N° 12, novembre 2006

Shafiee Kadkani
le chant d’être


Rouhollah Hosseini



Je préfère être un arbre

Sous les coups de fouet d’ouragan et d’éclair

Palpitant d’éclore et de dire

Plutôt que d’être

Une calme roche

Confiée aux tendres caresses de la pluie

Ou d’être oreille corps et âme

Emporté par le silence.

Ces nuits-ci

Dans lesquelles

La fleur a peur de la feuille

La feuille a peur du vent

Et le vent du nuage

Le temps n’est apparemment plus favorable à l’apparition des grands poètes persans, et il faut souvent regarder en arrière, en direction d’un passé lointain, pour trouver l’exemple d’un poète ayant marqué l’histoire de notre poésie. Il est difficile d’en croire ses oreilles lorsque l’on entend le nom d’une éminente personnalité littéraire d’aujourd’hui, et qui rivalisa un jour avec des grands noms comme Akhavân, Sohrâb ou Shâmlou. Cependant, à en croire nos oreilles, il existe et vit toujours, continuant inlassablement d’arroser l’arbre ancien de la littérature persane. Mohammad-Reza Shafiee Kadkani est aussi cet arbre mystérieux, évoqué dans le poème ci-dessus, qui trouve de solides racines dans les temps glorieux de la poésie persane classique, et ses branches vertes respirent dans l’air frais des temps modernes.

Shafiee Kadkani

Il est né en 1940 à Kadkan, un village aux environs de Nishâpour, berceau des remarquables poètes tels que Khayâm ou Attâr. La ville et surtout les chemins bordant les jardins font à ce titre l’objet d’un grand nombre de textes du poète, nostalgique du passé lumineux de la Perse qui n’avait pas encore connu l’assaut et l’atrocité des Tatars. Des chemins bordant les jardins de Nishâpour constituent un recueil considérable dans ce domaine. De ce point de vue, Kadkani se révèle un poète rebelle, qui se veut gardien d’une civilisation ancienne, celle de la Perse antique. Pourtant, ce qui caractérise l’œuvre du poète, c’est son grand enthousiasme à toujours partir et à toujours être en devenir. Dans cette même optique, il intitula “D’être et de chanter” l’un de ses recueils. Cet aspect des écrits de Kadkani s’exprime notamment au travers des figures métaphoriques de la brise, du vent et de la pluie ; cette dernière est appelée à tomber incessamment en vue de laver le visage toujours sale de la terre.

Il faut également noter que le poète a donné naissance à des œuvres importantes dans le domaine de la théorie poétique et littéraire. Entre autre, “La musique de la poésie” constitue un ouvrage de référence pour les universitaires. Kadkani est actuellement professeur émérite de littérature persane et arabe à l’université de Téhéran. Ses cours accueillent chaque jour des dizaines d’intéressés, lesquels ne cessent de parler de la vaste culture littéraire ainsi que de la générosité du maître à transmettre son savoir aux générations suivantes, lesquelles sont supposées assumer la surveillance de ce riche patrimoine qu’est la poésie persane.


Ces nuits-ci

Dans lesquelles

Est étranger à l’image tout miroir

Ces nuits-ci

Dans lesquelles

Toute source cache et son chant et son mystère

Ces nuits noires

C’est toi seul qui chantes

Si, veillant comme la mer

C’est toi seul qui vois

Peut-être

Bien qu’il fasse nuit

Et que je ne trouve nul chemin

En aucun sens de l’horizon

Où je puisse crier

Je rechante cette chanson

Par des lèvres de cent espoirs

Qu’elle passe par une fissure

Un jour peut-être une colombe

Reprendra-t-elle cette chanson

Et alors, souriant de mille lèvres

Elle s’envolera vers tous les horizons

Coup de main

Si tu écris une lettre

A la pluie

Ecris-lui également mon bonjour !

Du sein du chagrin et des brumes.

Si tu écris une lettre au soleil

Ecris-lui également mon bonjour !

Du sein de cette nuit gelée et désespérée

Si tu écris une lettre à la mer

Ecris-lui également mon bonjour !

Mon bonjour

Accompagné de " si ", d’" est-ce que ", d’ " ah "

Aux oiseaux de champs, quêtant

Ecris également mon bonjour !

Si tu écris une lettre

Ce bonjour brûlant de voler

A travers la fissure des espoirs.


La cloche

Dis à la pluie

Qu’elle tombe cette nuit

Qu’elle lave la poussière

Du visage des chemins

Bordant les jardins

Que l’aurore recherche

Dans sa transparence

Notre présence

En quête d’endroits sans bords

D’où l’on ne saurait le retour

Toi et moi

En éveil nous sommes

Absorbés dans la rencontre

Plus légers que le clair de lune

Plus légers que le sommeil

Nous flottons sur la rivière

De chaleur et de lumière

Nous sommes un chant sur les lèvres du vent

Toute honte dans le corps

Tous gais dans notre demeure

Cherchant de tout cœur

L’âme vive de l’aurore nous sommes

Je ne sais guère

Dans ce loin lointain

Si c’est la brise

Provoquée par l’aile d’un oiseau

Ou le message d’un astre

Appelant

Vers ces pays lointains

Tous nos êtres et nos non êtres

Et qui fait parvenir

Aux oreilles des horizons

L’écho de notre ferveur, de notre chant

Que de vers cette nuit

Ecrits par les mots dénudés

Sur la terre et l’épine et la pierre !

Y aurait-t-il de chemin mieux que la liberté ?

Quelle délicieuse nuit, débordante de gaieté !

Dans cette nuit trouvant

Les pieds enfoncés dans le bourdon

Où l’étoile est lourde, aux pieds enchaînés

Où l’horizon tremble dans un nuage sanglant

Tu sais bien

Oui tu sais très bien

Que je m’ennuie là

Dans cette étroitesse

Dis à la pluie

Qu’elle tombe cette nuit

Qu’elle lave la poussière

Du visage des chemins

Bordant les jardins

Que l’aurore recherche

Dans sa transparence

Notre présence !


Bon voyage !

- Où pars-tu si hâtivement ?

Demanda l’astragale à la brise.

- Je m’ennuie beaucoup là,

N’as-tu pas envie de fuir la poussière de ces déserts ?

- Je brûle de partir, pourtant que puis-je faire ?

J’ai les pieds et mains liés.

- Où pars-tu si hâtivement ?

- Là où je pourrai trouver un abri autre que cet endroit.

- Bon voyage ! Mais je te ferai jurer par notre Amitié

Et par Dieu

Quand tu traverseras saine et sauve ce désert de terreur

Transmets mon bonjour à la pluie et aux fleurs !


Le chant

Par delà la frontière du doute et de la croyance

Je viens

Las et lié

Je viens

Couleur de l’arbre

Contre l’attaque du Dey

Je résiste

Je résiste jusqu’au printemps

Silence et attente je suis

Corps et âme

Pour chanter demain

Le plus vert des chants

Dans la vive joie de ton baiser.


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