes reçoivent de très bonnes critiques auprès des publics étrangers et pénètrent facilement le circuit des festivals internationaux. Ces films sont parfois réalisés par de jeunes cinéastes qui sont nés après la Révolution islamique. Bahman Ghobâdi qui vit actuellement à Paris, a obtenu, cette année, le prix spécial du jury à Cannes pour Les Chats Persans. La cinéaste Hana Makhmalbâf a été distinguée au Festival de Venise en septembre, ainsi que Nader Takmil Homayoun et Shirin Neshat.

Alors que les films des années 90, comme Gabbeh de Makhmalbâf, tendaient à exalter un enracinement dans l’esprit perse, en harmonie avec le paysage, les coutumes et les diverses communautés, ce qui revenait à s’interroger sur la matrice iranienne, l’effraction de l’histoire et des événements les plus actuels suggèrent désormais l’angoisse urbaine. Téhéran, cette ville qui a toujours fasciné les metteurs en scène, revient sur le devant de la scène dans cette deuxième nouvelle vague du cinéma iranien. On se met à vivre Téhéran au rythme effréné de ses pulsations, dans ses moindres recoins, à l’ombre comme à la lumière. Abri ou menace, elle est une source d’énergie dans l’histoire collective. Et comme toute énergie, elle crée un jeu de forces, de tensions et d’exils. Ce cinéma renforce et exalte à nouveau la cinématographie iranienne, par sa nervosité et son urgence faites d’arbitraire et d’incertitudes, ce qui n’est pas sans rappeler la dynamique narrative de la tradition persane.

Des festivals consacrés au cinéma iranien se tiennent régulièrement de par le monde. Le Forum des Images à Paris a programmé un focus sur l’Iran dans le cadre du festival « un état du monde et… du cinéma ». Lors du dernier festival de Cannes, une table-ronde a été organisée sur la thématique.

En s’emparant de questions relatives à l’humanitaire, avec Kandahar (2001) de Mohsen Makhmalbâf et ABC Africa (2001) d’Abbâs Kiârostami, le regard du cinéaste iranien s’est élargi sur le monde, de l’Afghanistan à l’Afrique, sur un mode esthétique et éthique radicalement différent de ce que l’on peut trouver dans les autres cinémas, qu’ils soient français, égyptiens, indiens ou américains. Malgré leur exil à Paris ou ailleurs, de nombreux cinéastes iraniens continuent d’œuvrer en accord avec l’héritage perse, faisant de la voix cinématographique un écho des mouvements qui traversent l’Iran actuel.

Notes

[1Agnès Devictor, Politique du cinéma iranien, de l’ayatollah Khomeyni au président Khatami, C.N.R.S. Editions, Paris, 2004.


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