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Si, du point de vue littéraire, le XVIIIe siècle fut celui de Voltaire et le XIXe siècle celui de Hugo, on peut dire que Sartre, dans le XXe siècle, est présenté comme un symbole dans la littérature et surtout dans la littérature engagée ; il décide de transcrire l’histoire de son époque. Sartre parle de ce sujet dans sa biographie intitulée Les Mots. L’époque pleine de mouvements, d’incertitudes, de désillusions, de mutations, nous montre les engagements multiples, voire contradictoires, de Sartre en tant qu’écrivain engagé ; dans une telle situation, l’homme, l’artiste et de façon plus intense l’écrivain lui-même se sent responsable et ne peut pas rester indifférent aux événements civils et sociaux ainsi qu’aux événements des autres pays. En effet, l’écrivain ne peut pas rester dans la neutralité ; de sorte que Jean Guéhenno, l’un des maîtres à penser des années 30, ainsi que Romain Rolland et Henri Barbusse l’un des prisonniers de l’engagement, proclament que : "le devoir de 1’écrivain est dans l’engagement". De plus, la littérature de ce temps traverse la période la plus polémique de son histoire. Ce qui est essentiel dans la vie de Sartre est qu’il se présente lui-même engagé dans un monde dont il se sent responsable. D’un autre côté, Sartre, qui était issu d’une famille bourgeoise, ne pensait aucunement se compromettre avec la bourgeoisie. De plus, à cause de ce même engagement, il fut plusieurs fois interpellé par les autorités mais sans jamais être inquiété, grâce au Général de Gaulle qui se plaisait à dire : "On n’arrête pas Voltaire !" Si Sartre était la figure de proue de l’école existentialiste avec Simone de Beauvoir, d’autres écrivains comme Albert Camus jouèrent également un rôle important dans la naissance et le développement de l’Existentialisme.
Dans l’essai intitulé Qu’est-ce que la littérature ?, Sartre pose la notion de la "littérature engagée". Il y exprime clairement que la littérature n’est qu’un effort, une lutte pour atteindre la connaissance et la liberté. Ainsi, en abordant certains problèmes capitaux comme "Qu’est-ce que écrire ?", "Pourquoi écrit-on ?’’ et "Pour qui écrit-on ?’’, il s’efforce d’apporter des réponses qui font de 1’acte d’écrire un acte d’engagement.
En réalité, Sartre présente sous forme d’inventaire les caractères de la "littérature engagée" et de "l’écrivain engagé".
Premièrement, "la littérature engagée" doit se consacrer la situation socio-culturelle, socio-économique, socio-politique - en un mot la condition humaine. Dans ce sens, "la littérature efficace, c’est la littérature qui entraîne 1’homme vers l’amélioration de la condition des hommes et vers l’humanité".
Deuxièmement : "l’écrivain engagé" est l’écrivain qui est au centre des événements de son temps.
Sartre dans les essais théoriques Qu’est-ce que la littérature ? et Que peut la littérature ? insiste sur l’écriture à la fois utile et efficace et dénonce les limites de la littérature humaniste ; il y souligne que : "la littérature, la prose avant tout, est un élément de combat pour un homme qui a choisi d’écrire". Selon Sartre, l’écrivain, qu’il le veuille ou non, est "dans le coup", obligé de se battre avec le monde et la réalité qui s’impose à lui ; chargé de témoigner sur son temps, d’historialiser son écriture, de transformer ses exigences de forme et de style en revendications matérielles et datées. De plus, il évoque dans sa biographie : "..., je confondis la littérature avec la prière, j’en fis un sacrifice humain". En outre, Sartre, en présentant le sujet de la mission de l’écrivain, rejette les écrivains comme Proust, Flaubert, Les Goncourt et même Balzac à cause de leur silence à l’égard des événements de leur époque. C’est là que Sartre apparaît comme un critique ; le critique qui s’efforce d’accomplir une vie aux frontières de 1’humanité normale.
On peut diviser les œuvres de Jean-Paul Sartre en trois grandes parties du point de vue de l’engagement :
1- L’engagement forcé et individuel :
Par exemple dans Huis-clos qui est un drame, on peut voir une sorte de théâtre de l’anti-situation du fait que les personnages sont prisonniers d’un univers mort et neutre. C’est aussi le cas d’Oreste dans Les Mouches.
2- L’engagement au nom de la collectivité
Par exemple Hoédérer dans Les Mains sales, et Goetz dans Le Diable et le Bon Dieu. Cet engagement déclare que l’homme ne doit pas être indifférent à l’égard des autres.
3- L’engagement universel (1952-1980)
Les œuvres littéraires et la réflexion philosophique de Sartre sont les témoins de cet engagement ; il prend le parti des pays de l’est et il défend le tiers monde et ses luttes de libération nationale (l’Algérie, le Viêt-Nam, Cuba). De plus, en refusant le prix Nobel, il expose au grand jour son rejet des pays colonialistes et son indignation à l’égard du massacre de la population du Viêt-Nam. Cette prise de position contribua d’ailleurs largement à sa célébrité universelle.
L’engagement joue donc un rôle central dans les œuvres et dans la vie de Sartre. Ce dernier, en appuyant sur le style de rédaction, dit que ce style doit être direct, précis et efficace. Cela car, selon Sartre, le but principal de la littérature engagée est d’agir sur les lecteurs. Il s’efforce de sauver les hommes de l’époque des incertitudes, des hésitations et des obscurités ; en sorte que le Clézio a dit à son sujet : "Il a souffert son siècle, agi son siècle".
De l’autre côté, Julien Gracq a évoqué : "Sartre est un phénomène d’aimantation collective immédiate le plus souligné que la littérature ait connu depuis le romantisme".
Avec tous ces commentaires, d’un côté Sartre veut devenir un "écrivain- chevalier" pour expérimenter les douleurs du monde pour les pourfendre de sa plume, et de l’autre, en présentant l’idéal de "l’écrivain-martyr" à l’égard de son hésitation sur l’efficacité de l’écriture, il dit : "Qu’importe, lance-t-il, je fais (rédige), je ferai des livres, cela sert tout de même".
Pourtant, agir selon cet engagement conduit ultimement à cette phrase révélatrice écrite par Sartre : "Je suis, moi- même, perpétuellement en danger".
Bibliographie :
Collection littéraire Lagarde et Michard :
Lagarde (André) et Michard (Laurent), XXe siècle : anthologie et histoire littéraire, Paris, Ed. Bordas, 1988, 896 p.
Collection Chassang- Senninger :
Chassang (A.) et Senninger (Ch.), Recueil des textes littéraires français, XXe siècle, Paris, Ed. Hachette, 1981, 624 p.
Collection Profil-Littérature :
Berton (Jean-Claude), Histoire de la littérature et des idées en France au XXe siècle, Paris, Ed. Hatier, 1983, 192 p.
Collection Itinéraires littéraires :
Maul poix (Jean-Michel), XXe siècle. Tome II. Après 1950, Paris, Ed. Hatier, 1991, 464 p.
Abrégés de littérature française :
Darcos (Xavier), Histoire de la littérature française, Paris, Ed. Hachette, Collection Education, 1992, 528 p.
Salomon (Pierre), Précis d’histoire de la littérature française, Paris, Masson et Cie Editeur, 1969, 530 p.