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Tu écoutes le récit de mon cœur ce soir
Tu oublieras demain et moi et mon histoire…
Cœurs brisés, gonflés de chants de larmes, de solitudes et de passions amoureuses, nous prenons le large dans l’espoir d’atteindre la côte pacifique : nous rompons des lances contre le vent, contre la tempête, nous avançons et avançons fredonnant nos chants à l’unisson ; avec les oiseaux de mer, nous nous envolons ; au soleil, sous la pluie et au clair de lune. Dans le royaume de l’amour nous sommes, au pays du "ghazal". Ainsi commence notre voyage vers la contrée lyrique de Houshang Ebtehâj (M. Sâyeh, né en 1927). Très jeune, celui-ci se fit le fidèle compagnon du papillon et de la bougie, pour crier un amour fou et désespéré. Il ne tarde néanmoins pas à prendre part à la fièvre politique de son époque : les farouches événements du mois d’août 1332 (de l’hégire). Inlassablement, il opposera son verbe à l’oppression ; il prendra position en faveur de ceux parmi ses camarades qui connurent la geôle. Voilà qui explique pour beaucoup la noirceur de la majeure partie de ses textes. Lyrisme et politique obligent, les paroles douloureuses du poète, des larmes, se transfigurent alors en sang versé ; la rigueur de la bien-aimée conduit à la révolte contre la tyrannie, et le poète engage sa plume dans son combat pour la liberté :
Quand la langue craignait les lèvres
Quand la plume redoutait la feuille
Et que même la mémoire se troublait
De peur de parler en plein sommeil
Nous gravions ton nom
Dans nos cœurs
Comme un dessin sur le rubis.
Le baiser
- " Le chant le plus doux ? " Lui demandai-je
De ses yeux endoloris elle me fixa
Ses larmes tombèrent goutte à goutte
Sa longue chevelure se mit à frémir
Et pleine de douleur, elle fredonna :
- " Le gémissement des chaînes à mes mains ! "
- " Et quand elles se libèrent… " Dis-je
Elle révéla un sourire amer
- " Quel bel espoir, dit-elle, mais hélas !
Mon triste sort ne le permettra pas
Ce bateau d’or du soleil
Est brisé par les rochers de la côte ouest… "
Je tremblai d’une douleur amère
Pleurant avec elle au fond de mon cœur
- " Regarde ! Criai-je, sur cette aveugle mer
L’œil de tout astre comme un phare
Peut diriger les bateaux "
- " L’œil de tout astre, répondit-elle en levant les yeux au ciel,
Serait un phare pour bateaux
Cependant
Cette nuit est une profonde mer
Hélas ! Que de passagers nocturnes
Emportés en sommeil par la magie du soir ! "
- " Le phare de la lune, dis-je alors,
Fait bien part du réveil… "
- " Mais dans une si sourde nuit
Pas un seul chant ne s’entend… " Dit-elle
- " Mon cœur bat cependant, criai-je
Ecoute ! C’est le son des pas d’un ami ! "
- " Hélas ! dit-elle, dans ce piège de la mort
On entraîne encore un gibier
Le son des pas est de lui !… "
Des pleurs déferlèrent en moi
- " Et le plus beau sourire ? "
Lui demandai-je en plein milieu des larmes
Une flamme éclot dans ses yeux noirs
Le sang lui monta aux joues
-" Le sourire, dit-elle, que l’amour noble
Met sur les lèvres des hommes
Au moment de rendre l’âme. "
Je me levai alors
Et lui donnai un baiser.
Pleurer
Sous les arbres, les ombres pleurent au soleil vert couchant
Les branches attendent le sort du nuage
Et le ciel est comme moi brumeux et endolori
Le vent apporte l’odeur de la terre humide
Les herbes au passage de la nuit sont tristes
Ah ! Sur quels champs pleut-il ?
Brûle le jardin dans l’espoir de la pluie
Tel mon cœur désirant fondre en larmes…
Le corail
Sous les eaux
Se trouve une pierre
Dans le creux noir de la mer bleue
Assise en solitaire
Au fond de cette épouvantable tombe
Avec son silence
Elle est oubliée au fond de cette tanière noire
Le soleil de midi ne l’a jamais chauffée
Le clair de lune sur elle n’a jamais rayonné
Que de nuits
Elle a gémi
Et personne n’est venu
Pour la secourir
Que de nuits
Elle pleura à chaudes larmes
Vainement
Au creux de ce bleu
Sous les eaux
Se trouve une pierre, une pierre brisée
Pourtant elle est vivante
Elle palpite gardant espoir
Dans la poitrine d’un amant elle eut été un cœur
Chauffée a l’ombre du soleil elle eut été une fleur
Le petit matin
O petit matin
O espoir du cri
L’on vient de couper
Ce soir
Sur le seuil
De ton arrivée
La tête
Au coq
Le soleil couchant
Un vieil arbre
Brisé, desséché, perdu, solitaire
Est assis dans le silence effrayant des champs
Le regard au loin
Déprimé sous le triste soleil couchant
Un corbeau accablé
Etait endolori
Retournant à son nid
Sur ces branches desséchées
S’éteignit
La lueur des derniers sourires
Du soleil
Le septième astre de ce matin noir
Hélas !
Qu’elle était belle cette fleur
Qui s’écroula au sol !
Comme il fut beau ce printemps
Fané
Comme il fut généreux ce cœur
Emporté par le vent
Comme il fut lumineux ce feu
Maintenant éteint
Chaque nuit
Cette accablante angoisse
M’enlevait le sommeil des yeux
Chaque petit matin
Je sursautais inquiet
Pensant à l’imminence d’une nouvelle…
Dans cet effroi et cet espoir
Se trouvait de mon espoir le destin
Ah !
Ô source douce de la vie
Ô mon cher espoir
Bien que cent fois
Tu m’aies brisé le cœur
Jamais
Je n’ai rompu le lien
Avec tes lèvres lisses
En sang, le dernier matin
Monta sur la pointe du poignard du joug
Six astres tombèrent par terre
Six braves hommes moururent
Six voix s’éteignirent
Au ciel s’éleva
Le cri en sang
De mon cœur brisé
Et de cri
Je m’emplis
Le septième astre
De ce matin noir
Fut mon cœur
Qui s’écroula au sol.