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Dans le cadre de la seconde Biennale des images du monde intitulée Photoquai-2 avec pour directrice artistique, cette année, Anahita Ghabaian Etehadieh, iranienne, fondatrice de la fameuse Silkroad gallery de Téhéran, se tiennent deux expositions remarquables :
- l’une au Musée du Quai Branly : 165 ans de photographie iranienne. 22 septembre-22 novembre 2009
- l’autre, à La Monnaie de Paris : Iran, 1979-2009, entre l’espoir et le chaos : trente ans de photographie documentaire iranienne. 6 novembre-20 décembre 2009.
Ces expositions sont remarquables car elles se posent comme une fenêtre panoramique ouvrant sur un pays fascinant qu’on ne connaît le plus souvent qu’à travers des médias dont la relative impartialité est à mettre en parallèle avec l’objectivité de la photo : les uns et l’autre s’attachent à dire l’insaisissable c’est-à-dire le réel qui n’est cependant jamais qu’un réel, celui qu’on dit selon sa place dans le monde.
"Les images techniques omniprésentes autour de nous sont sur le point de restructurer magiquement notre « réalité » et de la transformer en un scénario planétaire d’images." Vilèm Flusser, Pour une philosophie de la photographie, 1993, éditions Circé, 1996.
Ces expositions s’inscrivent dans le cadre d’une ouverture générale des musées à ce qui diffère, à ce qui sort de leur orientation principale. Ainsi par exemple, le Louvre s’est ouvert depuis quelques années à des expositions d’art contemporain, le plus souvent en relation ou en confrontation avec ses propres collections. Le Musée du Quai Branly est un tout récent musée ethnographique, il regroupe des collections antérieurement dispersées mais dont une grande partie provient de l’ancien Musée des arts africains et océaniens. La Monnaie de Paris, quant à ce lieu historique, se consacre principalement à la présentation pédagogique de l’émission des monnaies, anciennes et récentes, et à l’édition de médailles et de bijoux. Si La Monnaie de Paris ne détient pas vraiment de collection photographique, le Musée du Quai Branly possède quant à lui plus de 700 000 photos prises depuis le milieu du dix-neuvième siècle, celles-ci témoignant à la fois du mode de vie de populations disparues et des rapports entretenus par les photographes, souvent explorateurs et détenteurs à priori de représentations établies de celles-ci ; cependant la collection comporte également des photographies contemporaines. Il faut donc constater que la photo, au Musée du Quai Branly, occupe une place de choix aux côtés des objets rituels et fonctionnels, photo comme document d’amateur ou de professionnel ou photo anthropologique et photo d’art car, ne l’oublions pas, le temps sacralise et artialise les objets. Et la photo, comme toujours, dit davantage et autre chose que ce qu’elle ne semble dire : il y a un immense au-delà des apparences à discerner. Ceci vaut pour ces deux expositions de photographie iranienne.
Au Musée du Quai Branly, l’exposition 165 ans de photographie iranienne souffre d’un contexte muséal pesant : pénombre et plafonds écrasants rendent le lieu irrespirable, ce à quoi s’ajoute une médiocre lisibilité de cette architecture postmoderne qui tend à s’exposer au détriment des œuvres présentées. C’est ainsi que l’architecte Jean Nouvel conçoit le musée : une œuvre en elle-même et pour elle-même. Mais le choix des pièces présentées dans cette exposition et leur indéniable attrait compensent cela. Les photos vont ici et quant à leurs dates, du milieu du dix-neuvième siècle à nos jours. Photos ethnologiques et documentaires d’abord, selon le parcours proposé, on commence à la moitié du dix-neuvième siècle jusqu’aux années trente ou cinquante, photos passées et ocrées qui dévoilent tout à la fois une société, des modes de vie et l’intimité des populations saisies et figées-fixées par l’objectif ; c’est à la fois émouvant et d’un indéniable intérêt historique. Puis il y a cette époque entre les années trente et les années cinquante où la bourgeoisie, pour la fête du nouvel an iranien, se faisait photographier en famille, vêtue à l’européenne. Portraits de groupes familiaux corrects et prospères où les figurants sont toujours un peu empesés et mal à l’aise, tant dans leurs vêtements que face à l’objectif inquisiteur qui scrute sans concessions, dont on craint la révélation d’une réalité inattendue, en tous cas autre, étrange. Epoque où la photo est encore un peu rare, images d’une société dominante qui cherche une ouverture sur le monde extérieur et la modernité. Ces photos révèlent des partis pris esthétiques, une mise en scène et une conformité certaine de la part des photographes, et par ailleurs le désir sous jacent de paraître dans l’apparaître de la part de ceux qui posent.
Puis viennent, suite du parcours, une série de photos de la révolution islamique, photos de reportage, photos prises au vol, à chaud, au cœur de l’événement. Vues en écho à ce vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin et des régimes communistes d’Europe centrale, les photos de la révolution islamique nous disent le caractère inéluctable de la libération des peuples par rapport à ce (ceux) qui les opprime(nt), dictatures et idéologies totalitaires en tous genres : chaos des rues noires de manifestants, cohortes de policiers, incendies, statues renversées et jeunesse joyeuse qui s’expose, pleine de croyances et d’idéal, au risque de sa vie. Eternel recommencement donc : à Téhéran on déboulonnait la statue du Shâh et à Prague ce sera celle de Lénine, on brule les symboles de ce en quoi on a cru ou de ce qu’on a haï. Et arrivent les photos, reportages sur la guerre Iran-Irak, avec l’horreur de toute guerre. Ici pourtant ce n’est pas le pire qui est montré, comme j’avais pu voir au musée d’art moderne de Téhéran il y a quelques années ; non pas que nous soyons ici à Paris et dans cette exposition dans un parti pris esthétisé, même si les raisons du choix de ces photos ont pu se teinter d’un peu d’esthétique ou simplement de modération. Nous sommes avec les photos de la révolution islamique et avec celles de cette sale guerre dans le domaine de la photo reportage et du document choc. Ces deux moments cruciaux qu’a vécu l’Iran depuis trente ans ont généré un genre photographique marquant qui va largement occuper le territoire de la photo de ce pays et même masquer l’émergence d’autres genres à caractère délibérément artistique, bref une photo contemporaine, plasticienne et plus esthétique à priori, car débarrassée de l’événementiel.
Au-delà de son esthétique et de sa plasticité, la photo contemporaine iranienne présentée dans ce contexte du Musée du Quai Branly vogue dans les alentours d’une critique sociale et politique sous jacente, que ce soit lorsqu’elle cadre l’espace public ou lorsqu’elle scrute l’espace privé et intime. Ce qu’elle nous montre va au-delà de l’immédiat et de la surface lisse de chacune des œuvres, photo qui semble receler en elle-même une interrogation portée à l’Iran et au peuple iranien, et ici je convoquerai en écho le peintre Paul Gauguin avec son tableau testamentaire de 1897 : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
L’autre volet de cet hommage rendu à la photographie iranienne se tient à La Monnaie de Paris, qui s’est lancée il y a peu de temps dans le montage d’expositions d’art contemporain, le plus souvent en relation avec des galeries parisiennes. Ici l’exposition Iran, 1979-2009, entre l’espoir et le chaos, trente ans de photographie documentaire iranienne, est certes marquée par les images fortes de la révolution islamique et de la guerre Iran-Irak, images pour nous en France un peu oubliées, vues trop vite ou jamais vues, donc d’un intérêt documentaire indéniable ; images donc de la photographie iranienne dont tout un pan est axé autour de l’événement avant que la plus jeune génération de photographes n’émerge, formée et diplômée par les universités d’art. Ce qui m’a semblé remarquable dans cet accrochage et dans le choix des commissaires, c’est de montrer autant une photo sociale et politique en même temps que plasticienne qu’une photo reportage et documentaire brute et narrative, conduite par la force de l’événement. La photo contemporaine exposée ici est plutôt une photo de la vie quotidienne de la société iranienne, et c’est souvent davantage une photo d’instants volés par le photographe qu’une photo de mise en scène et de composition ou qu’une photo de studio. C’est une photo souvent ironique et de critique feutrée, l’ironie et la critique semblant se cacher derrière la prise de vue au vol - images volées - et derrière une officielle objectivité, comme si la photo pouvait être neutre ! Photo qui donc révèle et dit beaucoup plus qu’elle ne semble dire à qui connaît un peu la société iranienne, à qui suit son évolution.
Et enfin il ya ce retour de la photo reportage avec les événements advenus depuis juin dernier, tous ces Iraniens dans la rue : en quelque sorte un retour sur images, sur celles de 1979 ou celles de Prague, de Berlin Est, de Budapest, de Santiago du Chili et d’autres encore, oubliées et à venir. Et, phénomène intéressant, l’actualité iranienne la plus récente montrée à la Monnaie de Paris se poursuit au jour le jour sur Internet avec les images d’amateurs, photographies au vol - ou non photographie ?
Que dire, provisoirement, de la photo iranienne et de ce qu’en montrent ces deux expositions ? Evidemment je ne connais que certains de ses aspects car beaucoup de photographes iraniens se sont installés de par le monde, cependant la photo iranienne est très présente et visible en Iran comme en France, même si évidemment, en Iran, elle ne peut tout montrer, ce qui pour autant n’en fait pas un art asservi. Cette photo iranienne a été très marquée par le reportage lié aux événements majeurs qu’a connu l’Iran et cette photo là, naturellement glorieuse et officielle a différé l’émergence d’autres genres. La photo documentaire si liée soit-elle à l’événement dont elle rapporte des bribes est également indéniablement une photo plasticienne mais dont la plasticité est reléguée au second plan. Car le photographe, son œil et son objectif cadrent et en cadrant esthétisent quand même, et concomitamment désignent et excluent (le hors champ, le non montré). Le photographe est et vit quelque part dans un certain monde et s’en va à la chasse aux images du monde chargé de préjugés, même s’il ne le sait pas.
(Voir in L’art au temps des appareils. Jean-Pierre Brigaudiot et Germain Roesz , Contrepoint. Collection Esthétiques, l’Harmattan, 2005.).
Après la terrible guerre avec l’Irak (1980-1988) puis avec l’ouverture de nombreuses galeries après 1997, de nouveaux photographes, réellement formés dans les universités iraniennes en tant que tels ont donné corps à un autre type de photo, à la fois moins spécifique, car plus mondialisée et informée via la fenêtre Internet qui s’est peu à peu ouverte ; cependant cette photo, qu’elle soit sociale, intimiste ou seulement esthétique (si faire se peut et dans l’intention du photographe) est très liée à une société en tension permanente où les choses, bien souvent, ne peuvent être ni dites ni montrées directement. Aussi la photo iranienne d’Iran la plus contemporaine et à caractère politico-social se fonde beaucoup sur la métaphore, sur des stratégies et des ruses et dit quasiment toujours beaucoup plus que ce qu’elle ne semble montrer en sa surface lisse. Ainsi en était-il, par exemple, lors de la grande biennale de la photographie de Téhéran en décembre dernier.
Je ne puis évidemment énumérer tous les photographes iraniens présents dans ces expositions, et à divers titres plus intéressants les uns que les autres, je conclurai simplement sur l’initiative qui me semble judicieuse et qui a consisté pour la direction artistique de ces deux expositions à s’assurer la collaboration et la compétence de deux photographes iraniens notoires : Bahman Jalali et Hasan Sarbhakshian.