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Peyman Matin est l’auteur d’un petit livre intitulé Poushâk-e Irâniân (Les habits des Iraniens) édité par le Bureau des Recherches Culturelles (Daftar-e Pajouhesh-hâye Farhangui) du Ministère de la Culture de l’Iran. L’auteur relie les changements vestimentaires avec les évènements historiques qui ont influencé la vie des Iraniens, puis conclut que contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, les éléments principaux des vêtements des Iraniens n’ont pas beaucoup changé depuis des millénaires sauf peut-être au cours du XXe siècle.
Dans l’introduction du livre, l’auteur rappelle que le vêtement fait partie des besoins essentiels de l’être humain, au même titre que la nourriture et l’habitat. Les habitudes vestimentaires dans chaque société sont liées à des facteurs multiples tels que le climat et l’environnement naturel, les croyances culturelles et religieuses de la société en question, les différences entre les classes sociales, l’influence des autres cultures. Tous ces facteurs sont à prendre en compte dans l’évolution des habitudes vestimentaires des Iraniens. Les ethnologues et les sociologues considèrent de plus en plus que les vêtements sont un langage symbolique véhiculant des messages sur les spécificités culturelles ou les croyances des groupes humains, messages qu’il faut décoder. Une autre caractéristique des habitudes vestimentaires des Iraniens est le « message politique » qu’elles véhiculent et ont véhiculé au cours de l’histoire mouvementée de l’Iran. [1] Pour l’auteur, ne pas avoir une connaissance précise des évènements historiques, des motivations et des croyances des gens, a souvent abouti à des erreurs dans l’interprétation du « langage vestimentaire » des Iraniens.
Les trois premiers chapitres du livre sont consacrés à la description des habits des hommes et des femmes iraniens durant l’Antiquité, les dix premiers siècles islamiques, et la période moderne puis contemporaine. Les documents utilisés pour ces descriptions sont, pour la période antique, les images gravées sur les monuments historiques (par exemple les bas-reliefs de Persépolis), les statues et les sceaux, les dessins et les miniatures pour les siècles suivants, les photos et les films pour la période contemporaine, ainsi que les témoignages laissés par les historiens ou voyageurs étrangers au cours des époques historiques différentes. L’auteur évoque les changements survenus dans les styles vestimentaires après les conquêtes successives de l’Iran. L’influence des modes vestimentaires des conquérants sur les vêtements des Iraniens est visible après la conquête d’Alexandre et le règne des Grecs en Iran de 330 à 150 av. J.-C., de même qu’après la conquête des musulmans au VIIe siècle et des Mongols au XIIIe siècle. Par exemple, lors du règne des Mongols en Iran, les vêtements des hauts-dignitaires et des militaires iraniens ont pris des formes proches de ceux des Chinois. Par contre au cours du règne des Safavides, les formes vestimentaires des Iraniens se sont éloignées de ceux des Chinois et se sont rapprochées des styles typiquement iraniens. L’auteur évoque également la qualité des tissus fabriqués en Iran au cours des périodes préislamique et islamique.
C’est à l’époque de Fath ’Ali Shâh Qâdjâr que peu à peu, les vêtements de style occidental tels que le pantalon droit avec un ruban cousu sur le côté, le frac et la cravate commencent à être portés par les Iraniens. L’auteur précise que les changements des habitudes vestimentaires des Iraniens ont été importants à partir du début du XXe siècle. Les décisions des régimes politiques du XXe siècle font de la période contemporaine une époque sans précédent dans l’histoire des vêtements en Iran. Par exemple, en 1928, Rezâ Shâh Pahlavi a rendu obligatoire pour les hommes le port de vêtements occidentaux et un chapeau conique (que les gens ont appelé « le chapeau pahlavi »). En 1935, Rezâ Shâh a interdit aux femmes le port du voile dans les espaces publics. Et sous la République islamique, les femmes sont légalement obligées de porter des vêtements couvrant leurs cheveux et leur corps (sauf le visage et les mains).
Le quatrième chapitre du livre est consacré aux vêtements des Iraniens non musulmans (les zoroastriens, les juifs et les arméniens) qui vivent en Iran depuis des millénaires. Une partie du chapitre est consacrée à la description des vêtements spécifiques des cérémonies religieuses. Par ailleurs, l’auteur précise qu’au cours de la plupart des périodes historiques, il n’y avait aucune différence entre les habitudes vestimentaires des Iraniens quelles que soient leurs croyances religieuses. Mais il existe certaines périodes historiques au cours desquelles le pouvoir politique a utilisé le vêtement pour discriminer les Iraniens. En particulier, après la conquête de l’Iran par les Arabes musulmans, ceux-ci ont mis en place une loi interdisant aux Iraniens non musulmans de porter des vêtements ressemblant aux habits des musulmans afin de pouvoir facilement les distinguer. Cette loi était encore en vigueur au IIIe siècle de l’Hégire puisque sous les califes abbassides, les Iraniens non musulmans (hommes et femmes) étaient obligés de porter en public un vêtement jaune ; de plus, les hommes devaient porter une ceinture spécifique. [2]
Dans le dernier chapitre, l’auteur met l’accent sur les points communs entre les vêtements des Iraniens au cours des différentes périodes historiques et remarque qu’en Iran, les vêtements des hommes et des femmes se ressemblent beaucoup depuis des millénaires. Par exemple, en Iran, les hommes et les femmes ont toujours eu la tête couverte (par un chapeau et/ou un châle ou un grand foulard) depuis l’Antiquité jusqu’au XXe siècle. Le tchador n’est donc pas apparu avec l’islamisation de l’Iran, puisque les Iraniennes portaient au cours de la période préislamique un grand châle ou un grand foulard par-dessus leurs vêtements. Nous voyons cette habitude vestimentaire encore aujourd’hui chez les Iraniennes et les Iraniens qui vivent loin des grandes villes et portent les vêtements traditionnels de leur région. Trois autres éléments ont été constamment présents dans les vêtements des hommes et des femmes iraniens, depuis des millénaires jusqu’à nos jours : ce sont le pantalon (qui avait attiré l’attention des historiens grecs), une longue chemise descendant souvent jusqu’aux genoux, et un gilet ou une tunique par-dessus la chemise. Ce sont les détails qui ont changé selon les époques, par exemple la forme du col ou de la manche, les décorations, la largeur du châle ou la façon de l’enrouler, les boutons, etc. Pour l’auteur, il y a donc une continuité dans le style vestimentaire des Iraniens depuis des millénaires ; ainsi, les vêtements « traditionnels ou folkloriques » que portent aujourd’hui les gens qui habitent dans les différentes régions de l’Iran ressemblent aux vêtements que les Iraniens portaient dans le passé. Mais pour l’auteur, il existe des zones d’ombre à propos des habitudes vestimentaires des Iraniens, car les informations disponibles sur les vêtements des siècles derniers concernent surtout la classe dominante ou les riches. Est-ce que les gens simples portaient des vêtements qui ressemblaient à ceux des dirigeants avec moins d’ornementations, ou est-ce qu’ils avaient des vêtements différents ? L’auteur précise qu’il y a également très peu d’informations à propos des vêtements des Iraniennes pour toutes les périodes historiques.
L’auteur conclut le livre en mentionnant trois facteurs qui semblent essentiels dans la façon de s’habiller des Iraniens aujourd’hui : l’influence des croyances religieuses, la tradition vestimentaire des Iraniens depuis des millénaires (qui est encore manifeste dans les choix vestimentaires des habitants des régions éloignées des grandes villes) et l’influence du style vestimentaire qui existe actuellement dans le monde entier.
Source bibliographique :
Matin, Peymân, Poushâk-e Irâniân (Les habits des Iraniens), Ed. Daftar-e Pajouhesh-hâye Farhangui, 1383 (2004).
[1] Cet aspect politique est lié, entre autres facteurs, aux lois concernant l’obligation de porter un genre particulier d’habit pour les femmes, ou les hommes, ou les communautés iraniennes non musulmanes, qui ont été en vigueur au cours de certaines périodes historiques.
[2] Les lois discriminatives concernant les vêtements des juifs iraniens ont existé également sous les Seldjoukides, sous Shâh ’Abbâs safavide, et sous les Qâdjârs. Sous les Seldjoukides, les Iraniennes juives devaient porter des chaussures différentes à chaque pied. Sous Shâh ’Abbâs safavide, les Iraniens juifs devaient porter un chapeau formé de onze parties dont chacune avait une couleur différente et devaient enrouler un tissu rouge autour de leur chapeau ; les Iraniennes juives devaient coudre plusieurs petites clochettes à leur tchador. Sous les Qâdjârs, les Iraniennes juives devaient porter un rouband noir alors que le rouband des Iraniennes musulmanes était blanc. Rouband est le nom du tissu qui couvre le bas du visage. Pour plus de détails, cf. Matin, Peyman, Poushâk-e Irâniân (Les habits des Iraniens), Ed. Daftar-e Pajouhesh-hâye Farhangui, 1383 (2004), pp. 77-87.