N° 16, mars 2007

Nizâr Qabbâni, le poète de l’amour


Mohammad-Mehdi Shodjâï


Nizâr Qabbâni naquit le 22 mars 1922 à Damas. Il étudia tout d’abord à l’école Française de cette même ville qui lui permit, selon ses propres mots de "boire la littérature française à sa source". Après avoir effectué des études de droit à l’université de Damas en 1945, il entra au ministère des affaires étrangères. Il quitta son poste en 1966 et revint à Beyrouth - où il avait vécu durant plusieurs années-pour y fonder une maison d’édition appelée "Manshoraté Nizâr Qabbâni ".

En 1943, il publia ses premières poésies intitulées Cette femme verte me dit qui fut l’objet de nombreuses critiques mais le convertit en " poète de la femme ". Par la suite, il publia d’autres livres tels que Tu es à moi (1950), Le journal d’une femme indifférente (1968), Le livre de l’amour (1970), 100 lettres d’amour (1970), Des poèmes hors- la loi(1972), Je t’aime, je t’aime et la suite viendra (1978), A Beyrouth, avec mon amour (1978), Que chaque année tu sois ma bien aimée (1978), Je jure qu’il n’y a de femmes que toi (1979). La majorité de ses poèmes constituent de véritables hymnes à l’amour et prennent parfois la défense des droits de la femme. Il utilise un langage simple aux sonorités douces, tout en affirmant qu’" il y a deux langues arabes, la langue des dictionnaires et la langue familière ; il y a aussi une autre langue que j’emploie, la langue qui est entre les deux".

Il décéda le 1er mai 1998 à Londres et laissa derrière lui une œuvre vivante, très largement lue et appréciée aujourd’hui au sein des pays arabes, pour incarner désormais le poète de la femme, du soi et de la patrie.


Jamais, qui vit avec l’amour, ne mourra

Dans le livre du monde, notre éternité est écrite


Hâfez

Cent lettres

La langue ne peut guère te ressembler en quoi que ce soit

J’inventerai une langue pour toi, pour toi seule

Je l’agrandirai aux dimensions de ton corps et à la taille de mon amour

***

Je voudrais voyager au sein des feuilles du dictionnaire

Je voudrais que ma bouche soit satisfaite de moi, mais je suis las de sa forme

Je voudrais une autre bouche qui puisse changer quand je le veux

Contre un arbre comme raisin

Contre une allumette

Je voudrais une nouvelle bouche, les mots quitteront ma bouche comme les fées quittent la mer, tout comme l’oiselet blanc quitte le chapeau du magicien

***

Ramassez tous les livres que j’ai lus durant mon enfance

Ramassez les craies

Ramassez les stylos

Ramassez les tableaux noirs

Et enseignez- moi un nouveau mot pour que j’en orne, telle une boucle, l’oreille de mon aimée

***

Je voudrais d’autres doigts pour écrire différemment

Je déteste les doigts qui ne grandissent pas… et ne rapetissent pas

Je déteste les arbres qui ne mûrissent pas … et ne grandissent pas

Je voudrais de nouveaux doigts

Longs comme les mâts des bateaux

Longs comme les cous des girafes

Pour tisser un gilet pour mon aimée qui ne le fut point

Je voudrais inventer de nouveaux alphabets qui ne soient pas comme tous les alphabets

Au creux de mes alphabets, il y a

Un peu de pluie tombée

Un peu de poussière de lune

Un peu de chagrin des nuages cendreux

Un peu de plainte des feuilles de saule sous des calèches de septembre

Je voudrais t’offrir les trésors des mots qui ne furent jamais offert à une femme

Et n’enlacèrent jamais une femme

O femme !

Il n’y a personne avant toi

Il n’y a personne après toi

***

Je voudrais enseigner à ton corps paresseux

Comment épeler mon nom

Et

Comment lire mes lettres

Je voudrais inventer une langue pour toi, pour toi seule

 

Deuxième lettre

Je voudrais inventer une langue pour toi, pour toi seule

A midi tu entras

Un jour parmi les jours du mois de mars

Comme une ode qui marchait sur ses deux pieds

Le soleil entra avec toi

Le printemps entra avec toi

Sur ma table, il y avait des papiers… les pages furent tournées

Et devant moi, il y avait une tasse de café

Tu m’en abreuvas avant que je ne la boive

Sur mon mur, il y avait une peinture à l’huile de chevaux qui courent

Ils me quittèrent lorsqu’ils te virent et coururent vers toi

***

A midi tu entras

Ce jour-là parmi les jours du mois de mars

Ce jour-là la terre frissonna

Une étoile filante tomba

Les enfants pensèrent qu’elle était un pain plein de miel

Les femmes pensèrent qu’elle était un homme décoré par des diamants

Et les hommes pensèrent qu’elle était un des signes de la nuit de Qadr [1]

***

Et quand tu enlevas ton manteau de printemps

Et que tu t’assis en face de moi

Je vis un papillon qui apportait sur ses ailes un vêtement d’été

Je soutins que les enfants avaient raison

Que les femmes avaient raison

Que les hommes avaient raison

Et que toi

Tu sois appétissante comme le miel

Transparente comme le diamant

Etonnante comme la nuit de Qadr

 

 

Devineresse

Elle s’assied

Elle s’assied

Elle fixe ma tasse renversée

Mon fils ! Me dit-elle, l’amour, c’est ton destin !

L’amour, mon fils ! C’est ton destin !

O ! Mon fils, qui se sacrifie pour sa bien-aimée et meurt,

Meurt comme un martyr

Mon fils ! Mon fils !

Je suis une astrologue habile, mais

Je n’avait jamais lu un tel sort dans le marc du café

Je suis une astrologue, riche d’expérience, mais jusqu’à ce moment,

Je n’avais jamais vu de souffrances comme les tiennes.

Tu dois ramer sans voile dans la mer de l’amour, c’est ton destin

Tu dois rester prisonnier entre eau et feu

***

Bien que tu te brûles

Dans le feu des incidents

Avec la peine que tu te donnes jour et nuit

Dans le vent et sous la pluie

Sous les coups de tonnerre

L’amour, vivra mon fils ! Mon fils !

L’amour, ce plus doux de tous les destins

***

Dans ta vie, une femme aux yeux séduisants existe

Sa bouche, telle une grappe de raisin

Son sourire comme des chansons d’amour

Et ses cheveux enlacent le tour du monde

Mon fils !

Ton aimée, le cœur du monde l’aime.

Ton aimée dort au palais

Mon fils !

Qui voudrait entrer dans sa chambre

Qui voudrait sa main

Qui voudrait s’approcher du mur de son jardin

Qui souhaiterait lui détacher ses cheveux frisés

Il sera perdu mon fils ! Perdu, perdu

Mon fils ! Tu seras en sa quête partout

Tu traverseras toutes les mers

Et te noieras dans la mer de tes pleurs

Tes peines croîtront telles des arbres

Mon fils ! Las tu retourneras

Ta vie passée, tu sauras que tu cherchais une ligne de fumée

Ton aimée n’a guère de patrie ni d’adresse

Qu’il est dur d’aimer une femme sans adresse

Mon fils ! Hélas ! Mon fils !

Notes

[1La nuit de Qadr (en arabe : leylat-ul-qadr) est la nuit du mois de ramadân durant laquelle le Coran aurait été révélé.


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2 Messages

  • Nizâr Qabbâni, le poète de l’amour 16 mai 2013 12:50, par djassime

    Bonjour
    Je m’appelle djassime etudiant du Francais d’origine arabe je voudrais
    bien connaitre nizar pour ecrire en francais.
    merci

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  • Nizâr Qabbâni, le poète de l’amour 11 juillet 2014 15:27, par antoine

    ce texte sur l’amour est vraiment magique, je prends beaucoup de plaisir à le lire. N’hésitez pas à passer voir mon site sur la compatibiliteprenom.info, il parle également de l’amour, mais plus en fonction des prénoms. C’est un peu de la numérologie, pour savoir si on est compatible avec la femme de sa vie.

    repondre message