Les Iraniens furent sans doute les premiers créateurs du Bâd-gîr, signifiant capteur de vent en persan. Cet élément traditionnel de l’architecture fut très utilisé pendant des siècles afin de supporter l’étouffante chaleur estivale des régions les plus désertiques du pays. Etant donné son efficacité pour rafraîchir les maisons, les Iraniens l’intégrèrent dans leur habitat, ce qui induit le développement rapide d’un mode d’architecture propre aux provinces méridionales et centrales de l’Iran. Au fur et à mesure de l’augmentation du nombre des tours de vent, les Iraniens développaient davantage leur aspect esthétique en les ornant de briques décoratives et en créant des ouvertures en forme de jolis arcs.

Bâdgîrs de la ville de Yazd
Photo : Albert Videt

Il faut également souligner que la ville antique de Yazd est connue en tant que "Ville des capteurs de vent" du fait de l’important nombre de Bâdgîr que l’on y trouve. Le jardin historique de cette ville nommé "bâgh-e-dôlat-âbâd" (le jardin de Dôlat-âbâd) est aussi célèbre car il abrite le plus haut Bâdgîr du monde dont la colonne octogonale atteint une hauteur de 34 mètres.

Conscient des impacts nocifs et polluants des nouvelles technologies pour l’environnement, il est intéressant de constater aujourd’hui un regain d’intérêt pour les initiatives de certaines civilisations anciennes pour maîtriser la nature ou dominer ses contraintes.

A ce titre, de nombreux écologistes contemporains parlent de la nécessité de construire des villes écologiques.

Or le système du Bâdgîr peut-il avoir un rôle dans cette vision renouvelée de l’environnement ? Cela semble être confirmé par les études menées dans le cadre de l’architecture écologique, qui met l’accent sur le mode de construction du Bâdgîr dans ses différentes formes initiales. Ce nouveau domaine de l’architecture permettant la construction des maisons écologiques reprend les "règles de l’art" de l’architecture ancienne. Elle intègre au mieux les maisons dans leur environnement et s’attache tout particulièrement à respecter l’orientation la plus favorable pour la ventilation naturelle et l’ensoleillement. En d’autres termes, elle vise à adapter le projet immobilier à son environnement, malgré les conditions climatiques difficiles qu’il nous offre.

L’architecture du Bâdgîr

Les Bâdgîrs étaient généralement construits en forme de polygone régulier, notamment de tétragone et d’octogone. La hauteur de la colonne devait être supérieure à celle des autres éléments du toit et il fallait les faire remonter juste au-dessus du la "chambre du bassin". Au milieu de cette chambre se trouvait un ou plusieurs réservoirs d’eau établissant la connexion entre l’arrière cour et les chambres estivales.

En examinant le mécanisme des tours de vent, on constate que nos actuels refroidisseurs hydriques fonctionnent de la même manière.

Chaque fois qu’un faible souffle de vent passe à travers le sommet du capteur de vent, la différence de hauteur crée une faible différence de pression entre la base et le sommet de la colonne interne du Bâdgîr. La différence de pression aide l’air chaud à remonter vers le sommet et à amener de l’air frais vers le bas de la colonne. D’autre part, la division de la colonne interne par des cloisons et des rideaux de briques accélère non seulement le déplacement de l’air, mais implique également sa diffusion jusqu’au bout de la colonne.

Le jardin de Dowlat-Abâd, Taft

Une fois que l’air a traversé la longueur, il entre en contact avec l’eau du bassin, située en dessous. Dès lors, l’eau entre en contact avec la chaleur de l’air et s’évapore. Cet échange de chaleur se traduit par une baisse considérable de la température de l’air qui est ensuite acheminé vers les chambres estivales. Pour les plus riches, la chambre du bassin était un espace fermé et séparé des chambres estivales, qui disposaient d’orifices semblables aux canaux de refroidissement intérieur ; ainsi, l’air frais était conduit là où l’on voulait.

En outre, le Bâdgîr était également employé dans les "yakhtchâl" ou refroidisseurs naturels pour le stockage de la glace mais aussi parfois de la nourriture. Un yakhtchâl, signifiant "stockage de glace", est un réfrigérateur ancien. Cette structure était un grand espace enterré jusqu’à 5000m3 qui avait des murs d’au moins deux mètres d’épaisseur à la base faite avec une mixture totalement imperméable. Cet espace était souvent relié à une source d’eau et possédait aussi souvent un Bâdgîr qui pouvait facilement rafraîchir les différentes pièces pendant les jours d’été.

Le Bâdgîr et le climat

En général, les plus hauts Bâdgîrs étaient construits en forme d’octogone et de tétragone, tandis que les plus courts avait une seule ouverture orientée contre le courant d’air.

Les Bâdgîrs de la maison des Boroudjerdi, Kâshân

En effet, dans les régions au climat désertique, le vent déplace les dunes mouvantes. Dès lors, les poussières s’élèvent très haut dans le ciel et sont ainsi facilement prises dans les courants traversant les régions et les zones encore non conquises par le désert. Cela explique pourquoi les tours de vent de ces régions n’ont qu’une seule ouverture orientée inversement au sens des vents désertiques, ce qui décroît considérablement la pénétration des poussières à l’intérieur de l’édifice. D’autre part, un espace constituant une sorte de "bouclier" qui avait pour rôle de ralentir le courant d’air et de filtrer la poussière était prévu dans la colonne interne.

La forme multilatérale prise par d’autres Bâdgîrs convient davantage aux régions où les courants d’air ont divers sens, du nord au sud et de l’est à l’ouest.

Par ailleurs, les capteurs de vent octogonaux sont très efficients en raison de leur périmètre quasiment circulaire, qui facilite le captage de vent quel que soit sa direction.

La différence entre les Bâdgîrs de Yazd et de Meybod

Située seulement à 50 km de la ville de Yazd, la ville de Meybod a une architecture différente de celle de Yazd. Ainsi, la diversité des courants d’air dans ces deux régions et la situation morphokilométrique se reflète dans la construction de leurs Bâdgîrs. En effet, la ville de Yazd est située en plein désert et entourée de deux chaînes de montagnes qui la protègent relativement des typhons désertiques. En raison de cette particularité, les Bâdgîrs de cette ville furent construits en octogone, ayant une hauteur remarquable de 15 à 18 mètres.

Par contre, les Bâdgîrs de Meybod, exposés directement aux courants d’air très intenses, sont de faible hauteur et n’ont qu’une seule ouverture.

Un autre emploi non négligeable des capteurs de vent est "l’effet de cheminée". Dans la journée, au moment où l’air ne se déplace pas facilement ou qu’il souffle dans le sens opposé des orifices de la colonne, la chaleur s’échappe de l’intérieur du bâtiment à travers le canal du Bâdgîr et entraîne donc une circulation de l’air douce et rafraîchissante.

La maison d’Aghâ-Zâdeh, Abarkouh, Yazd

On bénéficie de cet effet pour renforcer l’efficacité des Bâdgîrs. Il faut alors ajouter un à trois autres Bâdgîrs au principal ayant des ouvertures dans des directions autres que celle du vent - seules les ouvertures du principal demeurant orientées vers le vent. Ce dernier sera ainsi introduit par les orifices du Bâdgîr principal et l’air chaud de l’intérieur s’échappera simultanément par les trois autres colonnes dont les canaux sont divisés en quatre sections en forme de croix.

Une autre particularité concerne la consolidation de la tour du vent vis-à-vis de la pression du vent. Cet objectif était atteint en construisant des échafaudages le long du corps du Bâdgîr dont l’extrémité dépassait des deux côtés de la colonne et servait aussi lors de sa restauration.

Une étude de faisabilité était indispensable avant la construction des Bâdgîrs. Cette étude concernait particulièrement la hauteur de la tour, le nombre d’orifices, l’espace à climatiser et la direction des vents. Commettre la moindre erreur dans ces évaluations pouvait aboutir à des effets opposés à l’objectif initial et entraîner notamment l’entrée de la poussière et de l’air chaud au sein des maisons.

Enfin, il convient d’indiquer que nous ne prétendons point avoir ici abordé l’ensemble de la question du Bâdgîr dans ses différentes dimensions, et qu’il demeure d’importantes recherches à effectuer dans ce domaine. Dans tous les cas, cela souligne la nécessité de porter une attention à certaines techniques du passé pour apprendre les initiatives de nos ancêtres et éventuellement les utiliser pour répondre à certains problèmes environnementaux, notamment dans le domaine du développement durable.


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9 Messages

  • Les Bâdgirs 27 juillet 2011 02:57, par Alexandre Thiry

    Salam aleykoum,

    pouvez-vous me dire où ont été retrouvées les plus anciennes trace de bagdir et de quelle époque cela date-t-il ?

    Merci

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  • Les Bâdgirs 2 mars 2015 08:48, par Seyed Mohammad Reza javadi

    Bonjour,
    Je vous remercie pour ce site qui permet aux étrangers de connaître l’Iran en détail. Mais la revue donne parfois de fausses informations. Par exemple dans l’article sur la "tour de vent" Mme Hoda sadough parle des tours de vent des glacières. Les glacières n’ont jamais eu de tours de vent. En fait, une glacière ne peut pas en avoir !, et en Iran il n’y a pas de glacière avec une capacité de 5000 m3. La capacité de la glacière de Meybod qui est une des plus grandes du pays est d’environ 340 m3. Pour plus d’information sur les glacières adressez-vous à mon article que j’ai mis sur le site des guides de la province du Fars (انجمن صنفی راهنمایان استان فارس)
    Cordialement,
    Seyed Mohammad Reza Javadi

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    • Les Bâdgirs 2 mars 2015 13:02, par Mireille Ferreira

      En fait, lorsque l’auteur de l’article écrit "cette structure était un grand espace enterré jusqu’à 5000m3" il est évident que le 3 est une erreur typographique, il faut lire : enterré jusqu’à 5000m, sous-entendu : de profondeur.

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      • Les Bâdgirs 7 mai 2016 05:38, par Mimajo Amir

        Ne serait-ce pas plutôt 50 mètres de profondeur ?? Vous rendez-vous compte que 5000 m représente 5 kilomètres ? Contrairement à ce qu’affirme un commentateur, j’ai vu en Iran des glacières avec des tours à vent.

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  • Les Bâdgirs 19 mai 2015 13:50, par CATHERINE VIBERT

    Nous rentrons d’un voyage en Iran. Nous avons voyagé pendant 12 jours de Tabriz à Téhéran en passant par Shiraz, Yazd, Ispahan et beaucoup de sites somptueux. Nous revenons enthousiasmés et séduits par la gentillesse et l’hospitalité du peuple iranien. Votre site est très intéressant et mériterait d’être consulté avant tout voyage en Iran. Pour ma part, je le visiterai à l’avenir...

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    • Les Bâdgirs 20 mai 2015 07:40, par Mireille Ferreira

      A Catherine Vibert
      Merci de votre aimable commentaire.
      Vous pouvez aussi vous abonner à la version papier de la Revue de Téhéran en cliquant sur le bandeau "Recevoir la version papier" du haut de cette page.

      Mireille Ferreira, correspondante en France de la Revue de Téhéran

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  • Les Bâdgirs 30 juillet 2016 14:13

    Voyage en Iran remarquable à tous points de vue. Il faut y aller
    Nous avons découvert les tours du vent à Yazd. Un immense domaine technologique à approfondir.
    JCP

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  • Les Bâdgirs 9 avril 2017 20:43

    Bonjour, chers amis.
    J’ai découvert votre revue en ligne en faisant une recherche sur la construction en terre, ce qui m’a envoyé vers Bam et vers les bâdgîrs, que je découvre ainsi, avec grand plaisir.

    Dans les pays d’Afrique, cette technologie pourrait s’ajouter aux moyens endogènes pour lutter contre la grande chaleur. Avez-vous des liens avec les bâtisseurs et architectes de notre continent ? Pensez-vous qu’une collaboration entre vous et eux serait possible pour faire découvrir les bâdgîrs en Afrique ? Est-il possible que des spécialistes iraniens viennent initier leurs confrères de notre continent à cette technologie ? Avez-vous une documentation grand public sur le sujet ?

    Je précise que je ne suis pas du tout de ce domaine, au plan professionnel.
    Bien cordialement à vous,
    G. Yandjou

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  • Les Bâdgirs 1er décembre 2018 12:31, par Gérard Pauluis

    J’ai été fasciné par les badgirs, et l’ingéniosité de leurs constructeurs.

    Toutefois les explications de leur fonctionnement me laissent un peu sur ma fin. En effet, elles laissent croire à une simultanéité du fonctionnement des badgirs en tant que moyens d’amenée d’air extérieur et d’extraction. Une telle simultanéité (certains conduits au vent amenant l’air vers l’intérieur alors que les conduits sous le vent l’extrairaient) me paraît irréaliste, d’autant que de jour, l’air sous ces tours plus frais est plus lourd que l’air extérieur.Ceci crée un appel d’air vers l’intérieur des bâtiments ( La »colonne » d’air à l’intérieur des tous et dans le bâtiment est plus lourde que la colonne d’air à l’extérieur). Cet effet d’appel est amplifié par le refroidissement provenant de l’humidification de l’air au dessus des bassins à l’intérieur (refroidissement adiabatique).

    Il me paraît donc important de distinguer le fonctionnement des tours de jour de celui de nuit.
    De jour, l’air pénètre des les locaux par les cheminées (un effet moteur secondaire peut provenir de la surpression dynamique due à la vitesse du vent), mais je pense que même en l’absence de vent, l’intérieur plus frais crée cet appel d’air qui se disperse dans les différentes pièces du bâtiment avant de s’évacuer à l’extérieur au niveau du sol. L’éventuelle humidification de l’air à l’intérieur permet d’améliorer encore la fraîcheur au long de la journée.

    De nuit, dans ces régions arides où l’air est clair, il se refroidit rapidement et s’alourdit alors que la température de l’air à l’intérieur des bâtiments reste plus constante, l’air tire alors son réchauffement de la masse du sol et des murs. La « colonne » d’air dans le bâtiment et à l’intérieur des tours est plus légère que celle au dehors et la circulation d’air se réverse dans les tours. Celles-ci tirent l’air chaud du bâtiment vers l’extérieur et créent un appel air froid au niveau du sol qui rafraîchit l’intérieur du bâtiment tout au cours de la nuit.

    Le moteur thermodynamique de cet ingénieux système réside dans les variations journalières rapides de température de l’air en regard de la quasi constance de température du sol et des parois. L’effet est encore accentué là où il est possible d’humidifier l’air à l’intérieur des bâtiments.

    bien à ous,

    Gérard Pauluis, Ir. , PhD. (McGill)

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