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L’histoire des caravansérails - grandes auberges routières - remonte à des époques très lointaines : les historiens grecs citent les caravansérails de l’époque des Achéménides construits sur les routes principales de l’Empire, à intervalles plus ou moins réguliers par rapport à la distance parcourue chaque jour par une caravane de voyageurs ou de marchands.
Le climat rude et l’aridité d’une grande partie du plateau iranien où les précipitations sont relativement faibles, impliquaient comme conséquence l’existence des lieux de repos sur les routes où les voyageurs pouvaient s’approvisionner en eau et en nourriture. Etant donné la longue distance qui sépare souvent les agglomérations rurales et urbaines, la traversée du pays serait quasi-impossible sans l’existence de ces auberges routières, et les différentes régions resteraient naturellement isolées les unes des autres. Il est vrai que les caravansérails se sont surtout développés après l’entrée de l’islam en Iran, mais il faut savoir que dès le règne de la dynastie achéménide, des historiens grecs comme Hérodote et Xénophon soulignaient l’existence d’un vaste réseau routier et des lieux de repos sûrs dans les différentes régions de l’Empire. Hérodote écrit : "Les routes de l’Empire sont mesurées par parsang. A tous les quatre parsangs, il y a des emplacements où sont aménagées de bonnes auberges." [1]
Sous les Arsacides et les Sassanides, la sécurité des routes et l’existence des caravansérails étaient impératives pour le contrôle du vaste empire perse. Par ailleurs, l’Iran se trouvait sur les routes du commerce international qui reliaient l’Occident, le monde Méditerranéen et l’Extrême-Orient. Les itinéraires principaux de la Route de la soie traversaient les régions du nord de l’Empire. Outre l’importance stratégique des routes pour l’Empire perse, la sécurité routière et le confort des voyageurs et des marchands qui parcouraient ces longues routes assuraient une source de revenus très importante pour le trésor royal.
Les caravansérails achéménides et arsacides ont, hélas, tous disparu, mais les vestiges de rares caravansérails sassanides qui ont été découverts par les archéologues montrent que les grands caravansérails de la période islamique ont pris pour modèle le plan général de leur prototype préislamique. Le caravansérail de Darvazeh Gatche (Figure 1), sur la route qui relie Chiraz à Firouzâbâd, est l’un des plus anciens édifices de ce genre. Les fondations de pierre et de mortier et quelques murs de ce caravansérail ont été préservés jusqu’à ce jour. L’édifice est composé d’une cour centrale entourée de plusieurs galeries.
Dans son ouvrage intitulé Les Caravansérails d’Iran, Maxime Siroux [2] écrit : "Il existait deux types de caravansérails vers la fin de l’ère sassanide : D’abord les caravansérails qui, à l’instar du caravansérail de Darvâzeh Gatche, étaient composés d’une cour centrale entourée d’une large écurie pour loger les animaux. Viennent ensuite les caravansérails dotés de la même cour centrale, entourée cette fois-ci par une série de pièces rectangulaires destinées à loger les voyageurs. Dans le premier type, l’hébergement des voyageurs était exclu, tandis que le deuxième plan se développe pendant la période islamique." [3]
En effet, pendant la période islamique, les plans de ces deux types de caravansérails anciens ont été rationnellement superposés pour assurer l’extension du fonctionnement du caravansérail. Le nouveau plan comporte une cour centrale, entourée de pièces servant à loger les voyageurs, et derrière ces pièces se développent les galeries où se trouvent les écuries pour loger les animaux. Dans la plupart des caravansérails de l’époque islamique, la cour centrale est également entourée, comme dans les palais arsacides et sassanides, de deux ou de quatre terrasses. Au Pakistan, en Afghanistan, en Inde et en Asie centrale, de nombreux caravansérails ont été édifiés d’après ce nouveau plan iranien.
La structure du caravansérail iranien est caractérisée par l’organisation des bâtiments autour d’une cour centrale ouverte. Cependant, ce plan se soumet aux modifications nécessitées par la situation climatique des différentes régions iraniennes. Cette adaptation porte tant sur la configuration et la structure externe que sur l’usage des matériaux de construction.
Dans la zone littorale du sud de la mer Caspienne, les caravansérails sont peu nombreux par rapport aux autres zones climatiques de l’Iran. En effet, contrairement aux régions centrales du plateau iranien, dans les zones littorales, le taux de pluviosité est important, l’eau est abondante, le climat est tempéré, et la densité de population est telle que les villes et les villages se rapprochent. Voilà autant de raisons pour expliquer la rareté des caravansérails. Les vestiges des caravansérails de cette zone climatique viennent confirmer d’ailleurs qu’ils étaient concentrés sur les routes reliant le plateau central aux zones littorales, et que leur dispersion le long de la ligne littorale était faible. Les caravansérails du sud de la mer Caspienne se soumettent au plan général des caravansérails des régions arides : l’édifice se développe donc autour d’une cour centrale, ce qui réduit l’aération et la circulation de l’air à l’intérieur des pièces et des écuries. Certes, ce plan s’adaptait mal à la situation climatique de cette région très humide, mais cet espace clos se justifiait par un souci de sécurité face aux assauts des bandits de grands chemins.
Le caravansérail possédait ainsi un espace entièrement clos, mais les logements des voyageurs se trouvaient sur les terrasses, ce qui leur assurait la meilleure ventilation possible(Figures 2).
Il paraît que la plupart des caravansérails du littoral caspien avaient été construits par les architectes et les maçons venant des villes du plateau central, car ils ne sont pas construits avec les matériaux locaux (bois et chaume) mais avec les matériaux durs des régions centrales de l’Iran : brique, pierre, mortier, etc.
Dans les régions littorales du sud de l’Iran, le commerce maritime était prospère. Les hangars des ports iraniens du Golfe Persique et de la mer d’Oman étaient toujours bondés de marchandises qui devaient être transportées vers les villes centrales du pays. Il y avait donc de nombreux caravansérails sur les routes reliant les ports aux régions centrales. Sous les Safavides, les caravansérails construits dans ces régions avaient une structure différente du plan général des caravansérails iraniens. Les bâtiments devaient être protégés du soleil et aérés au maximum (Figures 3). La cour centrale a donc disparu pour céder la place à une pièce en forme de croix autour de laquelle s’organisent les pièces. Contrairement au plan général des caravansérails iraniens où les pièces donnent sur la cour centrale, ici toutes les pièces donnent sur l’extérieur pour assurer l’aération. Dans leur ouvrage "L’inventaire des caravansérails d’Iran", Wolfram Kleiss et Mohammad Youssef Kiani nous expliquent qu’après le déclin et la chute de l’Empire safavide, le climat d’insécurité qui régnait dans une grande partie du pays a entraîné "la modification structurelle des caravansérails du sud de l’Iran, de sorte que des tours défensives ont été ajoutées aux quatre coins de l’édifice et les passages entre les galeries et l’espace extérieur ont été fermés." [4] La citerne était située souvent à l’extérieur du caravansérail pour recueillir et conserver les eaux de pluie.
Dans les régions montagneuses, les caravansérails devaient être protégés contre le froid et les intempéries : ils étaient donc souvent dépourvus de cour centrale, compensée par une grande salle pour loger les voyageurs. Autour de cette salle s’organisaient des galeries utilisées en guise d’écuries. La configuration de ces caravansérails avait pour objectif principal de garder la chaleur à l’intérieur du bâtiment :
- La hauteur sous plafond, c’est-à-dire la dimension comprise entre le sol et le plafond des pièces, était réduite par rapport à la longueur et la largeur. Les écuries se situaient entre l’espace extérieur, les chambres et la salle centrale, et cela conservait au maximum la chaleur produite à l’intérieur du caravansérail.
- Les fondations et les murs des caravansérails des régions montagneuses étaient souvent de pierre. Dans certains caravansérails, comme celui de Shebli, les voûtes sont en briques, tandis que dans d’autres caravansérails comme les caravansérails d’Emâmzâdeh Hâshem et Gambosh, les voûtes sont en pierre. (Figure 4) Les voûtes qu’elles soient en briques ou en pierre, étaient très lourdes, et pour que les fondations de l’édifice puissent supporter leur poids, les maçons devaient épaissir les murs. Or, dans les régions montagneuses, l’épaisseur des murs permet également de réduire les changements drastiques de température.
- Pour assurer la sécurité du caravansérail face aux assauts des bandits, les caravansérails des régions montagneuses formaient un carré complètement clos sans le moindre contact avec l’espace extérieur.
- Certains caravansérails, comme le caravansérail de Gambosh (Figure 4) était à moitié sous terre, de manière à réduire le contact de l’édifice avec son environnement surtout pendant la saison froide.
- L’entrée du caravansérail était petite et derrière la porte, une pièce spécialement disposée empêchait l’air froid d’entrer directement à l’intérieur.
Les caravansérails sont beaucoup plus nombreux dans les plaines du plateau central de l’Iran. En effet, les caravansérails les plus grands, les plus beaux et les plus somptueux du pays se trouvent dans ces immenses plaines iraniennes. Dans ces caravansérails, on retrouve de nouveau le plan principal de ces édifices : une cour centrale entourée de deux ou de quatre portiques. Les pièces des voyageurs donnent toutes sur la cour centrale, tandis que les écuries sont aménagées derrière les chambres.
Les chambres qui entourent la cour centrale se trouvent sur une plate-forme, avec une terrasse large de près de deux mètres. Les chambres mesuraient souvent de 10 à 12 m². L’aération des chambres était assurée par la porte et parfois par de petites fenêtres. Selon Mohammad Karim Pirnia, les chambres disposaient rarement de portes et fermaient par des rideaux. [5] Les chambres les plus spacieuses et luxueuses se trouvaient derrière le portique principal ou aux quatre coins de la cour centrale. Certains caravansérails, comme le caravansérail de Sharaf sur la route reliant Sarakhs à Mashad, datant de l’époque des Seljoukides, étaient pratiquement dotés de deux cours séparées, l’une réservée aux personnalités importantes, et l’autre destinée aux simples voyageurs (Figure 5).
Les caravansérails offraient parfois des services différents aux voyageurs. Le caravansérail de Mahyar (à 52 Km au sud d’Ispahan, datant de l’époque des Safavides) était équipé d’un moulin, d’une salle de prière, d’une boulangerie, d’une maison de thé et d’un petit commerce. Le caravansérail de Meybod (située près de la ville de Meybod, sur une route reliant Yazd à Ispahan, datant de l’époque des Safavides) était également équipé d’un commerce et d’une citerne. Il y avait aussi un Tchâpârkhâneh (relais de poste) à côté de ce caravansérail. Le caravansérail d’Aliâbâd (sur la route reliant Rey à Qom, datant de l’époque des Qâdjârs) était doté d’un bain public.
Dans les plaines du plateau central de l’Iran, la sécurité des caravansérails était renforcée avec la fortification des murs extérieurs. De plus, des tours défensives étaient érigées aux quatre coins de l’édifice. La structure close du caravansérail le protégeait parfaitement des vents chauds, de son environnement désertique et des intempéries. Dans la cour centrale, les matériaux utilisés, dont la terre cuite, les briques et la pierre, fonctionnaient comme un réservoir de chaleur pendant la nuit.
Dans les caravansérails situés aux confins du " Kavir " (désert intérieur), comme le caravansérail d’Ardakân (dans la province de Yazd, datant de l’époque des Qâdjârs), le caravansérail de Zeyn al-Abedin (sur la route reliant Yazd à Kermân, datant de l’époque des Safavides) et le caravansérail de Jokâr (près de la ville de Tabas, dans la province de Yazd), existaient des tours en guise de soupirail (Bâdgîr) pour aérer l’intérieur du bâtiment pendant la saison chaude.
Il est à noter que les caravansérails n’étaient pas construits uniquement sur les routes, mais aussi à l’intérieur des villes pour loger les voyageurs et les marchands. Pour faciliter le commerce, les caravansérails urbains étaient souvent construits à proximité du bazar, ce qui donnait au caravansérail un aspect commercial. Dans les grandes villes, plusieurs caravansérails avaient été construits. Les caravansérails situés dans les villes, comme le Caravansérail de Mâdar-e Shâh (Mère du Roi) à Ispahan (Figures 6) ou le grand caravansérail de Shâh Abbâs à Kâchân étaient différents de forme et de fonction des caravansérails situés à l’extérieur des villes et sur les routes.
Les caravansérails routiers étaient dotés de fortifications pour défendre les voyageurs et les marchandises face aux assauts des bandits de grands chemins, d’où la structure isolée et close de ces édifices. Mais à l’intérieur des villes, où le souci de sécurité était moins important, le caravansérail faisait partie du tissu urbain et s’intégrait entièrement à son entourage.
Par ailleurs, les caravansérails routiers s’étendaient souvent sur un vaste terrain, étant donné que la terre ne coûtait pas cher ou elle était parfois gratuitement offerte par l’Etat. Mais dans les villes, surtout dans les quartiers à proximité du bazar, la terre coûtait très cher, et les caravansérails étaient construits à plusieurs étages sur des terrains moins vastes. Par ailleurs, contrairement aux caravansérails routiers où une grande partie de l’édifice était consacré aux écuries pour loger les animaux, les caravansérails situés dans les villes étaient souvent dépourvus d’écuries ou ils disposaient d’un très petit espace pour garder les animaux.
Après l’apparition de l’automobile en Iran vers le début du XXe siècle et la démocratisation du voyage, les caravansérails ont perdu leur importance d’antan ; ils ont été abandonnés. Certains caravansérails routiers ont été confiés à la gendarmerie nationale. Certains autres sont devenus des écoles. Mais les caravansérails éloignés des lieux de concentration de population ont été complètement abandonnés et il n’en reste aujourd’hui que des ruines. A Ispahan, l’ancien caravansérail de la ville datant de l’époque de Shâh ‘Abbâs Ier (Figures 13 & 14) a été conservé, il est en très bon état, et compte aujourd’hui pour l’un des meilleurs hôtels de la ville.
A l’instar des caravansérails, l’histoire des Tchâpârkhâneh ou relais de poste routiers en Iran remonte à la période préislamique. Hérodote et Xénophon citent dans leurs ouvrages l’existence, sous les Achéménides, d’un système de poste royal doté de nombreux relais routiers, dans toutes les régions du vaste empire des Achéménides. Les avant-courriers transportaient les dépêches, les lettres et les décrets, etc. sur les routes. Arrivés aux relais de poste sur leur chemin, ils empruntaient les chevaux frais postés pour remplacer les chevaux fatigués, et reprenaient aussitôt leur chemin. Les tchâpârs (avant-courriers) se remplaçaient les uns les autres, et le transport du courrier était ainsi assuré 24 heures sur 24. Xénophon attribue l’établissement de ce service de poste royal à Cyrus le Grand.
Les relais de poste routiers ont gardé leur importance sous les Arsacides et les Sassanides, mais aussi pendant la période islamique jusqu’à une époque récente, avant la modernisation des routes et l’apparition de l’automobile en Iran.
Tandis que les ruines de nombreux caravansérails ont été découvertes dans diverses régions, il en reste très peu des Tchâpârkhâneh. Selon Maxime Siroux, la disparition d’un grand nombre de relais de poste anciens s’explique par le fait qu’ils avaient été souvent construits avec des matériaux peu résistants comme la terre cuite ou le torchis, d’autant plus que dans de nombreux cas, les relais de poste routier était rattachés aux caravansérails et qu’il est difficile aujourd’hui de les distinguer dans les ruines qui en restent. [6] Cependant, un relais de poste ancien reste plus ou moins intact près du caravansérail de Meybod. L’édifice était fortifié, à l’instar de la plupart des caravansérails du plateau central iranien. Ce Tchâpârkhâneh a une cour centrale entourée d’écuries couvertes pour loger les animaux. Près de la porte d’entrée, il y avait plusieurs petites chambres pour loger les avant-courriers et parfois les voyageurs.
Après la modernisation du réseau routier et du système du poste national, les anciens relais de poste routiers sont tombés en désuétude, et la plupart d’entre eux ont disparu.
[1] Dictionnaire Dehkhoda, Tchâpârkhaneh
[2] Maxime Siroux, architecte et chercheur français, a longtemps étudié les caravansérails iraniens. Il a enseigné également à la faculté des Beaux Arts de l’Université de Téhéran.
[3] SIROUX, Maxime : Les Caravansérails d’Iran, traduit en persan par Issa Behnam, éd. De l’Organisation nationale de la protection du patrimoine, Téhéran, 1944, p. 179.
[4] KLEISS, Wolfram & KIANI, Mohammad Youssef : L’Inventaire des caravansérails d’Iran, vol. 1, éd. de l’Organisation nationale de la protection du patrimoine, Téhéran, 1362 (1983), p. 11.
[5] PIRNIA, Mohammad Karim : Les discours au bureau de l’Organisation nationale de la protection du patrimoine, Téhéran, 1365 (1986).
[6] SIROUX, Maxime : Les Caravansérails d’Iran, traduit en persan par Issa Behnam, éd. De l’Organisation nationale de la protection du patrimoine, Téhéran, 1944, p. 201.