N° 49, décembre 2009

Gol koochik , le football anecdotique


Esfandiar Esfandi


« Rangez-moi ce ballon ! »
Enoncé récurrent dans les écoles, collèges ou lycées iraniens.

L’Iran du XXe siècle fut, à n’en pas douter, témoin de deux événements majeurs : la création de la fédération iranienne de football en 1920, et le premier match officiel de l’équipe iranienne de football en 1941. La success story de notre équipe nationale a commencé à cette époque avec notre « victoire » par « match nul » sur l’équipe afghane, et s’est prolongée avec l’arrivée de l’équipe au 1er tour de la coupe du monde de football en 1978. Elle a continué avec l’arrivée de l’équipe au 1er tour de la coupe du monde de 1998 et s’est poursuivie avec l’arrivée de l’équipe au 1er tour de la coupe du monde de 2006. Apparemment, personne n’est capable de freiner l’irrésistible ascension de l’équipe iranienne qui, depuis 1945 et son rattachement à la FIFA, n’a jamais trahi la confiance de la Fédération qui n’a jamais cessé de trahir la confiance du peuple… Trêve de moquerie, l’Iran peut quand même se targuer d’avoir remporté à trois reprises, en 1968, 1972, et 1976, le championnat d’Asie. Alors oui, on continue d’y croire. Le football en Iran, comme partout ailleurs, est une affaire sérieuse. A ce titre, il donne sérieusement envie de rire. Il suffit, pour s’en rendre compte, de jeter un œil et l’oreille dans les rues de Téhéran et de toutes les villes de province pour voir et entendre les supporteurs en train de se maudire, et d’en rire à gorge déployée. En Iran, comme partout ailleurs, les jours de grands matchs… je m’interroge. Quand même ! C’est à se demander si ce sport de (grosse) masse mérite une telle débauche d’énergie ? On se le demande, parfois. Mais c’est comme se demander si notre jambe mérite qu’on s’y appuie pour marcher. On ampute difficilement la culture populaire de sa portion la plus imposante et la plus universelle, même si l’on se prend parfois à rêver…

Si les résultats de notre équipe nationale de football traditionnel laissent à désirer, en revanche, l’équipe iranienne de futsal (foot en salle) peut garder la tête haute et le pied au plancher. Meilleure équipe d’Asie de la Super Ligue de Futsal, elle a remporté pour la troisième fois d’affilée le championnat d’Asie, et n’est pas prête à s’arrêter en si bon chemin. Il est à préciser que le terrain de foot en salle n’est pas le même, et que les gradins sont plus conviviaux ; que le crachin par gros temps n’est plus à déplorer, sur le terrain, ni même dans les promenades. On marque volontiers, et beaucoup plus, malgré la taille moyenne du but qui fait plutôt penser à une cage de handball. Plus petite, elle reste plus accessible (Vahid Shamsaee, la star iranienne de futsal à marqué jusqu’à ce jour pas moins de 320 buts). Les gardiens de but de futsal sont des malheureux qu’on agresse sans arrêt car le terrain est court (mais pas les jambes des athlètes). On a vite fait, la balle au pied, de parcourir les quelques dizaines mètres qui séparent les deux cages (gare au visage)… Question football, assurément, l’Iran n’est pas en reste. S’il a laissé à l’Angleterre le soin d’inventer le ballon de cuir ; s’il manque à son équipe l’éclat et le palmarès des grandes équipes ; si c’est un « petit » pays de football, c’est en revanche « le » pays du Gol Koochik

Le Gol Koochik ou « petite cage » est née je ne sais quand et je ne sais où, quelque part en Iran. Sur ce sujet, les avis divergent et ne méritent pas qu’on s’y attarde. En revanche, pour ceux d’hier parmi les garçons qui vinrent au monde avant l’irrésistible vogue des ordinateurs domestiques, il est clair que le Gol Koochik est arrivé le jour même de leur naissance. Leur cri primal va de pair avec la vue de leur mère, et avec la reconnaissance, dans un coin de la salle d’opération, de leur premier toup pélastiki, leur premier ballon en plastique à rayures. En Iran, ceux des générations susdites naissaient en serrant très fort leur ballon, déjà prêts et pressés de rallier la ruelle, le terrain vague, la petite cour d’école, ou même le petit coin du plus petit des jardins, pour y marquer un but d’anthologie (également domestique)…

Vous l’aurez compris, chers étrangers aux coutumes iraniennes les plus authentiquement persanes, le Gol Koochik, c’est du football, mais c’est aussi bien plus que cela. Le joueur de Gol Koochik est un jongleur qui aura manqué sa vocation d’artiste de cirque ou de prestidigitateur. Son ballon est moitié moins gros qu’un vrai ballon de foot, il est délicatement fagoté de minces rayures (généralement violettes), il est dur comme une boite crânienne prête à éclater (une chambre à air, évidemment). Alors on la double. Explication : un toup pélastiki éventré faisant office de lest et de revêtement protecteur s’en vient recouvrir le toup initial. Autrement dit, on introduit dans le ballon mort, un second toup bien compact pour l’alourdir. Magie de l’artisanat de rue, le toup pélastiki est prêt à l’emploi, prêt à virevolter dans les ruelles de notre enfance et dans nos cours de récréation.

Le Gol Koochik se pratique généralement dans des impasses, et se joue à comité restreint. Les équipes sont constituées chacune de deux à quatre personnes. Tous sont apparemment des êtres humains normaux. Mais, à les voir évoluer sur le terrain, on réalise pourtant qu’il n’en est rien. Des feu follets je dirais, ou du vif argent. Les déplacements des « praticiens » du Gol Koochik font penser à une foire d’empoigne de particules élémentaires apparemment sujettes au désordre. Erreur. Car le joueur de Gol Koochik n’a qu’une seule obsession : faire preuve de finesse, dans ses déplacements, dans ses mouvements, dans son incessant va-et-vient, d’une cage à l’autre. La taille réduite de celle-ci (1 mètre sur 60 cm) fait penser au trou de la balle en bois du bilboquet. Difficile d’y carrer le petit toup, malgré sa petitesse.

Avant de passer à des choses plus sérieuses (comme la préparation de son échec au concours d’entrée à l’université), l’écolier ou le lycéen iranien n’avait jusqu’à peu, rien d’autre en tête, en dehors de la coupe de monde, ses substituts nationaux ou locaux, et l’arène du Gool Koochik. Depuis la grande démocratisation du PC, du Mac, du Web, des trucs et autres machins (plutôt utiles), les jeunes iraniens sont un peu moins enclins à courir à tout bout de champ, à se retrouver sur leur parcelle de territoire de jeu. On les croise de moins en moins, ces garnements tout droit sortis d’une improbable « guerre des boutons » à la persane ; ces jeunes gens aussi, à la chevelure étudiée, au geste sûr de joli-cœur de banlieue, qui à aucun prix ne laisseraient choir leur toup pélastiki sans avoir donné du fil à retordre aux gars de l’impasse d’en face. La ville elle-même semble beaucoup moins s’y prêter (il y a moins d’impasses et plus d’autoroutes), à ce jeu sans lendemain qui ne conduira pas même, le plus souvent, au ballon standard des terrains de foot. Quant à découvrir le Zidane du Gool Koochik...

Voilà pour l’anecdote. La vérité, c’est que partout, la jeunesse pleine de peps transpire à vouloir intercepter le ballon rond, le vrai, en plein milieu de sa trajectoire ; que partout, la jeunesse continue de célébrer ce grand jour de 1848 où les règles du sport le plus populaire de la planète furent définitivement édictées et codifiées à Cambridge ; que les multinationales continuent de brasser, tous les jours un peu plus de sommes astronomiques, grâce au ballon standard et à son beau cuir industriel… qui n’est même plus tanné.


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