N° 49, décembre 2009

Dans la grotte d’Ali-Sadr


Karim Modjtahedi


La grotte d’Ali Sadr qui est de nos jours un centre touristique très fréquenté en été par les Iraniens, n’était pas, il y a 40 ans, encore connu du grand public. Voilà un petit article qui témoigne de cette époque.

Annoncée d’abord par les quotidiens, illustrée et commentée ensuite par les hebdomadaires, la découverte d’une grotte près de Hamadan – un grand lac souterrain comme disent les journaux – fait depuis quelques temps l’objet de conversations très animées à Téhéran.

S’agit-il d’une vraie découverte ? Tous les villageois d’Ali-Sadr où se trouve la grotte la contesteraient sûrement, s’ils lisaient les journaux, puisqu’ils la connaissent depuis toujours. Elle a été cependant inconnue du grand public et c’est seulement en ce sens-là, et encore en exagérant, que l’on peut parler d’une découverte.

La nostalgie des fameuses grottes de la Dordogne – que j’ai eu la chance de visiter autrefois quand j’étais étudiant en France – et évidemment la curiosité m’ont poussé à me rendre personnellement à Ali-Sadr pour voir la chose de près.

Mon voyage dura un peu plus d’un week-end, c’est-à-dire deux jours et demi. La route est assez directe ; il faut traverser Hamadan et parcourir à peu près 50 km sur la route non-asphaltée mais assez praticable de Bidjar. On atteint alors par un sentier secondaire le village d’Ali-Sadr.

Grotte d’Ali-Sadr
Photos : ’Ali Majd-far

A première vue, ce village n’a rien de particulier. Il ressemble à n’importe quel village de l’ouest de l’Iran, avec ses maisons en torchis surmontées par-ci par-là par de petits dômes se détachant sur le fond vert de quelques peupliers. Un imam-zadé à proportion modeste mais très harmonieuse se situe à l’entrée du village ; l’ensemble fait une arabesque géométrique à la couleur du désert.

Dans ce village vivent près de 80 familles parlant un dialecte turc, cultivant le blé, élevant 400 moutons et chèvres et possédant 150 ânes et chevaux. Il y a quatre petites boutiques où les villageois s’achètent du sucre, du blé, des étoffes, etc. que les marchands amènent d’Hamadan.

Le site de la grotte se trouve au milieu de hautes collines sur la pente desquelles le village est construit. On peut y pénétrer par deux entrées : l’une naturelle, l’autre construite jadis par l’homme d’une manière rudimentaire ; celle-ci est tellement étroite qu’il faut ramper pour y pénétrer. D’après le jeune paysan qui m’y guidait, ces entrées sont infestées au printemps de serpents gris-blancs, d’une taille moyenne et assez dangereux. Une fois cet accès difficile passé, c’est l’obscurité complète : sous l’éclairage des lampes, on traverse des galeries parfois très basses et parfois d’une hauteur moyenne, formant une voûte irrégulière qui permet de marcher la tête levée. On peut encore voir les canaux creusés autrefois qui conduisaient l’eau à l’extérieur pour faire tourner les moulins de la région, il y a encore quelques années. Quelques stalactites – ces lentes horloges qui semblent mesurer l’éternité au rythme d’une sourde musique aquatique – se devinent sur le plafond et à ma grande surprise, je distinguai de rares champignons poussés modestement dans la boue et dans la vase. Leurs pieds très minces et leurs chapeaux rappellent ceux des planteurs de riz d’Extrême-Orient.

Grotte d’Ali-Sadr
Ibid.

Enfin, nous atteignons la citerne naturelle pour ne pas dire le lac. On a l’impression de rencontrer au cœur silencieux de la colline un grand être vivant – lent et timide – comme ne pouvant respirer que dans la nuit. Elle est cependant beaucoup moins profonde que quelques journaux téhéranais l’avaient annoncé : la partie la plus profonde mesure 9 mètres seulement et non 150. L’eau serpente au travers de la grotte et relie les deux entrées de telle façon qu’au moyen d’un petit canot, on peut y pénétrer par l’une des issues et en sortir par l’autre.

Evidemment des recherches ultérieures nous donneront les caractéristiques exactes de cette citerne et peut être serons-nous surpris un jour d’entendre parler de l’existence d’un genre particulier de poisson, d’une plante aquatique, ou des traces d’un homme préhistorique. Certes, la vraie découverte – s’il y en a une – reste à faire. Cependant pour le moment rien ne nous interdit de reconnaître à la grotte d’Ali-Sadr un véritable intérêt touristique voire sportif. Car, si on n’y peut pas encore se faire photographier comme dans l’impressionnant gouffre de Padirac, ni entendre dans un cadre de sons et de lumières, les cantates de Bach, comme dans les grottes de Lacave, on peu cependant admirer un phénomène naturel qui ne manque pas d’une certaine nouveauté.

Journal de Téhéran
9 Shahrivar 1346 - 31 août 1967


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