N° 25, décembre 2007

Rencontre avec Jésus sur la route de la soie


Kioumars Derambakhsh


L’auteur tient à souligner que ce texte est redevable à de nombreuses études, tout particulièrement à celle de M. Wolfran Kleiss à propos du monastère de Saint Thaddée et à celle de M. Mesrob Vardapet Ashjian à propos de l’église Vank, ainsi qu’à des articles de MM. Léon Minassian, Iradj Afshar et Esmaïl Raïn. Des remerciements plus particuliers doivent être adressés à M. Varoujan Arakelian, architecte, pour sa contribution à la rédaction de ce texte.

L’histoire veut que les Arméniens aient été un des premiers peuples à être devenu chrétien, sous Tiridate III, à la charnière des IIIe et IVe siècles, avec Saint Grégoire l’illuminateur comme premier évêque. Comme la tradition reconnaissait en Saint Thaddée, le premier Apôtre qui diffusa le Message de Jésus en cette région de l’Asie, l’Arménie chrétienne éleva une petite chapelle sur le lieu considéré comme étant celui de son martyre.

La route de la soie

Ainsi, avec cette chapelle, commence une autre histoire, celle de Jésus sur la Route de la Soie. Et sur cette route, trois signes, trois repères de trois époques différentes mais appartenant à une même culture, indiquant une même présence et se situant sur un même territoire, l’Iran.

Le premier, comme on le devine, est cette petite chapelle, connue aujourd’hui sous le nom du Monastère de Saint Thaddée. Complètement détruit par le tremblement de terre en 1319, le bâtiment fut reconstruit durant les années suivantes en pierre noire. Son nom local est d’ailleurs Qara Kelissa : l’Eglise Noire. Entre 1811 et 1822, il fut restauré et agrandi. Ainsi, un autre bâtiment, celui-ci blanc, est venu s’ajouter au premier.

Le second est un autre monastère, celui de Saint Stéphane que les Arméniens considèrent comme l’un des premiers martyrs chrétiens. Situé dans une gorge de l’Araxe, (dans la vallée de Shâm), il date environ du VIIe ou VIIIe siècle et fut reconstruit entre 1643 et 1655 sous sa forme actuelle, celle d’une forteresse.

Le troisième repère est l’Eglise Vank à Ispahan, qui date du XVIIe siècle.

Le monastère de Saint Stéphane

Au cours de l’histoire iranienne, chaque fois qu’une nouvelle guerre se déclenchait entre l’Iran et l’Empire Ottoman, 1’Araxe était dévastée. Cette situation incita le Shâh ’Abbâs Ier, roi safavide, à favoriser le déplacement de la population arménienne de Jolfâ et à les inciter à venir s’installer au centre du pays, à Ispahan - capitale de l’époque. Ainsi, les premiers Arméniens arrivèrent à Ispahan entre 1604 et 1606. Le roi leur concéda un quartier de la ville qui fut rebaptisé "Nouvelle Jolfâ", en souvenir de la patrie d’origine. Les Arméniens y construisirent une première petite chapelle et, un demi-siècle plus tard, entre 1655 et 1664, cette chapelle devint le monastère actuel qui, contrairement aux deux premiers, est, dans son ornementation, de conception florentine. Ceci est notamment du au fait que la colonie arménienne se spécialisa dans le commerce, surtout celui de la soie. A l’époque, l’Ambassadeur d’Iran à Venise était un arménien et c’est en Italie que furent formés les artistes qui bâtirent et ornèrent l’Eglise Vank.

Un des premiers édifices chrétiens de la route de la soie : le monastère de Saint Stéphane

Au cours des premiers siècles du christianisme, de nombreuses cathédrales immenses dressées à la gloire du Dieu des chrétiens furent édifiées par des grands princes et architectes. Mais, sur la route de la soie, Jésus est avant tout une chapelle, dressée pour le même Dieu, mais par des bergers, au milieu d’une plaine, au flanc d’une montagne : lieu de recueil, bien sûr, mais aussi de refuge et d’asile : un signe resté vivant dans l’histoire de tout un peuple, un des premiers peuples chrétien de l’histoire, les Arméniens, avec l’ensemble des monuments qu’ils ont construits, marquant à la fois leur passage et reflétant leurs aspirations.

Le monastère de Saint Thaddée

A côté de l’Araxe, ce fleuve magique qui forme aujourd’hui la frontière naturelle entre l’Iran, d’une part, l’Arménie et le Nakhitchevan, d’autre part, juste en face d’un cimetière arménien situé de l’autre côté du fleuve et sur l’actuel territoire du Nakhitchevan, se dresse, cette fois du côté iranien, un monastère tombé aujourd’hui en ruines et en état de restauration : le monastère de Saint Stéphane. Ce monastère est une vraie forteresse et réunit tous les vestiges d’un passé prodigieux s’étalant sur plus d’un millénaire : la croix, qui s’élève sur la pomme, date du XIXe siècle ; le portail, qui est plus vieux, date de deux siècles mais porte toujours des traces de balles qui, elles, datent du début des années 1950. Car à une époque pas si lointaine le monastère et toute la vallée étaient redevenus un lieu de refuge pour toute la population de la région, qu’elle soit chrétienne ou musulmane. Quant aux pierres - car le monastère est tout en pierre - elles sont venues en grande partie du Nakhitchevan au début du XVIIIe siècle.

Selon la tradition arménienne, Saint Stéphane ferait partie des premiers martyrs chrétiens. C’est pour cette raison qu’il est également nommé nâkhâgâh, c’est-à-dire le premier martyre. Son monastère, dont l’édifice actuel a été bâti entre 1643 et 1655 et complété depuis, était à l’origine une chapelle construite entre les VIIe et IXe siècles.

L’église se trouve au nord et présente une architecture assez exceptionnelle avec sa coupole en forme de cône formant une étoile à seize branches. Le clocher s’élève sur une tour de plusieurs étages, avec une coupole pointue et sobre, sans ornements particuliers. Au nord de l’église se trouvent également deux chapelles.

Sur le portail principal, une sculpture en pierre monolithe représente la Vierge et l’enfant Jésus, au-dessus desquels se trouvent un bouclier et la course du soleil, symbole de l’éternité. Ni le temps ni les gens ne semblent avoir épargnés cette sculpture ni les autres que l’on trouve à l’intérieur de l’édifice : certaines personnes, croyant qu’elles dissimulaient de l’or, ont brisé plusieurs d’entre elles.

L’Eglise Vank à Ispahan

Ici, tout est en pierre et d’une inspiration aux sources multiples : mithriaque avec le corbeau, symbole de l’éternité ; ancien-testamentaire avec le pigeon indiquant la fin du déluge et l’apparition de la terre ferme - c’est-à-dire, dans l’imaginaire arménien, du Mont Ararat se trouvant plus loin au nord - ; nouveau-testamentaire avec les apôtres Saint Pierre, Saint André ; judéo chrétienne avec l’étoile de David ; islamique avec les stalactites, en forme de cyprès qui, si elles se répètent ne sont jamais identiques car entièrement en pierre.

A Saint Stéphane, tout est à décrypter, des inscriptions aux motifs ornementaux riches d’un symbolisme aujourd’hui presque oublié. La croix y joint la svastika et l’arbre cosmogonique qui, toujours, retourne à lui-même, à son noyau, pour renaître. Les anges ont six ailes. Est-ce pour indiquer la Présence au sein des six directions du monde : les quatre points cardinaux mais aussi le bas et le haut ? Et ces quatre éléments de l’ange, de l’aigle, du taureau et du lion qui se répètent un peu partout, indiquent-ils les Quatre Evangiles ? Le dragon est aussi un peu partout. Il symbolisait et symbolise toujours la science et le savoir. Le bâton des évêques arméniens continue d’ailleurs à le représenter dans sa forme. Mais que fait ici l’Ouroboros, ce serpent simple ou double, avec la queue dans la bouche, qui trace le cercle de l’infini, donc de l’éternité ? Est-ce simplement un désir ornemental qui a commandé la répétition, en chacun des seize angles du monastère, en haut de ses gouttières, ces têtes d’hommes et d’animaux ? Une croix en forme d’arbre cosmogonique et de motifs végétaux se répète même sur le plafond qui se dresse au-dessus de l’autel, avec, fait exceptionnel, deux places prévues pour le prône. Un autre élément dont l’explication échappe à notre compréhension.

Tchaldirân ou les Quatre Portes, une plaine au centre du monde, entre l’Asie Mineure, l’Arménie, le Kurdistan et l’Iran

C’est là que s’affrontent, en 1514, l’Empire ottoman de Selim Ier et l’Empire Perse d’Ismâ’ïl Ier. Une guerre sanglante qui, si elle s’achève par la débâcle perse, se trouve également à l’origine de l’ouverture perse vers le monde chrétien : l’Europe de l’époque, mais aussi son propre monde chrétien interne, les Arméniens.

L’Eglise Vank à Ispahan

Comme nous l’avons évoqué, les Arméniens furent parmi les premiers peuples, nous dit l’histoire, à se convertir au christianisme. La tradition chrétienne arménienne remonterait aux alentours de l’an 66, lorsque Saint Jude, surnommé Thaddée ou Lebbée par les évangélistes Marc et Matthieu, arriva à l’actuel Tchaldirân, qui était la province arménienne actuelle d’Ardaz. Thaddée était le frère de Saint Jacques le Mineur et rédigea l’Epître de Saint Jude que l’on trouve dans le Nouveau Testament, juste avant l’Apocalypse. Nicéphore Calliste affirme qu’il évangélisa la Mésopotamie, tandis que Fortunat de Poitiers affirme qu’il alla en Perse. Mais pour les Arméniens, il vint en Arménie et évangélisa si bien Ardaz qu’il réussit même à convertir Sandoukht, la fille du roi. La tradition arménienne dit également qu’il était accompagné de Saint Barthélemy et qu’ils avaient quitté ensemble la Terre Sainte après la crucifixion du Christ. D’ailleurs, Barthélemy serait également mort écorché vif en Arménie.

Le monastère de Saint Thaddée

Voyant le christianisme en plein essor dans son pays Sandrouk, le roi, persécuta les chrétiens et fit exécuter Thaddée et la princesse, sa fille, dont le mausolée se trouve sur une colline, non loin du monastère. Toujours selon la même tradition, le saint aurait érigé, de son vivant, à l’emplacement du monastère actuel, la première église du monde et il serait enterré dans le monastère actuel, juste sous l’autel principal.

S’il n’est pas impossible que des fouilles permettent de découvrir un jour les fondations de cette toute première église légendaire sous l’actuelle, il est certain que Moses Khorenatsi, chroniqueur arménien du Ve siècle, s’il précise que les mausolées de Thaddée et de Sandoukht se trouvent dans la plaine d’Ardaz, ne parle d’aucune église. Ce n’est que dans un texte du début du Xe siècle qu’une première mention d’une telle église dans la région apparut, et ce ne fut qu’à partir du XIIIe siècle que les documents abondèrent en ce sens : pillé par les mongols 1230-1231, restauré en 1253 par Hûlagû, le sultan mongol, sur la demande de sa mère et d’une de ses épouses qui s’étaient converties, le monastère fut de nouveau pillé et partiellement détruit en 1284. Et on arrive ainsi à l’événement dont parle l’inscription que l’on trouve à l’intérieur même du monastère et qui date de 1329. Comme nous l’avons évoqué plus haut, cette inscription indique que l’église ayant été complètement détruite par un tremblement de terre en 1319, l’évêque Sakaria procéda à la restauration de la partie ancienne. Ainsi une nouvelle église fut construite, en l’espace de dix ans, en pierres noires. La partie ouest de l’église originelle n’a probablement jamais été reconstruite mais tout simplement recouverte par un édifice nouveau. Cette première restauration achevée, l’église et le couvent furent, de nouveau, pillés, à plusieurs reprises du XIVe au XXe siècles. La Croix que l’on voit d’ailleurs actuellement est entièrement neuve, l’ancienne ayant été criblée de balles - en effet, le monastère s’était transformé, à partir de 1890 et jusqu’à la Première Guerre Mondiale, en lieu de ralliement des Arméniens qui combattaient les Ottomans.

La dernière grande restauration du monastère date de 1814 et est due au prince héritier, ’Abbâs Mîrzâ, qui, pour des raisons politiques, tentait de transférer le siège du Catholicos, le patriarche des Arméniens, au monastère de Saint Thaddée. C’était l’époque des grandes guerres entre La Perse et la Russie et le Catholicos avait son siège au monastère d’Etchmiadzin, près d’Erevan, et subissait, d’après le prince, l’influence de la Russie. La tentative d’ ’Abbâs Mîrzâ n’aboutit pas. Mais des travaux importants furent entrepris au monastère et à l’église. On imagina même la construction d’une réplique de la cathédrale d’Etchmiadzin, l’église du Catholicos. Mais si la porte actuelle du monastère est celle d’Etchmiadzin, transportée il y a plus de 180 ans, le projet ne fut pas exécuté dans toute son ampleur : un clocher surmontant le porche devait être édifié, deux tours devaient s’élever au-dessus des voûtes rondes encadrant la nef... mais rien de tout ceci ne se réalisa.

Le monastère est composé de deux cours. Une entrée, orientée à l’ouest, conduit dans une avant-cour qui donne accès au cloître au milieu duquel se dresse l’église qui, comme on vient de le dire, comprend au moins deux phases de construction.

D’une part, le sanctuaire avec ses chapelles latérales et la salle contiguë en forme de croix qui est couronnée par une coupole s’élevant au-dessus de la croisée. Ce sont ces deux éléments qui forment l’église primitive, celle du XIVe siècle. De l’extérieur, le plan de cette église est rectangulaire et se distingue, de la partie plus récente, par la couleur noire de ses pierres. Les seuls ornements des murs de cette construction ancienne, qui sont lisses partout ailleurs, sont, sur les trois côtés, est, nord et sud, ses toits à pignons et de larges surfaces décorées dans les pignons et au-dessous de ceux-ci. L’extérieur du cloître présente une alternance de bandeaux en pierres claires et foncées. Le bandeau inférieur se répète comme un module, tandis que le bandeau supérieur reprend des scènes du Nouveau et de l’Ancien Testament et des légendes arméniennes.

Adossée en quelque sorte à la petite église ancienne, la grande église constitue la partie centrale de l’ensemble. La coupole, au tambour percé de douze fenêtres, repose sur quatre voûtes supportées par quatre piliers. A l’intérieur, l’église est très dépouillée. On y retrouve cependant la répétition de deux motifs principaux : l’aigle, symbole de l’indépendance de l’Eglise arménienne et, de nouveau, l’arbre cosmogonique qui part de son noyau primitif, se dresse vers le soleil et retourne à lui-même.

L’Eglise Vank à Ispahan

Depuis son apparition sur les ruines de l’Empire byzantin, l’Empire ottoman ne cessa de s’étendre : à l’ouest, jusqu’aux frontières austro-hongroises ; au sud, jusqu’au Maroc et l’est jusqu’aux frontières iraniennes. A l’aube du XVIIe siècle, son déclin commença et, fait étrange, c’est à la même époque que les chrétiens d’Iran connurent un certaine "renaissance".

Comme nous l’avons évoqué, Ismâ’ïl Ier, fondateur de la dynastie des Safavides, fut vaincu, en 1514, à Tchaldirân, par le sultan ottoman Selim Ier. Depuis, l’idée de la revanche hanta tellement les rois de Perse que les hostilités reprirent immédiatement avec la montée sur le trône d’ ’Abbâs Ier dit le Grand, en 1587. La Perse perdit de nouveau la guerre et, avec elle, de nombreuses provinces, dont la riche Arménie.

En 1604, ’Abbâs repassa à l’attaque, reprit l’Arménie et, inquiet d’une contre attaque ottomane, favorisa l’émigration vers le centre du pays de dizaines de milliers d’Arméniens chrétiens. Ce grand exode conduit à l’installation de près de 3000 familles chrétiennes à Ispahan dans le quartier de Jolfâ, où ils construisirent donc une petite chapelle, le Saint Sauveur, qui, un demi-siècle plus tard, entre 1655 et 1664, fit place à l’édifice actuel plus connu sous le nom de Vank.

Contrairement aux monastères de Saint Stéphane et de Saint Thaddée, l’Eglise Vank n’a rien d’une forteresse. Suivant les normes de l’époque, elle a été bâtie en brique et, vue de l’extérieur, n’est pas recouverte de carreaux de faïence, contrairement aux mosquées d’Ispahan. Son unique bijou est la croix qui se dresse sur son sommet. Sa coupole, qui a une forme bulbeuse et sobre, repose sur l’aile droite et est soutenue par quatre arches. A l’est du bâtiment, dans une abside semi-circulaire, se trouve l’autel avec le baptistère à sa droite et la Sacristie à sa gauche.

Les deux entrées de l’Eglise se trouvent à l’ouest et au nord de l’édifice. Un passage voûté nous amène sur le parvis. Au-dessus de l’entrée ouest se trouve le petit clocher dédié aux archanges Gabriel et Michel au pied duquel, dans la cour et sur le parvis de la cathédrale, on remarque des sépultures de prélats, d’ecclésiastiques, mais aussi d’européens que le hasard et le destin ont conduit à Ispahan.

L’extérieur de la cathédrale et les arches sont ornés de motifs incrustés de carreaux de faïence monochromes. Des anges veillent aux quatre coins de l’église.

L’intérieur est richement décoré de fresques de peintures, de lambris de stuc doré et de frises formées de carreaux de faïence et de mosaïques.

La frise incrustée possède sa longue tradition et on s’est souvent servi de cet art à l’époque safavide. Les motifs floraux ou géométriques sont gravés sur du plâtre puis dorés, le fond peint en bleu indigo. Cette harmonie entre les deux couleurs créé un climat propice à la méditation spirituelle et s’accorde parfaitement à la semi-obscurité de l’église, surtout quand l’or est rehaussé par le doux éclat de la lumière tamisée. Les colonnes, les niches et les coupoles sont finement décorées et donne l’impression aux visiteurs et aux pèlerins de baigner dans du bleu constellé d’or. Comme le laisse deviner une inscription datant de 1661, ces travaux de revêtement ont été très probablement exécutés lors de la construction même de l’église.

Mais, à Vank, le point le plus intéressant reste les peintures murales. Car si l’art des mosaïques et des faïences émaillées est persan, ces peintures sont d’inspiration occidentale.

Les murailles sont recouvertes de peintures classées par bandes horizontales, séparées les unes des autres, par des frises étroites. La bande supérieure et les bordures des fenêtres éclairant l’intérieur de la coupole représentent, en général, des scènes de l’Ancien Testament et, immédiatement au-dessous, des scènes du Nouveau Testament.

La troisième bande se compose de larges frises de motifs floraux et de peintures en médaille, représentant des paraboles, les sept sacrements de l’Eglise et des épisodes de la vie de Jésus.

Outre leur valeur artistique, ces peintures murales présentent un autre aspect intéressant : la typologie est en vogue dans la théologie byzantine et arménienne et selon les règles de cette dernière, les événements nouveau-testamentaires ont été annoncés dans l’Ancien Testament. C’est ainsi que Vank compte parmi les rares églises du monde à montrer, par le biais de ces peintures murales, le parallélisme qui existe entre l’Ancien et le Nouveau Testament. De ces couples typologiques, certains sont classiques : le serpent d’airain et la Croix, le prophète Jonas dans le sein de la baleine, la Pâque Juive et la Sainte Cène... D’autres, par contre, sont moins connus et quelques uns échappent complètement à une compréhension non arménienne.

Parmi les peintres qui ont décoré ces murs, nombreux sont ceux dont les noms se sont perdus dans le cours de l’histoire. On connaît ceux de Stepan, de Guiragos, et surtout celui de Minas qui avait étudié la peinture à Alep en Syrie.

On sait que les modèles dont se sont servis ces peintres ont été les gravures de la première édition de la Bible en arménien qui fut publiée en 1666 à Amsterdam. Et ces mêmes gravures, qui sont l’œuvre de grands maîtres comme Christoffel Van Sichem et Albrecht Dürer, ont été relevées dans une édition hollandaise de la Bible ainsi que dans un livre en arménien publié vers 1646 par le Vardapet Khatchatour dont le corps repose dans le caveau, juste sous l’autel de l’église.

On sait aussi qu’un bon nombre d’artistes européens vivait à la Cour des Safavides, et que les Arméniens qui s’installèrent à Ispahan au début du XVIIe siècle étaient surtout des artisans et des commerçants. Le commerce de la soie était le monopole du roi qui chargea également des arméniens de faire ce commerce pour son compte. Un événement l’amena à favoriser les Arméniens dans ce commerce. Etait-ce à cause des trop fortes tentations vénitiennes et de sa jeunesse ? Toujours est-il que le jeune représentant d’ ’Abbâs Ier dépensait si allègrement dans la débauche l’argent de son roi, que la République de Venise en arriva à douter de la validité de ses lettres de créance et questionna discrètement la Cour à son propos. Deux commerçants arméniens revenaient justement d’Inde où ils avaient fait de bonnes affaires pour ’Abbâs Ier. Celui-ci les dépêcha immédiatement à Venise et fut si satisfait du résultat qu’il confia aux chrétiens la responsabilité du commerce avec l’Europe. Avec une Cour aussi cosmopolite que celle des Safavides et les fréquents déplacements des Arméniens en Europe, faut-il être surpris de voir à Ispahan, à Vank, à côté de mosaïques islamiques, des peintures murales d’inspiration européenne ? Les chérubins de Vank comptent d’ailleurs au nombre des rares chérubins du monde, et sont sans doute parmi les seuls à apparaître sur des carreaux de faïence.

Ce n’est peut être pas inutilement qu’au nord de la Cathédrale du Saint Sauveur, juste à côté de la Nouvelle Jolfâ, coule, depuis des siècles, Zâyanderûd dont le nom signifie le fleuve procréateur. N’a-t-il pas assisté, en effet, à la renaissance de Jésus et d’un autre de ses peuples sur la route de la soie ?


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