N° 20, juillet 2007

La vie tumultueuse de Sylvia Plath


Shekufeh Owlia


Née le 27 Octobre 1932 dans le Massachusetts aux États-Unis, Sylvia Plath commença très jeune à écrire. Très tôt, elle s’intéressa à la poésie et composa ses premiers vers à l’âge de cinq ans. Trois ans plus tard, elle publia son premier poème dans la rubrique pour enfants du Boston Traveller. Enfant prodige, elle se découvrit très tôt le don de l’écriture et se mit à jongler admirablement avec les mots. Plusieurs années plus tard, elle avoua que faire des vers était aussi simple que de chanter des comptines. Voici la traduction de son premier poème :

Écoute le chant des grillons
Sur la pelouse couverte de rosée ;
Regarde les vers luisants
Qui scintillent en volant

Émigré d’Allemagne, son père Otto Émile était professeur à l’université de Boston et sa mère, Aurelia Schober, enseignait l’anglais et l’allemand. Issue d’une famille ambitieuse, sa mère l’encourageait en particulier à se consacrer à la littérature.

Son père mourut très jeune, lorsqu’elle n’avait que huit ans. Après cette tragédie, qui la marqua jusqu’à la fin de ses jours, elle déclara : "Je ne parlerai désormais plus jamais à Dieu !" Elle était persuadée que son père aurait pu prévenir sa mort en consultant un médecin et était convaincue qu’il avait cherché à se suicider. Cet événement triste inspira le poème “Daddy” qu’elle écrivit plusieurs années plus tard. L’amour, la haine, la rage et le chagrin sont des émotions qui l’ont bouleversée tout au long de sa vie.

Les thèmes qu’elle évoque constamment dans ses poèmes de jeunesse lui sont inspirés par la nature. "L’arrivée du printemps, les étoiles du firmament et la première chute de neige sont des sources d’inspiration inépuisables, des présents de la nature aux jeunes poètes", dit-elle un jour.

Sylvia était une bonne étudiante aux résultats scolaires brillants. Durant ses années au lycée, elle envoya des poèmes à diverses revues ; plusieurs d’entre eux ne furent cependant pas publiés. La conséquence fut que, bien souvent, elle doutait de son talent et se demandait sérieusement si elle devait poursuivre dans cette voie et se vouer à sa passion : l’écriture. D’après elle, la poésie est un jet de sang que rien ne peut arrêter. Elle poursuivit ses efforts.

Sylvia Plath

Ce fut en 1950 que Sylvia intégra une institution d’enseignement supérieur nommée “Collège Smith”, sujette à la dépression,tenant cela de son père, elle traversa une grave crise d’adolescence et fit sa première tentative de suicide durant ses années au Collège Smith. Elle était de nature nerveuse et ne parvenait pas à gérer son stress. Ceci se traduisit, bien souvent, par des crises et un niveau de tension encore plus élevé. C’est ainsi qu’un cercle vicieux prit forme ; les problèmes rencontrés dans la vie et le stress étant à tout jamais indissociables. Maniaco-dépressive, elle sombra dans de profondes dépressions tout au long de sa vie. Son humeur oscillait de la plus grande joie à la plus profonde tristesse. "Quand je ferme mes yeux, le monde entier sombre dans les ténèbres. Quand je rouvre mes yeux, tout renaît." Cette phrase célèbre de Sylvia illustre bien sa vie faite de hauts et de bas. Dix ans plus tard, elle essaya de mieux comprendre ces moments de dépression du début de sa jeunesse dans un roman autobiographique intitulé The Jar Bell (La Cloche de détresse).

Cependant, sa vie prit bien vite une autre tournure ; sa nouvelle And Summer Will Not Come Again fut publiée dans la revue Seventeen et peu après la remise des diplômes, son poème “Bitter Strawberries” fut publié dans le Christian Science Monitor. C’est à ce moment qu’elle déclara que "le pire ennemi de la créativité, c’est de douter de ses talents".

En 1955, Sylvia termina brillamment ses études au Collège Smith et obtint une bourse Fullbright qui lui permit d’entamer des études de littérature au sein de la prestigieuse Université de Cambridge. Elle était très exigeante envers elle-même et recherchait la perfection dans tous les projets qu’elle entreprenait. Au cours de ses années universitaires, elle fit la rencontre du poète anglais Ted Hughes avec qui elle se maria le 16 juin 1956. En 1957, son mari publia un recueil de poèmes intitulé The Hawk In The Rain très bien accueilli par le public, accueil qui suscita la jalousie de son épouse. Sylvia était mécontente de sa vie, des poèmes qu’elle écrivait et de son mariage. Elle cherchait une consolation dans la poésie. Dans son poème intitulé “Mort-nés”, on voit bien que le succès de son mari inspire la jalousie de Sylvia. Ce qui explique en partie pourquoi ce poème est si lugubre et parfois de caractère suicidaire. Cependant, on y trouve également des aspects satiriques.

Ce qui frappe dans ces vers est le jet d’émotions pures. Les poèmes de Plath débordent d’une émotion intense, tout y est doté de vie. Ils sont remplis d’inventions à la fois singulières et fabuleuses. Dans son poème intitulé “Mort-nés”, Sylvia cherche en vain à découvrir l’élément manquant qui pourrait donner vie à ses vers et les transformer en êtres vivants. D’après ce poème, les vers ont des orteils, des doigts… ils sont même en mesure de sourire au lecteur. Ce qui leur manque peut-être, c’est une âme.

Ted Hughes et Sylvia Plath

Sylvia Plath a le don de convoquer un panel d’émotions qui bouleverse le lecteur. Cette poétesse ne manque pas d’un certain sens de l’humour, et des traces d’ironie sont constamment présentes dans ses écrits. Enfin, elle porte un regard très personnel sur les phénomènes de la vie quotidienne.

Sylvia et Ted vécurent deux ans aux Etats-Unis. Sylvia travailla en tant que secrétaire dans un hôpital psychiatrique et enseigna dans son ancienne université, le Collège Smith. Frieda, le premier enfant du jeune couple, naquit en 1960. Dans le courant de cette même année, le premier recueil de poèmes de Plath intitulé The Colossus and Other Poems fut publié après qu’elle se soit installée avec son mari dans le comté de Devon en Angleterre.

Dans ce poème, Sylvia personnifie le miroir qui, selon elle, mène une vie bien absurde, son seul devoir étant d’être parfaitement honnête et de refléter la pure vérité. Elle n’est même pas en mesure de juger. Ce poème est très narcissique et dépeint une femme dont la beauté s’est évanouie au fil des ans. Quel choc de voir ses joues creusées de rides ou de découvrir son premier cheveu blanc ! Elle aimerait prêter l’oreille aux mensonges que la lune et les chandelles lui chuchotent. Elle aimerait encore croire qu’elle est séduisante et désirée de tous. Hélas ! La vieillesse vient tout doucement, telle une voleuse, nous enlever ce qui nous est de plus cher : la jeunesse. Cette femme entre deux âges est toutefois pleine d’espoir car elle espère voir un jour un reflet plus plaisant dans le miroir.

Dans sa jeunesse, Sylvia n’écrivait qu’à propos de la nature. Mais au fil des ans, elle puisa progressivement la plupart de ses thèmes dans le monde intérieur qui l’habitait. Lors d’un entretien, elle avoua : "Je pense que mes poèmes sont le fruit des expériences de ma vie émotionnelle."A l’origine de toute idée, il devrait y avoir une réaction émotionnelle, mais il faut ensuite la façonner en s’appuyant sur une discipline intellectuelle. Ces expériences sont d’une importance primordiale. Ils ne devraient pas par contre avoir une dimension narcissique, c’est-à-dire qu’ils ne devraient pas être comme un miroir qui reflète la vie du poète à cent pour cent. Bon nombre des poèmes de Sylvia ont un caractère autobiographique. “Daddy”, “Lady Lazarus”, “Stillborn” (Mort-nés) et “Appréhensions” en sont de bons exemples. Afin de comprendre le sens profond des écrits quelque peu compliqués de cette femme de lettres, une lecture ne suffit pas. Les idées que Sylvia nous expose dans son poème “Appréhensions” sont très noires et l’atmosphère dépeinte oppressante.

Un mur rouge tressaille obstinément :

Un poing rouge s’ouvre et se referme,

Deux sacs gris parcheminés-

C’est ce dont je suis fait et la crainte qui m’habite

De mourir pieusement sous les croix.

Sur un mur noir, des oiseaux à peine identifiables

Pivotent leur tête en criant.

Ici, l’immoralité n’a aucune place !

Le vide glacial avance vers nous

Défilant à toute vitesse.

Au fur et à mesure des années, Sylvia Plath et son époux, Ted Hughes, s’éloignèrent l’un de l’autre. Ils se séparèrent peu après la naissance de leur fils Nicholas. Cet événement bouleversa la vie de Plath ; elle ne s’en remit jamais. Après cet événement tragique, elle retourna à Londres avec ses deux enfants et loua un petit appartement. Elle tenta d’oublier sa solitude en écrivant en moyenne un poème par jour, entre quatre heures et huit heures du matin avant que ses enfants ne se réveillent. Elle était persuadée qu’il lui serait impossible de vivre dans un monde sans vers. Elle dit : "Pour vivre, j’ai besoin de composer des poèmes tout comme il me faut de l’eau et du pain." C’est justement ses derniers poèmes qui ont fait sa renommée.

Dans sa jeunesse, Plath s’inspirait des poètes contemporains comme Dylan Thomas, Yeats et Auden à titre d’exemple. Plus tard, elle se pencha plutôt sur les œuvres du grand poète Blake.

Bien qu’elle soit reconnue dans le monde entier pour ses poèmes, en vieillissant elle s’intéressa davantage à la prose. Elle partageait l’avis du Dr. Johnson qui affirmait qu’il y a des choses dignes d’être incluses dans la poésie, et d’autres pas. Lors d’un entretien réalisé peu avant son suicide, elle déclara : "On peut très bien utiliser le mot ’brosse à dents’ dans un roman alors que dans un poème, pas possible ! Cela gâcherait tout l’effet, si vous voyez ce que je veux dire. Autrement dit, on peut facilement dépeindre les petits détails de la vie quotidienne dans un texte écrit en prose. Dans ce sens, la poésie est une discipline tyrannique. Il faut aller si loin, se déplacer si rapidement et ce en si peu d’espace que je dois souvent négliger les petits détails savoureux qui me sont pourtant si chers."

Six mois avant sa mort, elle décrivit son état d’âme en disant : "Je suis exilée sur une étoile lointaine et froide, incapable de ressentir quoi que ce soit, ne serait-ce qu’un affreux engourdissement. Je fixe des yeux la planète Terre qui semble si accueillante avec ses nids d’amoureux, ses milliers de berceaux et ses tables dressées, mais je me sens à l’écart des autres ; incapable de jouir de ces joies terrestres. Je suis emprisonnée entre des murs de glace." L’hiver 1962 fut l’un des plus rigoureux du vingtième siècle. Sylvia se donna la mort le 11 février 1963, en s’asphyxiant au gaz. Elle avait dit avant de quitter ce monde : "Mourir est un art comme toutes autres choses. C’est un art où j’excelle." Elle est enterrée au cimetière de Heptonstall.

Cette poétesse est l’un des précurseurs incontestés du mouvement féministe. Elle est souvent considérée comme étant une héroïne, voire une sorte de martyre de ce mouvement.

Les poèmes formant le recueil Ariel furent publiés deux ans après sa mort et on y voit clairement des traces du courant littéraire du confessionnalisme. Les cours du poète Robert Lowell eurent une influence capitale sur cette œuvre. Sylvia Plath y dépeint en toute franchise la maladie mentale dont elle était atteinte.

Le prix littéraire Pulitzer fut attribué en 1982 à une œuvre posthume de Plath intitulée Collected Poems, un an après sa publication.

Son sonnet intitulé "Ennui" fut publié pour la première fois en 2006 dans le journal littéraire en ligne Blackbird. C’est Anna Journey, une étudiante en littérature de l’Université de Commonwealth en Virginie, qui en fit la découverte.

Mort-nés (1960)

Les poèmes ne vivent pas ; c’est leur triste destin,

Bien qu’ils aient des orteils et des doigts

Et de petits fronts bombés.

Leur mère les a couverts de p’tits soins

Ils ne savent toutefois pas marcher.

Ô je ne saurais dire ce qui leur est arrivé !

Leur silhouette et leurs traits ; tout est parfait.

Ils s’assoient gentiment dans la saumure !

Et m’accueillent le sourire aux lèvres

Hélas ! Leurs poumons ne se remplissent pas d’air

Et leur cœur ne se met pas à battre.

Ils ne sont pas des cochons, pas même des poissons,

Quoiqu’ils leur ressemblent—

اa aurait été mieux s’ils étaient en vie.

Mais ils sont morts et leur mère affolée l’est presque aussi

Ils la dévisagent, mais ne parlent jamais d’elle.


Le miroir (1961)

Je suis argenté et précis. Je n’ai aucune idée préconçue.

Tout ce que je vois, je l’avale aussitôt

Tel quel, sans amour et antipathie

Je ne suis point cruel ; je reflète seule la vérité-

Tel l’œil d’un petit dieu.

Je médite des heures durant sur le mur d’en face.

Qui est rose et parsemé de taches. Je le regarde longuement.

Lui et moi, nous ne faisons plus qu’un. Mais il tremblote.

Enfouis dans les ténèbres, des visages nous séparent.

Maintenant, je suis un lac. Une femme se penche sur moi,

Elle se cherche en vain dans le fond de mon âme.

Se tournant vers ces menteuses : la lune et les chandelles

Je vois son dos et le reflète fidèlement.

Elle me remercie de ses larmes et d’un mouvement de la main

Je suis importante à ses yeux. Dans ce va-et-vient constant

Son visage remplace l’obscurité bien souvent

En moi, elle a noyé une jeune fille et en moi elle voit

La vieille femme qui se dresse devant elle

Jour après jour tel un poisson atroce.


Appréhensions (1962)

Il y a ce mur blanc ; au-dessus duquel le ciel s’est créé-

Vert et infini, pas moyen d’y toucher.

Les anges et les étoiles y nagent avec insouciance.

Ils sont des spirites à mes yeux.

Le soleil s’évanouit sur ce mur, saignant ses lumières.

Là un mur gris, taché de sang et griffé

Peut-on fuir ses pensées ?

Des pas derrière moi descendent en vrille dans un puits.

Aucun arbre, aucun oiseau en ce bas monde,

Il n’y a que de l’amertume.


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