Toute la vie politique de Napoléon peut se résumer dans sa lutte acharnée contre l’Angleterre. A son avènement au pouvoir, il était imprégné des idées révolutionnaires. Il était l’homme de la révolution. Les puissances européennes, ennemies des idées nouvelles, visaient particulièrement, sous l’instigation de l’Angleterre, ce chef qui avait les pouvoirs militaires et l’appui de la nation et qui représentait la France de 1789. C’est ainsi que tous les grands desseins de conquêtes illimitées de Bonaparte se transformèrent en une lutte défensive contre l’Angleterre et aboutirent à un terrible échec. Tant d’ambitions, tant de bravoure, de gloire, de valeur, qui coûtèrent si cher à la France, se terminèrent, après Aboukir et Trafalgar, par la catastrophe de Waterloo."

Napoléon

C’est ainsi que débute la thèse de doctorat d’université consacrée à la politique de Napoléon en Orient, éditée en 1955 à Paris par le Général Aryana.

Devant l’impossibilité pour Napoléon de soumettre l’Angleterre sur son île, et encore moins sur mer, il imagine l’affaiblir économiquement, en instituant le blocus continental pour l’empêcher de commercer avec l’Europe, et ensuite en lui barrant la route des Indes, colonie dont elle tire des revenus colossaux.

Sous le Directoire déjà, la conquête de l’Egypte par Bonaparte, sensée lui ouvrir la route des Indes par Suez et, plus tard, sous le consulat, l’alliance avec l’Empire ottoman et la Russie n’eurent pas d’autre but.

Devenu Empereur, Napoléon imagine une alliance avec l’Iran - pays avec lequel la France avait déjà eu des relations diplomatiques épisodiques à l’époque de Louis XIV - qui lui permettrait d’atteindre les Indes par une voie rapide.

L’Iran, au même moment, est en délicatesse avec la Russie qui veut le déposséder de la Géorgie. Fath ’Ali Shâh Qâdjâr demande d’abord du secours à l’Angleterre mais, devant les exigences exorbitantes de cette dernière - cession des îles de Khark et Ormuz, du port de Busher dans le Golfe Persique, et des ports de la Caspienne - il y renonce. Par une simultanéité étonnante, impressionné par le récit des conquêtes de Bonaparte quelques années auparavant, il se tourne alors vers Napoléon.

Une ambassade, envoyée auprès de ce dernier, aboutit à la signature du traité de Finkenstein le 4 mai 1807. Ce traité d’alliance et d’amitié garantit à l’Iran la possession de la Géorgie, s’engage à lui fournir officiers et armes qui permettraient aux troupes iraniennes de repousser les Russes dans le Caucase. En contrepartie, les troupes françaises pourraient traverser l’Iran et la marine française pourrait s’abriter dans les ports iraniens pour une éventuelle expédition vers les Indes.

Fath ’Ali Shâh

Après la signature de cette alliance, une ambassade, menée par le Général Gardane, est envoyée à Téhéran pour mettre au point l’invasion des Indes par l’Iran. Au même moment Napoléon signe la paix avec la Russie. Ce traité est ressenti comme une trahison par Fath ’Ali Shâh. Les armées du Tsar, devenues inutiles en Pologne à la suite de cette alliance franco-russe, intensifient les hostilités contre l’Iran dans le Caucase. Malgré sa bonne volonté et son amitié pour l’Iran, Gardane doit interrompre sa mission, devenue impossible. Au moment où celui-ci quitte l’Iran, Fath ’Ali Shâh, privé de son accord avec Napoléon, se résout à se jeter dans les bras de l’Angleterre [1].

L’accord de Finkenstein reposait en fait sur un marché de dupes :

D’une part, "Napoléon, ne connaissait pas les possibilités de l’Iran… ce n’était même plus l’Iran de Nâder Shâh qui envahissait l’Inde, battait l’Empire Ottoman et repoussait Pierre le Grand"2. Ce pays était dans l’incapacité de l’aider efficacement dans sa lutte contre les Anglais.

De son côté, Fath ’Ali Shâh avait surestimé la puissance des armées napoléoniennes, qui avaient à faire face à de nombreux conflits en Europe et pour qui l’alliance avec la Russie était indispensable.

Il est évident que les intérêts de l’Iran se trouvaient en conflit avec la politique de conquête européenne de Napoléon.

Privé de l’aide de l’Iran, Napoléon ne parviendra jamais à envahir l’Inde. Malgré l’accord avec l’Angleterre, l’Iran perdra ses possessions du Caucase après un conflit de 10 ans avec la Russie.

Cette alliance, véritable cheval de Troie, permettra à l’Angleterre de s’installer durablement en Iran.

Napoléon, après avoir trahi les idéaux de la Révolution de 1789 en rétablissant un pouvoir absolu sur le sol français et sacrifié des milliers d’hommes dans ses guerres ambitieuses, a laissé à sa mort un pays appauvri, affamé, exsangue. Sa trahison tout aussi coupable envers l’Iran définit bien son cynisme et son opportunisme.

Si elle avait été possible, l’alliance franco-iranienne aurait probablement bouleversé la trame des événements historiques du XIXe et XXe siècles.

Notes

[1Le récit des différentes missions envoyées par Napoléon en Iran a été relaté dans l’ouvrage très bien documenté du Prince Ali Qâdjâr, Les Rois oubliés - L’épopée de la dynastie kadjare, publié en 1992 par Edition°1/Kian en Français.


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