N° 73, décembre 2011

L’Iran poétique dans "Les Roses d’Ispahan" de Leconte de Lisle


Majid Yousefi Behzâdi


Certains poètes français furent influencés par la beauté de la poésie iranienne, en particulier l’allitération poétique en poésie persane, à tel point qu’elle a parfois été le pivot de leurs créations artistiques. Sans oublier les noms de Victor Hugo (Les Trois Cents), d’Anatole France (Homaï) et Alphonse de Lamartine (Harmonies poétiques), pour qui l’Iran était une contrée de révélation pour leurs méditations. Il faut citer aussi celui de Leconte de Lisle chez qui la beauté exotique fait apparaître une construction rigoureuse propre à la technique des Parnassiens (l’Art pour l’Art).

Dans cette perspective, la composition "Les Roses d’Ispahan" (paru dans Poèmes tragiques) renvoie au fait qu’il voulut vitaliser ses poèmes par le parfum d’un Orient perçu comme le lieu de rencontre du soufisme et du mysticisme. Après "La Vérandah" qui montre la fraîcheur et la vivacité de l’Iran publié dans les Poèmes barbares (Au tintement de l’eau dans les porphyres roux /Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures…) [1], le poème "Les Roses d’Ispahan" met en lumière toute la beauté séduisante de ce pays. A ce titre, Shojâ’-od-Din Shafâ souligne : « "Les Roses d’Ispahan" est l’un des célèbres poèmes de Leconte de Lisle adapté par un compositeur français en musique ». [2] Ceci évoque la célébrité et la grandeur de la poésie. Ainsi, la globalité de vision pertinente du poète français va jusqu’au sublime lorsqu’il prononce le nom d’Ispahan avec sérénité :

Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse,

Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l’oranger

Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,

O blanche Leïlah ! que ton souffle léger. [3]

Selon cette allégation, la présence de Leïlah dans cette strophe désigne l’importance de la femme bien aimée du poète comme symbole de la beauté sous forme d’une Muse inspiratrice. Aux yeux de Leconte de Lisle, la femme orientale possède un certain charme dans lequel la pudeur de l’esprit se cristallise par l’image hallucinante de cette dernière. Le poète semble éterniser son amour par la description de la nature où il cherche à valoriser la beauté de Leïlah :

Ta lèvre est de corail, et ton rire léger

Sonne mieux que l’eau vive et d’une voix plus douce,

Mieux que le vent joyeux qui berce l’oranger,

Mieux que l’oiseau qui chante au bord du nid de mousse, [4]

A un moment donné, le poète se trouve dans un état de mélancolie de sorte que son pessimisme se réfléchit à son tour sur la femme idéale qui apparaît pourtant à tout instant désirable :

Mais la subtile odeur des roses dans leur mousse,

La brise qui se joue autour de l’oranger

Et l’eau vive qui flue avec sa plainte douce

Ont un charme plus sûr que ton amour léger ! [5]

Si le poète parle de sa douleur mentale, c’est plutôt pour globaliser l’image fascinante de la femme. En sus, les fleurs de l’Orient, de par le raffinement de leur odeur, projettent dans l’esprit du poète une sorte de nostalgie poétique :

Leïlah ! depuis que de leur vol léger

Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce,

Il n’est plus de parfum dans le pâle oranger,

Ni de céleste arome aux roses dans leur mousse, [6]

Le monologue intérieur du poète avec Leïlah est prétexte pour vivifier davantage les paysages splendides de l’Iran. Le regard de Leconte de Lisle sur l’Iran dérive d’un souci constant à l’époque où le beau était le canevas de tout jaillissement poétique.

Ainsi, la poétisation de la beauté naturelle de l’Iran révèle le goût du poète pour une méditation poétique afin de mieux décrire les attraits fascinants de ce pays où tout dépendrait de la conviction et de la sincérité. En fait, Leconte de Lisle admire l’absence occasionnelle de Leïlah, car il est susceptible de se rendre satisfait de ce qu’elle donne comme un amour éthéré. La célébrité de la ville d’Ispahan est donc liée à l’image attirante de Leïlah, et ce plus particulièrement quand le poète réclame la lucidité de cette combinaison sonore :

Oh ! que ton jeune amour, ce papillon,

Revienne vers mon cœur d’une aile prompte et douce,

Et qu’il parfume encore les fleurs de l’oranger,

Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse ! [7]

En guise de conclusion, nous pouvons dire que le poète français fut à la recherche d’une contrée exotique dans le cadre d’une composition mélodique conforme à une femme idéale ; femme dont la beauté demeure au sein de toute pensée poétique telle une énigme latente. La notoriété des paysages de l’Iran se fait écho dans les poèmes de Leconte de Lisle, et ce aussi bien dans l’inspiration que dans l’imagination. Car la Muse du poète français est un être surnaturel et invisible et n’apparaîtra que lorsque l’amant se purifiera corps et âme – élément au centre du mysticisme oriental.

Bibliographie :
- Leconte de Lisle, Poèmes barbares, éd. Revue et augmentée, Paris, 1952
- Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, éd. Revue et augmentée, Paris, 1952
- Ducros ; D., Lecture et analyse du poème, A. Colin, 1996.
- Grammont, Petit traité de versification française, A. Colin, 1976.
- Linares, S., Introduction à la poésie, Nathan Université, 2000.
- Shafâ, Shojâ’-od-Din, Iran dar adabiyât-e jahân (L’Iran dans la littérature du monde), Ibn-e Sinâ, Téhéran, 1953.

Notes

[1Leconte de Lisle, Poèmes barbares, éd. Revue et augmentée, Paris, p. 134.

[2Shafâ, Shojâ’-od-Din, Iran dar adabiyât-e jahân (L’Iran dans la littérature du monde), éd. Ibn-e Sinâ, 1953. p. 33.

[3Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, éd. Revue et augmentée, Paris, p. 48.

[4Ibid.

[5Ibid.

[6Ibid., p. 49

[7Ibid.


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