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Le temps n’est apparemment plus favorable à l’apparition des grands poètes persans, et il faut souvent regarder en arrière, en direction d’un passé lointain, pour trouver l’exemple d’un poète ayant marqué l’histoire de notre poésie. Il est difficile d’en croire ses oreilles lorsque l’on entend le nom d’une éminente personnalité littéraire d’aujourd’hui, et qui rivalisa un jour avec des grands noms comme Akhavân, Sohrâb ou Shâmlou. Cependant, à en croire nos oreilles, il existe et vit toujours, continuant inlassablement d’arroser l’arbre ancien de la littérature persane. Mohammad-Reza Shafiee Kadkani est aussi cet arbre mystérieux, évoqué dans le poème ci-dessus, qui trouve de solides racines dans les temps glorieux de la poésie persane classique, et ses branches vertes respirent dans l’air frais des temps modernes.
Il est né en 1940 à Kadkan, un village aux environs de Nishâpour, berceau des remarquables poètes tels que Khayâm ou Attâr. La ville et surtout les chemins bordant les jardins font à ce titre l’objet d’un grand nombre de textes du poète, nostalgique du passé lumineux de la Perse qui n’avait pas encore connu l’assaut et l’atrocité des Tatars. Des chemins bordant les jardins de Nishâpour constituent un recueil considérable dans ce domaine. De ce point de vue, Kadkani se révèle un poète rebelle, qui se veut gardien d’une civilisation ancienne, celle de la Perse antique. Pourtant, ce qui caractérise l’œuvre du poète, c’est son grand enthousiasme à toujours partir et à toujours être en devenir. Dans cette même optique, il intitula “D’être et de chanter” l’un de ses recueils. Cet aspect des écrits de Kadkani s’exprime notamment au travers des figures métaphoriques de la brise, du vent et de la pluie ; cette dernière est appelée à tomber incessamment en vue de laver le visage toujours sale de la terre.
Il faut également noter que le poète a donné naissance à des œuvres importantes dans le domaine de la théorie poétique et littéraire. Entre autre, “La musique de la poésie” constitue un ouvrage de référence pour les universitaires. Kadkani est actuellement professeur émérite de littérature persane et arabe à l’université de Téhéran. Ses cours accueillent chaque jour des dizaines d’intéressés, lesquels ne cessent de parler de la vaste culture littéraire ainsi que de la générosité du maître à transmettre son savoir aux générations suivantes, lesquelles sont supposées assumer la surveillance de ce riche patrimoine qu’est la poésie persane.
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Bien qu’il fasse nuit
Et que je ne trouve nul chemin
En aucun sens de l’horizon
Où je puisse crier
Je rechante cette chanson
Par des lèvres de cent espoirs
Qu’elle passe par une fissure
Un jour peut-être une colombe
Reprendra-t-elle cette chanson
Et alors, souriant de mille lèvres
Elle s’envolera vers tous les horizons
Coup de main
Si tu écris une lettre
A la pluie
Ecris-lui également mon bonjour !
Du sein du chagrin et des brumes.
Si tu écris une lettre au soleil
Ecris-lui également mon bonjour !
Du sein de cette nuit gelée et désespérée
Si tu écris une lettre à la mer
Ecris-lui également mon bonjour !
Mon bonjour
Accompagné de " si ", d’" est-ce que ", d’ " ah "
Aux oiseaux de champs, quêtant
Ecris également mon bonjour !
Si tu écris une lettre
Ce bonjour brûlant de voler
A travers la fissure des espoirs.
La cloche
Dis à la pluie
Qu’elle tombe cette nuit
Qu’elle lave la poussière
Du visage des chemins
Bordant les jardins
Que l’aurore recherche
Dans sa transparence
Notre présence
En quête d’endroits sans bords
D’où l’on ne saurait le retour
Toi et moi
En éveil nous sommes
Absorbés dans la rencontre
Plus légers que le clair de lune
Plus légers que le sommeil
Nous flottons sur la rivière
De chaleur et de lumière
Nous sommes un chant sur les lèvres du vent
Toute honte dans le corps
Tous gais dans notre demeure
Cherchant de tout cœur
L’âme vive de l’aurore nous sommes
Je ne sais guère
Dans ce loin lointain
Si c’est la brise
Provoquée par l’aile d’un oiseau
Ou le message d’un astre
Appelant
Vers ces pays lointains
Tous nos êtres et nos non êtres
Et qui fait parvenir
Aux oreilles des horizons
L’écho de notre ferveur, de notre chant
Que de vers cette nuit
Ecrits par les mots dénudés
Sur la terre et l’épine et la pierre !
Y aurait-t-il de chemin mieux que la liberté ?
Quelle délicieuse nuit, débordante de gaieté !
Dans cette nuit trouvant
Les pieds enfoncés dans le bourdon
Où l’étoile est lourde, aux pieds enchaînés
Où l’horizon tremble dans un nuage sanglant
Tu sais bien
Oui tu sais très bien
Que je m’ennuie là
Dans cette étroitesse
Dis à la pluie
Qu’elle tombe cette nuit
Qu’elle lave la poussière
Du visage des chemins
Bordant les jardins
Que l’aurore recherche
Dans sa transparence
Notre présence !
- Où pars-tu si hâtivement ?
Demanda l’astragale à la brise.
- Je m’ennuie beaucoup là,
N’as-tu pas envie de fuir la poussière de ces déserts ?
- Je brûle de partir, pourtant que puis-je faire ?
J’ai les pieds et mains liés.
- Où pars-tu si hâtivement ?
- Là où je pourrai trouver un abri autre que cet endroit.
- Bon voyage ! Mais je te ferai jurer par notre Amitié
Et par Dieu
Quand tu traverseras saine et sauve ce désert de terreur
Transmets mon bonjour à la pluie et aux fleurs !
Le chant
Par delà la frontière du doute et de la croyance
Je viens
Las et lié
Je viens
Couleur de l’arbre
Contre l’attaque du Dey
Je résiste
Je résiste jusqu’au printemps
Silence et attente je suis
Corps et âme
Pour chanter demain
Le plus vert des chants
Dans la vive joie de ton baiser.