N° 25, décembre 2007

La ville de Rey et le mystère de la prison de Hâroun :
le premier duplex au monde


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


"Dans le monde entier, il n’y a que quatre lieux vraiment privilégiés qui sont Rey, Damas, Raqqa et Samarkand",

Hâroun al-Rashîd, ancien calife de Bagdad.

Les duplex demeurent aujourd’hui particulièrement prisés ; les escaliers joignant les deux étages à l’intérieur donnant à l’intérieur un style particulier tout en contribuant au confort des habitants. Pourtant, on n’a guère imaginé d’où pourrait émerger l’idée d’une telle architecture originale, ni qui pourrait en être l’inventeur. Guère besoin d’aller très loin : le duplex fut inventé en Perse antique par les Sassanides, quatrième dynastie persane avant l’islam, qui se servirent de leur génie afin de construire de majestueux temples du feu zoroastres et des palais, que l’on peut notamment admirer à Rey.

La prison de Hâroun

Des sites historiques connus comme la prison de Hâroun est peut-être le fruit de la créativité et de la finesse d’esprit des Sassanides. Or, ce qu’il représentait à l’époque n’a aucun rapport avec son nom actuel. Selon certains historiens, certaines caractéristiques architecturales de ce bâtiment semblent correspondre avec celles de l’époque sassanide. Dans un cours article consacré à cette prison, Mehdî Bâzârgân écrit : "Ce monument isolé et abandonné est situé à quelques 9700 mètres à l’est de la tombe d’Abdol-’Azîm et à gauche de l’ancienne route de Khorâsân, au pied des montagnes Mesgar Abâd." Selon ses analyses, le monument n’était pas une prison, mais un temple zoroastrien ; il semblerait cependant que le peuple le considérait comme étant la prison de Hâroun. En admettant cette hypothèse, les Sassanides auraient donc laissé une empreinte profonde dans l’histoire de Rey.

D’après le livre L’Iran à l’Epoque Sassanide écrit par Christian Seine, la dynastie sassanide fut la première des sept grandes dynasties de Perse. L’histoire de Rey doit une grande partie de sa gloire à l’héritage culturel et artistique de l’époque sassanide. Cette ville avait changé de nom sous l’influence de multiples souverains. A titre d’exemple, Soloukus la baptisa Europus ou bien les Arsacides la renommèrent Arsakia. Mais ce furent les sassanides qui lui redonnèrent son ancien nom, Rey. Il est à noter qu’à cette époque, l’art de la poterie atteint un niveau de perfection remarquable et la fabrication de précieux tissus en coton ou à base de poils d’animaux connu un grand succès. De plus, c’est à cette même époque que la religion zoroastrienne fut reconnue comme la religion officielle du pays. Ce fut donc sous cette dynastie que pour la première fois, la Perse posséda une religion officielle. Ils firent construire de nombreux temples du feu (âtashkadeh) à Rey ainsi que dans d’autres villes. Les temples du feu avaient une telle importance qu’ils choisirent d’y faire figurer ce motif sur leurs pièces de monnaie. Après la défaite des Sassanides contre les Arabes durant la bataille de Nahâvand, cette grande dynastie perdit sa splendeur et la langue pahlavie, qui était la langue scientifique et littéraire de la Perse, allait peu à peu disparaître durant les deux siècles de domination omeyyade et abbaside.

La prison de Hâroun

Quant à la prison de Hâroun à Rey, il semble donc qu’elle fut à l’origine un temple zoroastrien et son architecture globale et plus particulièrement intérieure semble valider cette théorie. D’après des recherches archéologiques, il est peu probable que le bâtiment ait été construit pour servir de prison : ainsi, la complexité et la finesse technique, les décorations en brique du deuxième étage et l’usage d’un plan de quatre-arches dans la construction de l’édifice semblent confirmer l’idée qu’il était un lieu de recréation pour les gouvernants de l’époque. Datant d’environ 1100 ans, le bâtiment est en forme de cube rectangulaire dont les murs assez épais et forts sont construits en pierres volcaniques et sombres de tailles variées, et en mortier de plâtre. Sa hauteur est de 9 mètres et il s’étend sur une largeur de 16,5 mètres. Une lucarne située au-dessus de l’un des côtés et une petite entrée en dessous sont les seules ouvertures vers l’extérieur. Il comporte deux étages abritant chacun quatre chambres. L’ensemble des quatre balcons cruciformes permet la communication entre le premier et le deuxième étage, c’est pourquoi les architectes le considèrent comme le premier duplex au monde. Mais encore faut-il se demander pourquoi certains textes historiques l’évoquent sous le nom de "la prison de Hâroun" ; qui était cet homme et quel rôle a-t-il joué dans l’histoire de Rey.

Certains chercheurs ont d’abord cru que dû à la distance entre ce bâtiment et le gouvernement central et sa structure quasi fermée, il avait servi de prison durant un certain temps. Néanmoins, selon certains documents historiques plus récents, il semblerait que des rois et des gouvernants s’y retrouvaient pour se divertir ainsi que pour aller à la chase.

La prison de Hâroun

En ce qui concerne le nom de "Hâroun", il fait référence au cinquième calife abbaside plus connu sous le nom de "Hâroun al-Rashîd". Son père, Mohammad Mehdî, gouverna Rey durant un certain temps et rebaptisa la ville "Mohammadyeh". Une partie de la nouvelle Rey d’après l’islam fut reconstruite sous son ordre. En l’an 146 de l’hégire (766 de l’ère chrétienne) naquit son fils aîné Mousâ Hâdî et deux ans plus tard naquit à Rey le fils cadet de Mehdî, Hâroun al-Rashîd, qui devint calife à l’âge de 22 ans. Ce dernier était très attaché à son lieu de naissance et en parlait toujours avec respect et enthousiasme. Selon lui, la ville de Rey comptait parmi les quatre villes les plus extraordinaires du monde de par sa fraîcheur, sa beauté et sa verdure - les trois autres villes étant Damas, Raqqa et Samarkand. Durant son califat, Hâroun al-Rashîd se rendit plusieurs fois à Rey et y rassembla une fois ses fils durant 4 mois. Peu de temps après, il désigna Abdullâh Ibn-e Mâlek Khazâ’î comme gouvernant de Rey, de Damâvand, de Tabarestân et de Hamedân, avant de rentrer à Bagdad. Entre temps, il résida durant une certaine période à Raqqa en Syrie. Il effectua sa dernière visite à Rey vers la fin de VIIIe siècle, pour partir ensuite dans le Khorâsân. Il mourut à Tous en l’an 193 de l’hégire (809). En l’absence de Hâroun al-Rashîd, Rey perdit de son importance et son influence. C’est ainsi que d’après certaines suppositions, le bâtiment fut par la suite utilisé comme une prison. Le récit d’historiens de cette époque semble en confirmer la réalité, tandis que les archéologues actuels n’en ont aucune preuve.

De nos jours, tout le monde se souvient de Hâroun en tant que héros des histoires des Mille et une Nuits sous le titre de "Hâroun, le calife de Bagdad". Etant donné qu’il tâchait de se présenter comme le successeur des rois Sassanides et qu’il affectionnait beaucoup le luxe de sa cour, il ordonna aux marchands d’importer des récipients en céramique de la Chine à Bagdad. D’après certains historiens, il demanda même à plusieurs potiers chinois de venir à Bagdad et il leur fit construire des ateliers dont les ruines ont été découvertes à Samarra.

Certaines sources concernant les monuments historiques attribuent la construction de ce monument à la dynastie Bouïde tandis que d’autres affirment qu’elle n’a procédé qu’à sa restauration. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, peu de gens connaissent l’existence de ce bâtiment historique et même les habitants de la ville de Rey s’étonnent en entendant le nom d’un tel endroit. Pour avoir un premier aperçu de cette étrange construction, il faut parcourir un chemin non asphalté sur environ un kilomètre et demi. Elle est située à une douzaine de kilomètres de la route de Khavarân, dans la direction de Téhéran-Mashad et au pied des montagnes de Mesgar Abâd. Le passage du temps semble l’avoir confiné dans l’oubli cependant, l’Organisation du Patrimoine Culturel avait, pendant une courte période, pris en charge la restauration du monument qui est restée jusqu’à présent inachevée. Bien que seule une usine du ciment se trouve en face du bâtiment et que l’endroit demeure très isolé, il possède toujours un grand attrait. Grâce aux petits grenadiers à quelques pas de l’édifice, un air délicat de vie souffle tout autour, circulant au travers des petites grenades rougeâtres suspendues aux branches, jusqu’aux pierres grossières couvrant le corps emprisonné du monument.


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