Le 24 novembre 1927, dans un coin de terre obscur qui allait bientôt faire don d’un trésor éclatant, s’ouvraient les yeux vigilants d’un enfant, Ahmadou Kourouma, l’un des plus importants auteurs - sinon le plus important- du continent noir, né à Togobala ou Boundiali en Côte d’Ivoire et d’origine malinké, une ethnie d’Afrique de l’ouest. Elevé par son oncle, il fit ses études primaires et secondaires à Bamako au Mali, pendant la colonisation de 1950-1954, pour ensuite partir en France où il étudia les mathématiques à Paris et à Lyon.

En tant que "Kourouma" - qui signifie "guerrier" en malinké-, il ne cessa jamais de se dresser contre la colonisation, la calamité au sein de laquelle il avait connu la vie, et dont il portait la marque sur son visage après les années de prison et d’exil en Algérie, au Cameroun ou au Togo.

De par son œuvre prolifique, cet auteur a su ouvrir non seulement son cœur, mais également faire connaître un continent présenté comme "sauvage, primitif, sans passé ni culture" par les colonisateurs.

Ahmadou Kourouma

Grâce à son style percutant et plein d’humour, il raconte le bonheur d’avant la "civilisation", qui les a transformé en "monsieur comme il faut", à coups de travaux forcés, de discipline de fer, de pillages de leurs champs de blé, de maïs, de coton, de la vente de leur femmes et de leurs filles et de la sélection de leurs plus braves fils censés devenir des "guerriers français" et avoir l’insigne honneur d’être "citoyens français". Parmi ses romans, petite collection de chefs-d’œuvre, Monnè, outrages et défis est celui qui dessine le mieux un tableau à la fois vivace et acerbe de la vie africaine pendant les années de colonisation.

Son langage vif, métonymique, injurieux et assaisonné de proverbes populaires témoigne d’une chaleureuse tradition orale transmise de bouche à oreille, vieille de plusieurs millénaires. D’ailleurs, c’est dans sa "sauvagerie" que ce langage est le plus habile à décrire l’invasion du continent noir par les "sauterelles" de la "civilisation", à raconter l’histoire de l’errance des siens, qui vécurent un jour, qui furent les coquilles de la tendresse, de la chaleur et de la vie et dont il ne resta que l’indignation, le sang et le sacrifice. C’est pour annoncer cette unique réalité - déguisée en vérité - que les griots chantent et dansent dans les réunions en frappant, "tam tam". Ils ne savent que chanter le désastre. Ils ne dansent que pour leur mort et les soirées africaines ne sont que des funérailles. "Il y a quelques jours…" C’est ainsi que la tradition noire porte le sceau de l’errance.

Cependant, l’avenir et le changement sont proches : il sera bientôt là le jour où "les sauterelles de l’indépendance" s’abattront, sans espoir de pillages, sur les champs vides des hommes aux identités perdues.

Ce n’est qu’un langage audacieux, solide et confiant comme celui de Kourouma qui parvient à décrire la banalité du destin de telle "civilisation", tout en brisant la fermeté d’une langue "étrangère", ranimant ainsi le langage d’une culture au seuil de la mort, incisant sans cesse l’expression de la "civilisation moderne", la dévoilant enfin.

Devenir éternel, n’est-ce pas le moindre prix digne d’un tel langage ? Le plus populaire, humoristique et métaphorique des langages ne témoigne t-il pas d’un esprit subtil et d’un fin regard ? En d’autres termes, cette écriture n’est-elle pas la manifestation nostalgique d’un cœur serré, de l’indignation d’un esprit réfléchi, comme le prouve son emploi fréquent de la métonymie ?

C’est en fait au-delà de la métaphore, de l’humour et de la vulgarité que Kourouma cherche à dévoiler sa nostalgie, mais aussi qu’il crie, au nom de la civilisation, sa haine des instituteurs colonialistes.

Un autre aspect de l’ambiguïté de son écriture, qui est l’une de ses caractéristiques principales, se révèle quand le lecteur ressent une critique non-formulée au travers des éloges exagérés que Kourouma adresse aux gouverneurs indigènes. Tout au long de son magnifique roman Monnè, outrages et défis, il critique les imposteurs "indigènes" qui se mettent au service de la colonisation : le "griot", porte-parole des "compatriotes" qui se voue aux colonisateurs ne pense qu’à son propre intérêt ; l’interprète, qui confirme tout ce que le despote écrit dans la destinée du peuple, etc.

Mais Kourouma critique avant tout ceux qui laissent le soin de réfléchir à autrui. Le "centenaire", le père du pays qui n’arrive pas à considérer les choses au delà de ce qu’il voit, le roi qui ne trouve rien de plus étrange que penser, etc. sont les exemples de cette mentalité.

Avec ses expressions, ses phrases parfaites et son rythme qui sent l’Afrique, Kourouma frappe les siens pour les réveiller d’un sommeil qui n’en finit pas depuis des siècles, et tente de les persuader que n’existe pas de malédiction toute faite, qu’ils ne sont pas les damnés éternels, même plus bas que les traîtres blancs, pour qu’ils sachent qu’ils sont des "Hommes comme il faut", au cœur blanc, pour qu’ils se souviennent toujours qu’ils sont les gardiens du trésor noir.

Ahmadou Kourouma s’est éteint le 11 décembre 2003, alors qu’il travaillait à l’écriture de son dernier roman, Quand on refuse, on dit non, qui fut publié après sa mort.

Ses romans :

- Les Soleils des indépendances, 1968,

- Monnè, outrages et défis, 1990,

- En attendant le vote des bêtes sauvages, 1994,

- Allah n’est pas obligé, 2000,

- Quand on refuse on dit non, 2004

Livres pour enfants :

- Yacouba, chasseur africain, 1998

- Le chasseur, héros africain, 1999

- Le Griot, homme de parole, 1999

- Le forgeron, homme de savoir, 2000

- Prince, suzerain actif, 2000

- Paroles de Griots, 2003, en collaboration avec Ousmane Sow et Mathilde Voinchet

Théâtre :

- Tougnantigui ou le Diseur de vérité, 1972, 1996, 1998


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