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Les évolutions de la mode vestimentaire des Perses,
de l’époque des califats arabes
au règne de la dynastie mongole des Timourides
Il est d’usage de tracer des frontières précises entre les différents aspects de la vie sociale et culturelle de l’Iran, en prétendant pouvoir nettement séparer les deux périodes d’avant et d’après l’islamisation du pays. Cependant, cette démarcation semble arbitraire et n’est pas liée à l’observation des faits et des règles en ce qui concerne les évolutions intellectuelles, mentales et sociales, qui se produisent après l’arrivée d’une nouvelle religion : la vie d’une société ne se bouleverse pas soudainement et le processus des changements culturels et intellectuels peut durer des décennies, voire des siècles.
Concernant la mode vestimentaire, il faut souligner qu’après l’arrivée de l’islam, les styles locaux perdurèrent longtemps avant que les Perses acceptent progressivement le modèle des vêtements arabes qui leur semblait au début étranger et différent de ce qu’ils connaissaient chez eux. En outre, il est à souligner qu’après l’accélération du rapprochement entre les deux cultures perse et arabe en raison du rôle prépondérant d’une religion commune, il est possible d’identifier une influence perceptible de la culture perse sur la mode vestimentaire arabe. Les exemples de ce rapprochement réciproque furent observés dans les ouvrages datant des premiers siècles de la période islamique dont les œuvres picturales, les ornements des ustensiles et des poteries, des statuettes ou des documents écrits.
Le présent article présente les principaux aspects de l’évolution des modes vestimentaires des Perses pendant une longue période allant de l’époque des califats arabes (omeyyade, puis abbasside) à l’époque du règne de la dynastie mongole des Timourides.
Après la conquête de la Perse par les Arabes, à l’époque des califes ayant assuré la direction politique de la communauté musulmane après le décès du Prophète, le terrain devint favorable à la formation du premier empire musulman par les califes Omeyyades (661-750). Le clan des Omeyyades se divisa très vite en deux parties : la famille de Soufiân qui régna jusqu’en 684, et la famille de Marwân qui prit le pouvoir à partir de cette date. L’empire islamique des Omeyyades s’étendit des frontières de la Chine à l’est jusqu’à l’extrémité ouest de l’Afrique du Nord et la péninsule ibérique, en passant par le nord de l’Inde et le Moyen-Orient. Les Omeyyades dominèrent une partie de la péninsule ibérique de 775 à 1022.
Ces derniers eurent la réputation d’imposer avec fanatisme un contrôle religieux strict et d’instaurer un régime de discrimination en privilégiant les Arabes sur les populations non arabes, qu’elles soient musulmanes ou non musulmanes. Les dirigeants omeyyades trahirent la tradition des premiers califes qui menaient une vie simple et modeste, pour fonder une cour grandiose, donnant naissance à l’apparition d’une noblesse arabe.
La domination des Omeyyades ne dura pas longtemps, car de nombreuses raisons, dont les persécutions qu’ils faisaient subir aux chiites et les discriminations qu’ils infligeaient aux musulmans non arabes, conduisirent les habitants du Khorâssân (nord-ouest de la Perse) à la révolte qui renversa le califat des Omeyyades en 750.
Le pouvoir fut transmis aux Abbassides (750-1258), descendants de ’Abbâs, oncle du prophète Mohammad. Le deuxième calife abbasside fonda la ville de Bagdad en 761 qui fut la capitale de l’Empire musulman jusqu’en 1258, date de l’arrivée des troupes mongoles à Bagdad. Pendant le premier siècle de l’ère abbasside, les califes exercèrent une autorité imposante sur la quasi-totalité de leur vaste Empire. Cependant, au fur et à mesure, les mouvements imâmites et chiites s’organisèrent surtout en Perse, tandis que les vassaux turcs des Abbassides prirent en main le pouvoir militaire de l’Empire des Abbassides et influèrent sur la politique du califat de Bagdad. En 1082, les Seldjoukides, qui étaient d’origine turque, envahirent militairement la ville de Bagdad. Sous la domination seldjoukide, les califes abbassides n’avaient qu’un rôle symbolique et n’existaient que dans la mesure où ils conféraient une légitimité religieuse aux Seldjoukides sunnites. La fin de l’empire abbasside sonna en 1258 avec le meurtre du dernier calife par les Mongols. Mais une filiation de la famille des Abbassides garda un pouvoir régional limité en Egypte jusqu’en 1531.
Si l’époque des Omeyyades fut celle de la construction de grands palais et de somptueuses mosquées, l’ère du califat des Abbassides coïncida avec un développement des arts et des sciences marquant profondément la civilisation musulmane. Pendant cette période, les savants et les penseurs islamiques entreprirent un vaste travail de traduction et d’étude des œuvres des Anciens : les Grecs, les Romains, les Perses et les Indiens.
Les peuples musulmans non arabes, dont les Perses, contribuèrent grandement à l’essor de la civilisation islamique. Au fur et à mesure, les Perses devenus musulmans depuis plusieurs générations développèrent leur influence et exercèrent des fonctions politiques. L’expérience et le savoir-faire des Perses qui remplissaient des fonctions publiques convainquirent les califes omeyyades - puis abbassides - de leur confier de postes de plus en plus importants, en leur donnant une marge de manœuvre assez large dans les affaires du Divân. A l’époque de Hajaj ibn Youssef, des documents financiers et administratifs furent rédigés pendant un temps en langue Pahlavi (langue officielle des Sassanides et ancêtre du persan moderne).
Cependant, des mouvements indépendantistes contre la domination des Arabes ne tardèrent pas à apparaître dans différentes régions de la Perse. Ce fut le célèbre général perse, Abou Muslim, qui dirigea la révolte armée au Khorâssân jusqu’à l’effondrement du califat des Omeyyades. En outre, un autre général perse, Tâher Zol-Yameneyn, mit le siège devant Bagdad, capitale des Abbassides, en 814.
Les premiers gouvernements perses virent le jour dans différentes régions du pays : les Tâhirides, les Saffârides, les Samanides, les Ziyarides et les Bouyides gouvernèrent dans différentes régions de la Perse de manière plus ou moins indépendante par rapport à la suprématie de Bagdad.
Durant cette période historique, les vêtements des Perses furent influencés par la mode vestimentaire des Arabes, très différente de ce qui existait avant l’islamisation du pays. A l’inverse, la mode perse ne tarda pas à son tour à exercer son influence sur les vêtements arabes. Cependant, malgré les influences réciproques, les modes vestimentaires arabe et perse restèrent essentiellement différentes l’un de l’autre. En Perse, les habits des hommes étaient composés de plusieurs éléments :
- Qabâ (قبا) : vêtement de dessous, avec manches, de longueur différente ;
- Shalvâr (شلوار) : pantalon long descendant jusqu’aux pieds ;
- Sâq-pitch (ساق پیچ) : guêtre de tissu ou de cuir qui recouvrait le bas de la jambe ;
- Babouche (پاپوش) : Pantoufles de cuir sans quartier ni talon, ou tchakmeh(چکمه) : bottes.
- Kolâh (کلاه) : chapeau.
Les habits des femmes étaient quant à eux composés de plusieurs éléments :
- Qabâtcheh (قباچه) : sorte de justaucorps ;
- Shalvâr (شلوار) : pantalon ;
- Dâman (دامن) : jupe ;
- Pirâhan (پیراهن) : chemise ;
- Djâmeh (جامه) : tunique.
Malgré le fait que les Omeyyades avaient accepté l’usage des habits perses par les fonctionnaires et les gens attachés à la cour, ils ne permettaient pas aux soldats de leurs armées en mission en Perse de porter les habits des Perses. Pourtant, vers la fin du règne des Omeyyades, les Arabes qui vivaient depuis longtemps au Khorâssân avaient accepté les différents éléments de la mode vestimentaire perse.
L’avènement du califat des Abbassides favorisa dans un premier temps les échanges culturels et le rapprochement des modes perse, arabe, hellénique et romaine. Pourtant, les différences persistaient entre les habits d’un Perse et ceux d’un Arabe : dans les régions du nord-est de la Perse, seuls les hauts fonctionnaires ou les dignitaires religieux portait un châle (tilsânطیلسان) autour de leur turban. Ce châle était beaucoup plus utilisé dans les régions du sud (Fârs) où les gens ordinaires le portaient couramment.
A l’époque des califats omeyyade et abbasside, les tissus produits dans les différentes régions de la Perse étaient très appréciés par les Arabes : les châles de laine des villes d’Amol et de Ghomes (actuelle Dâmghân), les tuniques de Ray et de Gorgân, les turbans de Bam, ainsi que les pantalons produits en Azerbaïdjan et en Arménie comptaient parmi les produits les plus recherchés.
Contrairement aux Arabes qui influencèrent la mode vestimentaire des Perses, les Seldjoukides d’origine turque n’inventèrent pas une mode vestimentaire originale en Perse, car ils acceptèrent en général celle des habitants du pays. Cependant, certaines formes de coiffure furent particulièrement utilisées à l’époque des Seldjoukides, surtout quatre types qui étaient utilisés à l’époque en Asie mineure : bicorne (do shâkh), coiffure couronne (afsar) coiffure khawârizmi, et coiffure tartare (tâtâri).
Selon les documents historiques, sous les Omeyyades, les Perses suivaient souvent la mode vestimentaire de l’époque de la dynastie préislamique des Sassanides. Pourtant, de nouvelles formes de pantalons pour les hommes et de robes et jupes pour les femmes apparurent à cette période.
A partir de l’époque du califat des Abbassides, de nouveaux styles d’ornements apparurent pour les vêtements des gens de la haute société et des fonctionnaires. Ces vêtements comportaient des bandes de broderies ornées de formes d’écriture kufique qui reproduisaient les mots sacrés ou des textes religieux. En outre, les Perses, qui avaient déjà connu l’usage du turban à l’époque des Omeyyades, se mirent à le porter de plus en plus sous les Abbassides. Outre les turbans arabes, d’autres coiffures furent également utilisées, dont les coiffures coniques à extrémité pointue ou plate. Les guêtres, qui recouvraient le bas de la jambe, pouvaient monter jusqu’au bas du genou, ce qui rappelait les guêtres des éleveurs nomades d’avant l’empire préislamique des Achéménides jusqu’à nos jours. Les chaussures étaient simples et les bottes couramment utilisées.
Nous n’avons que très peu d’informations sur les vêtements des femmes en Perse durant les premiers siècles de la période islamique. Cependant, nous savons que ces vêtements n’étaient pas très différents de ceux des hommes : les femmes portaient des cafetans, des corsages aux manches serrées, et des sous-vêtements simples. Ces corsages étaient garnis de dentelle et se fermaient de droite à gauche. Les parures féminines étaient pourtant variées : diadèmes, colliers, bracelets, boucles d’oreilles, anneaux d’or ou d’argent portés aux pieds…
Un ornement en plâtre datant du XIIe siècle, découvert à Ray, montre les femmes de la cour vêtues de tuniques tissées d’or. Chacune des femmes porte un ruban ceignant son front au milieu duquel figure une plume d’oiseau. La plupart d’entre elles portent des colliers et des boucles d’oreilles.
Du XIe au XIIIe siècles, les cafetans étaient couramment en usage. Se fermant obliquement de droite à gauche, ces habits étaient garnis uniquement au niveau du col. Ce cafetan se fermait par une bande de cuir. Les pantalons étaient amples, et les bottes de l’époque étaient hautes et montaient sur les jambes. Le turban resta la coiffure habituelle. Cependant, les hommes de la cour et les hauts fonctionnaires portaient des coiffures coniques. Leurs bottes, souvent fabriquées de cuir doux, étaient hautes et pointues. Pendant ces périodes, les différents types de pantalon, amples ou serrés, étaient couramment utilisés.
L’invasion mongole fut le prélude à l’apparition de nouvelles tendances vestimentaires venues de l’Extrême-Orient et notamment de Chine. La tendance asiatique apparut d’abord parmi les gens de la haute société, et les uniformes militaires. Les vêtements de femmes en furent relativement moins influencés.
A partir de l’époque de la dynastie mongole des Timourides, les modes vestimentaires mongoles se mêlèrent aux modes perses. Les vêtements de dessous restaient souvent ouverts et laissaient entrevoir la taille et la chemise longue. La ceinture fut de nouveau à la mode, tandis que l’usage du turban (mode arabe) réapparut pour supplanter les coiffures turco-mongoles. Ainsi, le turban devint peu à peu un symbole de la foi musulmane en opposition aux coiffures païennes.
A l’époque des Timourides, les vêtements de femmes étaient composés de plusieurs tuniques longues et serrées. Les manches de la chemise étaient très longues et couvraient le corps jusqu’aux pieds. Mais la tunique de dessous avait des manches courtes et était parfois sans manches. Les foulards étaient simples et pendaient parfois sur les épaules. Certains foulards se nouaient sous le menton. Les voyageurs européens ayant voyagés en Iran à cette époque citent qu’en public, les femmes portaient un tchador blanc et que leurs visages étaient cachés derrière une dentelle noire.
A l’époque de la dynastie des Timourides, les vêtements de femmes se caractérisaient notamment par leur grande diversité. Une miniature de Kamâleddin Behzâd datant du XIVe siècle montre une assemblée de quatorze femmes dans un verger, chacune portant des vêtements différents. Les tuniques de ces dames sont de longueurs différentes : elles tombent tantôt jusqu’aux genoux, tantôt jusqu’aux pieds, et sont parfois au-dessus des cuisses. Les tuniques sont soit fermées, soit ouvertes, tandis que les manches sont indifféremment longues ou courtes. Les femmes du verger couvrent toutes leurs têtes avec des foulards blancs ou un petit châle tombant légèrement sur les épaules.
Sources :
Matin, Peymân, Poushâk-e irâniân (Les vêtements des Iraniens), Az Irân tche midânam ?, No. 43, Daftar-e Pajouhesh-e Farhangui, 1383 (2004).