N° 73, décembre 2011

Mohammad-Rezâ Abdolmalekiân
De l’eau et du miroir


Rouhollah Hosseini


La rencontre

J’ai, dans le miroir, regardé

Hélas, il n’y avait à l’infini

Que solitude !

Tiré du recueil La lune dans le brouillard.

Mohammad-Rezâ Abdolmalekiân

Né en 1956, Mohammad-Rezâ Abdolmalekian est, entre autres, une figure importante de la génération des « poètes de la guerre ». Son œuvre est à ce titre marquée par la rhétorique du combat iranien contre l’Iraq. Elle célèbre l’esprit de résistance et la bravoure des soldats qui ont participé à la guerre. Le poète ne manque cependant pas d’aborder les thématiques liées aux champs de l’amour et d’autres sentiments humains, vécus dans la société moderne. Il s’écarte pour ainsi dire, et notamment dans ses derniers textes, de sa verve révolutionnaire pour traiter des sujets touchant à la sensibilité de la vie moderne. D’où l’évolution de sa poésie et le recours à la prose. De la forme poétique nimaïenne, sa poésie évolue vers l’adoption du vers blanc, forme plus souple pour l’expression des expériences de nos jours. C’est d’ailleurs la forme dans laquelle le poète a donné ses textes les plus réussis. Ils le sont notamment par la simplicité du langage et la clarté des idées. L’abandon des poèmes longs et la tendance de l’écrivain à composer des poèmes courts, sous forme de haïkus, n’y sont peut-être pas pour rien. Il reste à dire que parmi ses ouvrages les plus remarquables, nous pouvons citer La gentillesse et Je te parle avec simplicité.

La réponse

« Pourquoi tu fais la guerre ? »,

Me demande mon fils.

Mon fusil au poing

Mon sac sur le dos

Je resserre les lacets de mes bottes.

Ma mère, avec à la main

Un Coran, un miroir et de l’eau

Sème la lumière dans mon cœur.

« Pourquoi tu fais la guerre ? »

Redemande mon fils.

Je réponds de tout cœur :

« Pour que l’ennemi ne te vole pas la lampe ! »

De loin

Avec toi

Je suis à l’abri

Je suis plein de toutes beautés

Sois mon asile

Pour que du poids de l’étrangeté,

Se déchargent mes épaules,

Et mes yeux,

De l’ennui de la solitude.

Je viens de loin

Du côté des champs de blé

Du côté des melonnières

Et du pays dont le ciel

Ne possède que deux robes

L’une bleue, qu’il porte le jour

Et l’autre, longue, qu’il met la nuit

Une robe ondulant

Dans la danse des mille et une nuits

D’étoiles lumineuses.

Je viens de loin,

Des ruelles de l’enfance

De la ville colorée des récits de mon père

Dits lors des nuits longues d’hiver

Et des yeux vivifiants de ma mère

Qui m’offrait dans son regard

Toute sa douceur.

Crois-moi !

La poésie est, en moi,

La révolte de l’unité

Et l’épopée de l’amitié

J’aime d’une autre manière

Et je suis unique autrement

Je ne suis comparable qu’à moi

Et toi qu’à toi

Que je quête depuis des années.

Avec toi

Je vois tout bleu

Tes yeux sont la gloire de la patience

Tes cheveux

La suite des pluies

Et ton cœur

Est le chant des mers.

Le murmure du bout des doigts du vent

Dans le doux rêve de ta chevelure

Est une beauté poétique

Jouant avec mon cœur,

Et la noblesse de ton dire

Fait pâlir

Tout autre propos.

Aux paysages de partout dans la nature

Je te vois

Dans la fontaine, à la rivière et dans la mer

Dans la fleur, dans l’arbre et la forêt

Dans la vallée, au mont et aux champs

Et pourtant

Je suis toujours étonné

Que tu sois tout l’amour dans un être

Que tu sois tout l’espoir

Dans un habit.

Tiré du recueil La gentillesse.

L’adresse

Pour connaître mon côté

Interrogez l’eau

La mer attend toujours

Les chants d’amour.

Tiré du recueil La gentillesse.

La mer noire

A tous les immigrés affligés sur les mers errantes du monde.

Toutes ces chaises abandonnées !

Et tous ces oiseaux errants !

Tu ne veux pas rentrer ?

Des nuits lointaines

Des bateaux pleins d’effroi

L’angoisse des pigeons d’Orient

Et dans tes yeux

La densité de la terreur.

ہ toutes ces lieues de distance

Tu ne peux vraiment te fuir ?

N’y a-t-il pas une issue

Dans cette nuit de l’insécurité

Pour que la faible lumière

De cet invisible pays

Se transforme en soleil

De gentillesse ?

Toutes ces chaises abandonnées !

Et tous ces oiseaux errants !

Tu ne veux pas rentrer ?

« S’il se trouvait un endroit sûr ?

S’il y avait un port pour abri ? »

Demandent ton regard

Et celui des oiseaux errants

Attachés, l’œil dans l’œil des pigeonneaux,

ہ la vue de ce port invisible.

Où êtes-vous emportés

Toi et ces oiseaux suppliciés

Par ce bateau renversé

Dans les eux lointains

Et par cette agitation noire

Des vagues troublées ?

Toutes ces chaises abandonnées

Et la grâce de la mère

Un bol d’eau claire

Et ces deux pauvres vieillards

Qui se tenaient endoloris

Au seuil de la porte

Dans l’attente de votre arrivée

Ce Coran, cette eau et ce miroir

Et des oiseaux errants

Qui héritaient de cette maison

Et des oiseaux suppliciés

Qui ne seront plus de retour.

Tiré du recueil Je te parle avec simplicité.

Remarque

Les enfants

Grandissent

Que la vie est petite !

Tiré du recueil Je te parle avec simplicité.

Tchamkhâleh Une petite ville au nord de l’Iran.

Faisant face à la mer

Je ne me détourne pas vers la forêt

Ni me retourne vers toi

Mon sens se résume

Dans ce même instant

Où la vague me fait face.

Tu attends qui ?

Ce n’est pas moi

Celui que la mer ramène au rivage.

Demandez mon adresse

Aux poissons de la mer

Qui sont très loin

Et qui mordent à l’hameçon

Pour que le flot

De la largesse de mer

Ne s’efface pas

De l’esprit de vieux pêcheurs.

Tiré du recueil Je te parle avec simplicité.

Montagnard

Je ne dis rien

Sauf cet arbre

Je ne veux rien

Sauf cet oiseau

Laissez-moi tranquille !

Je veux, sans livre ni mot,

Retourner à la montagne

A ce même commencement

Où il n’y avait que le blé

Et Adam.

Tiré des poèmes nouveaux, publiés dans

Les poèmes choisis.

Le testament

N’écrivez rien

Sur cette pierre

Ou écrivez seulement :

Une herbe inquiète

Qu’avaient perdu

Tous les agneaux.

Tiré des poèmes nouveaux, publiés

dans Les poèmes choisis.

Le second oiseau

Ma fille

Sur ton chemin

Dis bonjour au premier oiseau !

La voie du ciel

Commence à coup sûr

Par le second oiseau.

Tiré des poèmes nouveaux, publiés dans

Les poèmes choisis.

Istanbul

Les bateaux plongent dans le sommeil

Les navires également

Seul, je suis resté avec la mer

Et avec le poème

Qui s’est perdu entre nous

N’est-il pas celui-ci

Celui que j’écris ?

Ou bien, il est celui-là

Celui que fredonne la mer

Et qu’elle emporte, au loin, en soi

Tout le monde plonge dans le sommeil

Il n’y a que la mer et qu’un poème.

Tiré des poèmes nouveaux, publiés dans

Les poèmes choisis.


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