N° 46, septembre 2009

L’influence des récits de voyage des Iraniens sur la situation politique à l’époque qâdjâre


Zahrâ Mozaffari
Traduit et adapté par

Mahnâz Rezaï


Au cours des premières années du XIXe siècle, l’Europe était en pleine expansion politique et économique alors que l’Iran des Qâdjârs souffrait de nombreuses insuffisances dans le domaine de l’éducation et de ses infrastructures.

Sous le règne des Qâdjârs comme sous celui des Safavides, les relations politiques entre l’Iran et l’Europe se développèrent. A cette époque, contrairement à l’époque zend et afshâr, les Européens s’intéressèrent de façon croissante à l’Orient et notamment à l’Iran. Ainsi, bien que l’établissement de relations soutenues entre l’Iran et certains pays européens comme l’Angleterre ou la France datent de l’époque safavide, l’époque qâdjâre est marquée par une expansion des relations entre Européens et Iraniens, ainsi que de la découverte par ces derniers des progrès de la civilisation industrielle occidentale.

Les voyages des hommes d’Etat, négociants, touristes et étudiants au sein des pays européens ou de pays comme l’Inde et la Turquie ottomane, qui eux-mêmes avaient été influencés par les évolutions intellectuelles, politiques, sociales, économiques et culturelles de l’Occident, préparèrent le terrain pour une meilleure connaissance des Iraniens de cette civilisation. Les premiers récits de voyage des Iraniens écrits à l’époque qâdjâre, les souvenirs et les visions qu’avaient ces écrivains de l’Europe et de pays comme la Turquie ou l’Inde elle-même sous domination anglaise, sont importants à plusieurs égards, notamment dans la construction d’une conscience politique.

Mirzâ Abolhassan Khân Shirâzi, par Sir Thomas Lawrence

Abd-ol-Latif Mowlavi Shoushtari, qui résida en Inde pendant des années, révèle dans son Tohfat al-’Alam (écrit en 1801) des informations précieuses sur les progrès scientifique et politique en Occident dans le domaine de la médecine, l’industrie, les arts et métiers, la militarisation, les réformes religieuses, la séparation des pouvoirs, l’égalité de tous les hommes devant la loi, les principes du régime démocratique, l’existence d’une assemblée nationale, la tenue d’élections législatives libres et les pouvoirs limités des rois. [1]

Aghâ Mohammad Behbahâni, qui a voyagé en Inde en 1804, évoque dans son Merât al-Ahvâl Djahân Nemâ le modernisme et les progrès en Occident dans différents domaines telles que les nouvelles méthodes d’enseignement, l’enseignement gratuit pour les pauvres, les progrès en médecine, l’hygiène, l’industrie, l’imprimerie, le journalisme, l’égalité des rois et sujets devant la loi, ou encore le rôle du Parlement et des députés dans les sociétés occidentales. [2]

Mirzâ Abolhassan Khân Shirâzi, surnommé Iltchi, est un diplomate iranien qui voyagea à Londres en 1809 et écrivit par la suite un récit de voyage intitulé Heyrat Nâmeh-ye Sofarâ dans lequel il évoque également les progrès scientifiques, industriels, militaires, agricoles, le système des taxes, les nouvelles méthodes administratives de l’Angleterre, le régime démocratique ainsi que le rôle du peuple dans la société et celui de leurs députés au sein du Parlement. [3]

Soltân al-Vâ’ezin est un autre voyageur ayant contribué à initier les Iraniens aux évolutions sociales et politiques européennes. Il rédigea ses impressions à ce sujet en 1816, alors qu’il habitait en Inde. Dans son récit de voyage, en évoquant la question de la liberté de la presse en Angleterre il écrit : « En Angleterre, l’écrivain a le droit de critiquer librement les hommes d’Etat, même le roi ». [4] Il y donne également des informations sur les principes du régime démocratique et l’organisation politique en Angleterre. Il traite de la séparation des pouvoirs et du rôle du peuple et du Parlement dans la société : « On a construit un bâtiment splendide qu’on appelle "parlement" (Beit al-Showrâ). On a demandé au peuple du pays d’y présenter et d’y envoyer des hommes de qualité et compétents comme députés. Pour ne pas laisser le roi décider seul pour le pays, on a décidé de limiter ses pouvoirs et son autorité ». [5]

Mirzâ Zein al-Abedin Shirvâni et Mirzâ Sâleh Shirâzi font également partie de ces Iraniens qui, au travers de leur récit de voyage, ont largement évoqué le modernisme du monde occidental dans différents domaines.

A l’époque qâdjâre où le sous-développement régnait dans l’ensemble de la société iranienne, la présentation des différents aspects du modernisme des sociétés européennes par des écrivains comme Moussavi Shoushtari, Iltchi, Behbahâni, Soltân al-Vâ’ezin, Shirvâni et Mirzâ Sâleh Shirâzi a beaucoup contribué à améliorer la connaissance que les Iraniens avaient de la vie socio-politique des Européens à l’époque, ainsi qu’à faire connaître aux Iraniens des notions comme celle de monarchie constitutionnelle. A ce titre, ces récits de voyage ont sans aucun doute joué un rôle déterminant et préparé le terrain de la Révolution constitutionnelle de 1906.

Sources :
- Behbahâni, Aghâ Ahmad Ibn Mohammad Ali, Mer’ât al-Ahvâl Djahân Nemâ, Vols 1 et 2, introduction de Ali Davâni, Markaz Farhangui Ghebleh, 1993.
- Hassani al-Hosseini, Abolfath, Safarnâmeh-ye Soltân al-Vâ’ezin dar Hend (Récit de voyage de Sultan al-Vâezin en Inde), 1816.
- Mirzâ Abolhassan Shirâzi, Heyrat Nâmeh-ye Sofarâ.
- Shoushtari Djazâyeri, Abd ol-Latif, Tohfat al-’Alam, l’Inde, 1877.

Notes

[1Shoushtari Djazâyeri, Tohfat al-’Alam, pp. 284-351.

[2Behbahâni, Mer’ât al-Ahvâl Djahân Nemâ, pp. 453-515.

[3Mirzâ Abolhassan Shirâzi, Heyrat Nâmeh-ye Sofarâ, pp. 120-333.

[4Hassani al-Hosseini, Safarnâmeh-ye Soltân al-Vâ’ezin dar Hend, pp. 187-204.

[5Ibid. p. 187.


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