N° 27, février 2008

le Voyage dans les hauteurs de l’ouest

Le Kurdistan, berceau des aryens


Helena Anguizi


Les terres que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Kurdistan font partie du territoire gouverné jadis par les Mèdes. Mais qui sont les Kurdes ? La première question nous permettant de connaître un peuple est de savoir d’où il vient. Pour établir l’origine d’un peuple, on peut se baser sur des critères tels que son nom, sa langue, ses caractéristiques morphologiques… sans d’ailleurs que ce dernier point ait une valeur absolue puisqu’il est indéniable que l’ensemble des peuples sont plus ou moins métissés. Vers 1400 av. J.-C., un groupe d’Aryens parmi lesquels figure la branche médo-perse aurait pénétré au Nord-est de l’Iran et pour se diriger progressivement vers l’ouest. Ces tribus vont passer du nomadisme au semi-nomadisme, et certaines vont devenir sédentaires. Parmi ces Aryens, les Mèdes sont les premiers qui s’affirment historiquement parlant au Moyen-Orient. La première mention historique à leur sujet se trouve gravée sur une tablette assyrienne datant de 843 av. J.-C. et évoquant un pays du nom de "Pârsua" situé dans la partie orientale du Kurdistan actuel. Ces Mèdes viennent de l’Ouzbékistan actuel. Après avoir séjourné près du lac Oroumîeh, les uns à l’est, qu’ils appelèrent Amadaï, et les autres à Pârsouma qui se trouvait à l’ouest, ils arrivèrent et s’installèrent dans la région à l’époque peu peuplée de ce qui deviendra Ecbatane ("carrefour des chemins" qui est l’actuelle Hamedân). Ils y cultivèrent la terre tout en restant éleveurs.

Ourâmân

La terminaison en "-stân" du mot Kurdistan est un suffixe utilisé par la langue persane signifiant "pays de". Une des premières apparitions du terme Kurdistan dans l’histoire est due au Sultan Sanjar, roi seldjoukide ayant créé une province appelée Kurdistan. Cette province était située entre l’Azerbaïdjan et le Lorestân ; elle comprenait les régions de Hamedân, Dînawar, Kermânshâh et Sînneh sur le flanc est de Zagros et s’étendait jusqu’à Kirkouk. De même, Zamoua était une région proche du lac Oroumîeh, qui s’étendait jusqu’aux bords de la rivière Dîaleh et jusqu’à la zone où se trouvent aujourd’hui Mîandoâb, Bâneh, Soleymânîeh et Zohâb. Il y a environ 2900 ans, l’ensemble de la région où se trouvent actuellement les villes de Soleymânîeh, Sanandadj et Zohâb, ainsi qu’une partie des régions longeant le fleuve Karkheh, fut au départ baptisé "pays d’Elpî" et plus tard "Elmaïda"(ou Elymaïde). Jusqu’à environ la fin du VIe siècle de l’hégire lunaire, l’appellation de Kouhestân (région montagneuse, ce mot vient de "kouh" signifiant "montagne" en persan) était utilisée pour désigner cette région. A partir du IIIe siècle de l’hégire, l’équivalent arabe du mot Kouhestân (Al-jebal) fut utilisé dans les atlas géographiques du monde musulman.

La mosquée de Domenâreh (deux minarets), Saghez

Plus tard, c’est au contact des Mèdes en question que les Assyriens vont apprendre l’art de la cavalerie. Les chevaux mèdes seront très demandés et payés à prix d’or. Après la conquête de l’Assyrie, le roi Cyaxare restera sur place et s’iranisera progressivement. Une génération après sa mort, sous Astyage, souverain débauché, l’empire s’effondre. Cet empire n’a pas eu le temps de développer une civilisation propre, mais il va servir de prélude à l’édification de l’empire perse. Cyrus II lance par la suite des attaques contre eux et parvient à défaire Astyage. La Médie devient assujettie à la Perse ; domination que les Mèdes vont accepter assez pacifiquement. C’est donc avec Cyrus II et la dynastie des Achéménides que va commencer la gloire des Perses qui va durer de 558 à 334 av. J.-C. Dignes successeurs des Mèdes, ils vont faire triompher la culture aryenne. Après l’interruption provoquée par la victoire d’Alexandre de Macédoine et l’installation de la dynastie des Séleucides, on voit le retour au pouvoir dans ces régions des Aryens, représentés par les Parthes. Ils viennent de la mer d’Aral et s’installent à l’ouest de la Bactriane. On les appelle Parnes ou Aparnes. Le véritable fondateur de leur empire est Mithridate Ier (171-138) qui va s’emparer de la Médie et entrer à Séleucie où il est reconnu roi, pour ensuite fonder la dynastie des Arsacides. Les Parthes vont conquérir l’Hyrcanie, la Babylonie, l’Assyrie, l’Elymaïde et, d’après ce qu’attestent certains documents historiques, la Perside. Plusieurs souverains arsacides vont gouverner de nombreuses régions du Kurdistan actuel.

En étudiant attentivement l’histoire de cette période, on constate que durant la dynastie Seljoukide et plus précisément au cours du règne de Toghrol Beyg, toute la région montagneuse - nommée Dejabal Kouhestân, comme nous l’avons précisé plus haut - fut appelée Irak Ajam par le calife abbasside de l’époque, Alghâyembelâah, en 1059. On retrouve par ailleurs le nom de Kurdistan dans les textes datant du XIVe siècle, à l’époque du règne de Soleymân Shâh.

Abîdar

Il est fort probable que la division de la province remonte à la fin du règne de Aghouyounlou et au début de l’ère Safavide. Les régions, placées sous la direction desdits gouvernements, furent divisées en trois provinces - Ardalân, Sanandadj et Mahâbâd -, elles-mêmes divisées en plusieurs régions. La province d’Ardalân comptait notamment parmi les états indépendants iraniens sous Nâssereddîn Shâh. Conformément à la loi ratifiée en 1947 prévoyant la formation de nouvelles régions dont l’Azerbaïdjân, Kermân, le Balouchestân, Fârs, ou encore le Khorâssan, 23 nouvelles provinces furent proclamées.

Durant le règne du roi qâdjâr Nâssereddîn Shâh, l’Iran fut divisé en 4 états et 8 provinces. Les nouvelles prises de décision au sujet des divisions et subdivisions des territoires suite au projet de loi de 1937 divisèrent le pays en six provinces. La province de l’Ouest comprenait notamment le Kurdistân, Kermânshâhân, Garous Bâvandpour, Kolhar, Poshtekouh, Lorestân, Boroujerd, Hamedân, Malâyer, Khorramshahr et Abâdeh, Khouzestân et Kohkîloyeh.

En l’espace de quelques mois, la loi sur la division du territoire fut modifiée et l’Iran fut partagé en dix provinces et quarante-six départements. Le Kurdistan actuel était la cinquième province du pays et regroupait entre autre les villes de Kermânshâh, Hamedân, Sanandadj, Mahâbâd, Bîjâr, et Malâyer. En 1958, suite à loi votée par les ministres, la province du Kurdistan devint une province indépendante et compris cette fois quatre départements : Sanandadj, Grous, Saghez et Gharveh.

Comme nous l’avons évoqué, la province iranienne du Kurdistan est une région montagneuse et de hauts plateaux. Les chaînes des monts Taurus et des monts Zagros forment ce que l’on pourrait appeler la "colonne vertébrale" du Kurdistan. Certains des sommets du Kurdistan sont très élevés : par exemple, le mont Ararat culmine à 5165 m. Les neiges éternelles couvrent les sommets une bonne partie de l’année. La place et l’importance des montagnes est telle au Kurdistan que de nombreux proverbes y font allusion. Deux fleuves d’importance majeure au Moyen-Orient y prennent leur source : le Tigre et l’Euphrate. De plus, la région est parcourue de rivières qui sont des affluents de l’un ou l’autre de ces grands fleuves : le Petit Zab, le Grand Zab, le Diyala, etc. Ces rivières contribuent à l’irrigation d’un certain nombre de vallées très fertiles. Les forêts y représentent toujours une superficie d’environ 160 000 km². Elles sont essentiellement constituées de chênes, sapins et autres conifères ainsi que de platanes, peupliers et saules dans le bas des vallées et au bord des rivières.

Les températures annuelles moyennes au Kurdistan dépendent beaucoup de l’altitude. L’été peut être relativement chaud et humide dans les régions basses du sud, alors qu’il est frais dans les régions montagneuses. Le climat dominant est continental, avec des influences méditerranéennes.

L’édifice de Khosrow-âbâd, Sanandadj

Les régions les plus froides sont situées au nord du Kurdistan. Ces régions où la température annuelle moyenne est inférieure à 0° C constituent environ 5% du territoire du Kurdistan. Les régions dont la température annuelle moyenne oscille entre 0 et 5° C sont situées dans le nord et le nord-ouest du Kurdistan, et représentent 15% du territoire du Kurdistan. Le nord ainsi que l’est du territoire a des températures annuelles moyennes oscillant entre 5 et 10° C, couvre environ 20% de la superficie du Kurdistan. Dans le sud et l’ouest, elles sont comprises entre 10 et 15° C. La zone la plus chaude, où les températures annuelles moyennes sont comprises entre 15 et 20° C, est située à l’extrême ouest du Kurdistan. Les précipitations ont lieu de novembre à avril. Les chutes de neige sont importantes sur les massifs montagneux (la neige est présente pendant sept mois de l’année dans les régions les plus froides).

A partir de 1040 de l’hégire, Soleymân Khân Ardalân qui régnait sur le pays à l’époque y entrepris la construction d’une forteresse, dont il nomma la partie la plus haute "Sahneh". C’est de là que proviendrait l’actuel nom de la ville de Sannandaj, l’actuelle capitale de la région du Kurdistan.

Cette province comporte de nombreux sites naturels et historiques : de vieilles tours, des caravansérails, des grottes et bien d’autres magnifiques lieux attendent les visiteurs. En voici quelques uns :

Karaftou, la grotte antique

La grotte de Karaftou, Saghez, province de Dîvândarreh

Cette grotte est située à 72 kilomètres à l’est de Saghez, dans la province de Dîvândarreh. Les recherches montrent que Karaftou était une grotte maritime durant l’ère mésozoïque. C’est une grotte naturelle de chaux ayant subi au cours des siècles de nombreuses transformations de la part des hommes en vue de la rendre habitable, ayant pris la forme d’une architecture sur quatre étages, creusée au cœur de la montagne. Cette grotte a été visitée par les chercheurs les plus renommés du monde. Une inscription grecque figurant à l’entrée de l’une des pièces du troisième étage a conduit les chercheurs à présumer que cette grotte a jadis servi de sanctuaire. Voici ce que dit l’inscription : "Ici repose Hercules. Que nul impureté n’y pénètre". La grotte mesure environ 750 mètres de long et ressemble à un vrai labyrinthe en raison des couloirs et pièces crées par les hommes de différentes époques qui y ont vécu. L’entrée se trouve à environ 25 mètres du pied de la montagne. Dans le temps, le visiteur devait emprunter un chemin assez difficile d’accès pour y pénétrer, mais aujourd’hui l’existence d’escaliers métalliques facilite la montée. Autre aspect remarquable de l’architecture de cette grotte : les chambres et les couloirs sont reliés entre eux, laissant ainsi la lumière pénétrer dans l’ensemble des pièces, grâce aux fenêtres et diverses ouvertures qui donnent sur l’extérieur. Certaines pièces sont ornées de représentations murales représentant pour la plupart des animaux et la végétation. La découverte de pierres taillées au quatrième étage ainsi qu’à l’extérieur de la grotte laisse penser que des hommes préhistoriques ont habité les lieux. De même, les poteries et autres objets découverts prouvent que cette grotte a également été habitée à l’époque Sassanide et Arsacide.

Les travaux de rénovation de l’entourage de la grotte, à savoir la réparation des escaliers, la construction de bancs, de parkings et de toilettes publiques ont été effectués entre 2001 et 2002.

La colline antique de Zîvîeh

Cette colline se trouve dans le village du même nom situé à environ 55 kilomètres au sud-ouest de la ville de Saghez. Les fouilles archéologiques effectuées sur cette colline ont permis la découverte d’un fort enfoui sous des dizaines de mètres de terre. Lors des premières fouilles effectuées à la fin des années 1940 par Ayoub Rabno, d’exceptionnels objets ont été découverts, dont un cercueil en bronze. Ces mêmes fouilles ont eu des conséquences désastreuses, étant donné que des mains inexpertes ont fortement endommagé le fort, dont la construction remonte à environ 2700 ans. Les premières fouilles scientifiques n’ont commencé qu’en 1976, et furent achevées en 2002. Elles ont permis la découverte de magnifiques objets en ivoire sur lesquels des scènes de chasse ont été sculptées.

La particularité de ce fort réside dans sa construction unique, et son emplacement sur une colline assez difficile d’accès. L’entrée principale se fait par un escalier de vingt et une marches qui se trouve à l’est de la colline. L’une des parties les plus intéressantes de cet édifice est son entrée, où se trouvent seize colonnes dont les pieds sont en pierre et dont le diamètre mesure de 95 à 105 centimètres. Le parterre de ce grand salon est tapissé de briques crues en forme de jeux d’échecs. Cette immense forteresse abrite également plusieurs grandes salles, des cours ainsi que de nombreuses pièces à usage divers.

Les gravures en relief et les inscriptions sur pierre d’Ourâmân

A 45 kilomètres au nord-ouest de Kamyârân, à environ 500 mètres au nord-ouest du village Tanguîvâr, dans le détroit de Zîanîeh, le visiteur pourra admirer les vestiges d’une inscription en cunéiforme et des motifs gravés sur un auvent. Cet arc décoratif a été réalisé sur de la roche située à 120 mètres du sol. On y trouve une ornementation en relief représentant un homme (50 centimètres de long et 35 centimètres de large) qui est très probablement Sargon II, le monarque assyrien. Le roi est représenté de profil et porte une coiffe cylindrique ressemblant à un capuchon. Sa main droite est levée et la gauche est posée sur son ventre. Près de cette représentation se trouve une inscription cunéiforme d’environ 50 lignes dans un cadre de dimensions 120 sur 120 centimètres. Le texte est écrit en ancien assyrien et raconte les victoires du roi face aux Divinités maléfiques assyriennes. Plus bas, il évoque le nom des contrées que le roi a conquises ou détruites durant ces guerres. Cette inscription date très probablement de la fin du deuxième millénaire av. J.-C.

Gravure en relief d’Abîdar

C’est en s’inspirant des motifs de Zîvîeh que l’artiste a conçu ce travail situé dans le parc national d’Abîdar. C’est en agrandissant près de 120 fois les motifs retrouvés sur les objets en ivoire dans la forteresse de Zîvîeh qui ne mesuraient à l’origine pas plus de trois centimètres, que Hâdî Zîaoddînî, travaillant pour la sauvegarde du patrimoine culturel de la province, a minutieusement dirigé les travaux de réalisation de cette œuvre sur du béton.

Cette gravure en relief représente deux scènes principales : une scène légendaire avec une créature mi-homme mi-poisson et dont certains traits rappellent également ceux de la vache, et une autre représentant une chasse aux lions.


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