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Le 22 septembre 1980, quelques mois à peine après la proclamation de la République Islamique en Iran, les Téhéranais présents à l’aéroport international de Mehrabad voient soudain leur journée se transformer en cauchemar. A une heure et demie de l’après-midi, surgis de nulle part, des avions de chasse irakiens bombardent l’aéroport et tous les centres stratégiques du pays sous les yeux terrifiés de la population désorientée.
A cette époque, il y avait déjà plusieurs mois que Saddam Hussein, chef du régime irakien, avait remis en question les accords d’Alger de 1975 qui précisaient le tracé de la frontière irano irakienne au niveau du fleuve Arvand (appelé Chatt-el-Arab par les Arabes). D’après ce traité, le milieu de l’Arvand était la frontière naturelle séparant les deux pays.
Depuis plusieurs années - pour ne pas dire plusieurs siècles -, un conflit latent existait entre Perses et Arabes ou Ottomans au sujet de cette frontière. Seulement, avant la Révolution Islamique, le Chah d’Iran, couronné gendarme du Moyen-Orient par les Américains, était bien trop protégé par ces derniers pour que Saddam Hussein puisse révéler ses ambitions belliqueuses et expansionnistes.
Cet état de choses change après la proclamation de la République islamique en Iran. Dans le contexte de la Guerre Froide, les Iraniens rejettent à la fois le bloc de l’Ouest et de l’Est, et préfèrent l’indépendance et la liberté dans les cadres d’une république islamique. Les Américains et Occidentaux cherchent quant à eux un moyen de renverser ce nouveau régime et de remettre en place un gouvernement qui leur soit plus favorable. Ils ne voient donc pas d’un mauvais œil les ambitions irakiennes.
D’immenses prêts sont donc faits à l’Irak et d’énormes masses d’armes franchissent les frontières irakiennes en vue d’être utilisées contre les Iraniens.
Après la Révolution islamique et surtout après le brutal arrêt des relations irano-américaines, l’armée irakienne qui avait commencé dès mars 1980 à attenter des raids sur les territoires frontaliers, durcit le ton et augmente l’intensité de ses attaques. En septembre 1980, l’armée irakienne lance des attaques de peu d’envergure et occupe plusieurs kilomètres de territoire iranien. Le dictateur irakien avait ordonné cette occupation pour mesurer la capacité de riposte iranienne et évaluer les réactions internationales. L’armée iranienne ne peut riposter. De même, l’opinion internationale accueille avec indifférence la nouvelle de cette tension territoriale.
C’est finalement le 31 shahrivar 1359 (22 septembre 1980) que débute la massive attaque irakienne contre l’Iran, une attaque qui se solde par la plus longue guerre du XXème siècle ; et fut en même temps un épisode très marquant de la longue histoire de l’Iran qui se caractérisa par une valorisation de qualités humaines telles que le sacrifice, le courage, l’héroïsme ainsi que par un retour à une certaine forme de spiritualité.
La guerre commence officiellement le 22 septembre 1980 à 11h00 du matin, à la suite du coup tiré par un char T-72 de la caserne de Baaghoobeh vers les lignes iraniennes. Après cela, des attaques aériennes massives débutent du côté irakien et de nombreux aéroports et centres stratégiques iraniens sont bombardés. D’autre part, l’invasion terrestre débute avec de longs pilonnages d’artillerie pour " préparer le terrain ", tuant en quelques heures des centaines de civils.
L’aviation irakienne participe également à cette " préparation ". Les bombardiers irakiens prennent pour cibles les points stratégiquement importants : bases militaires, aéroports, usines, raffineries, mais également les villes frontalières de Khorramchahr, Abâdân et Dezful. Ce geste des Irakiens est d’abord et surtout une manœuvre de la guerre psychologique, censée démoraliser l’adversaire. C’est également dans cette optique que l’invasion terrestre de l’Iran ne débute qu’après de violents tirs de barrage.
L’offensive terrestre irakienne porte sur plusieurs kilomètres. La troisième division blindée se lance sur Abâdân et Khorramshahr. Elle est soutenue par la 5ème division blindée, la 33ème division des Forces spéciales ainsi que la 11ème division d’infanterie irakienne, positionnée de l’autre coté de l’Arvand, qui bombarde intensément ces deux villes. L’armée irakienne dispose également d’un soutien aérien puissant et son artillerie pilonne massivement Abâdân et Khorramshahr. Cependant, l’offensive irakienne échoue, violemment repoussée par les soldats et volontaires iraniens.
Le régime baassiste avait choisi comme stratégie d’invasion " la guerre éclair " et plus précisément une "offensive de trois jours ", qui, dans l’optique irakienne, allait permettre à son armée d’atteindre la capitale iranienne et de renverser le gouvernement de la République islamique. Mais la vigilance de l’imam Khomeiny contribue à déjouer ce plan. Le 22 septembre 1980, lors d’un meeting, il aborde très calmement le thème de l’attaque irakienne en rassurant la nation désorientée et démoralisée.
Deux jours plus tard, il s’adresse aux Forces Armées en ces termes :
" J’attends de toutes nos forces armées qu’elles coopèrent ensemble et qu’elles vainquent l’ennemi. "
Ces paroles contribuent à redonner une certaine confiance aux Iraniens qui se tiennent dès lors prêts à défendre leur territoire.
L’armée irakienne réussit à occuper plusieurs centaines de kilomètres carrés de territoire iranien dès la fin de la première semaine du conflit. Cependant, dans certaines régions, la résistance acharnée de la population et la guérilla urbaine l’empêchent d’atteindre ses objectifs. Elle parvient simplement à occuper de petites villes comme Ghassre Shirin, Naft Shahr, Soumar, Mehrân, Dehlorân, Moussiân et Bostân. Les grandes villes comme Abâdân, Ahwâz et Khorramshahr restent longtemps imprenables. La cause essentielle de l’incapacité de l’armée irakienne à atteindre, même de loin, les objectifs prévus en Iran est la vigueur de la résistance nationale et locale.
Cette résistance est un facteur décisif tout au long de la guerre, étant donné qu’elle n’avait pas été prévue par les Irakiens. Pourtant, c’est elle, encadrée par le Sepâh ou le Bassij, qui casse net la violence de la première vague de l’offensive irakienne et joue un rôle déterminant aux côtés de l’armée régulière, qu’elle épaule et seconde tout au long des huit années de guerre qui suivent. Ainsi, la stratégie irakienne ne parvient pas à atteindre les objectifs prévus sur les fronts ouest et sud.
Par conséquent, à la fin de la première semaine de guerre, l’état-major irakien marque un revirement stratégique et au lieu de viser une guerre " courte et puissante ", opte pour une guerre " longue et épuisante ". Cela convient d’ailleurs parfaitement aux grandes puissances qui veulent l’affaiblissement des deux pays belligérants.
Dans le sud également, les prétentions irakiennes qui vont jusqu’à l’annexion de la province du Khouzestân (appelée par Saddam Hussein l’Arabistân), diminuent largement au point que l’armée irakienne se contenterait d’occuper les villes encerclées de Khorramshahr et d’Abâdân et de conserver les territoires déjà pris.
A partir de la deuxième semaine de guerre, l’Irak intensifie ses attaques contre Khorramshahr et propose en même temps un cessez-le-feu à l’Iran, ce en vue de pouvoir imposer ses ambitions territoriales concernant l’Arvand et de conserver les territoires déjà occupés.
L’absence de renseignements exacts et précis concernant les plans et les objectifs des Irakiens a de très mauvaises répercussions au niveau de l’organisation militaire et de l’envoi des troupes défensives dans les zones attaquées. Ainsi, il faut attendre le quinzième jour de l’offensive irakienne pour que toutes les divisions iraniennes de défense prennent position. Après cela, on s’attend logiquement à ce que des ripostes réfléchies et stratégiques aient lieu, ce qui n’est pas le cas. Ce n’est que la résistance de la population civile et des membres épars du Sepâh qui joue un rôle non négligeable dans le déroulement du conflit pendant ces premières semaines. En résumé, on peut dire que la riposte est loin d’être aussi puissante qu’elle aurait dû et pu.
L’absence de réaction immédiate des autorités iraniennes face à l’attaque irakienne a une raison politique, raison qui a d’ailleurs donné lieu à plusieurs frictions entre le gouvernement et les volontés nationales.
Ce décalage et ces frictions ont deux conséquences désastreuses : un fiasco militaire total durant les premières semaines du conflit, et un désordre politique interne croissant. Les défaites qu’essuient les quatre opérations défensives iraniennes commandées par le président Banisadr pendant les six premiers mois de la guerre sont les résultats directs de ces dissensions, surtout que la stratégie dominante au niveau du Quartier Général iranien est de " gagner du temps même si on perd du terrain " - stratégie peu susceptible d’arrêter les Irakiens de quelque manière que ce soit.
L’un des plus désastreux résultats de cette tactique du QG est que l’Irak réussit finalement, en moins de deux mois, à occuper la plupart des villes frontalières et même la plus importante d’entre elles, Khorramshahr, qui tombe au bout de quarante jours de combats de rue acharnés.
Le 11 juin 1981, l’imam Khomeiny démet Banisadr de sa fonction de commandant en chef des Forces Armées. Le lendemain, le Parlement approuve cette décision et la guerre entre dans une seconde phase, c’est-à-dire celle des grandes victoires iraniennes.
A la suite du limogeage de Banisadr, les choses changent, avec, dès le lendemain, le lancement de la première grande offensive iranienne victorieuse.
Cette offensive est la première opération conjointe de l’armée et du Sepâh et ouvre la voie à une collaboration fructueuse entre ces deux organes. Elle est suivie par une autre grande offensive conjointe, l’opération "Sâmen-ol-Aemeh" qui débute fin septembre 81 et permet aux Iraniens de briser en 48 heures l’encerclement d’Abadan et de libérer les deux axes routiers de Mâhshahr-Abâdân et d’Ahwâz-Abâdân.
Cette opération unique marque un tournant décisif dans la guerre et inflige aux Irakiens la première de leurs grandes défaites.
Les victoires successives obtenues par les opérations qui suivent cette offensive augmentent la confiance des Iraniens et restaurent une certaine stabilité politique et économique qui manquait jusqu’alors. De plus, suite à elles, une nette diminution des activités terroristes est à remarquer à l’intérieur du pays.
En mars 82, une autre offensive de grande envergure, l’opération " Fath-ol-Mobin " est lancée. Cette opération permet pour la première fois la formation et l’organisation de régiments d’artillerie et de blindés grâce au matériel irakien tombé aux mains des Iraniens.
Après ses défaites successives, l’Irak, s’attendant à une vaste offensive iranienne destinée à libérer Khorramshahr, réitère son offre de cessez-le-feu. Mais il est trop tard. L’offensive iranienne de " Beyt-ol-Moghadass ", mise à exécution en trois étapes, permet, en juin 1982, la libération de Khorramshahr, la ville "martyre".
Les Iraniens peuvent dès lors reconquérir tous les territoires du sud.
La première étape de la guerre prend fin alors que la plupart des troubles nés de la révolution ont disparu grâce à une cohésion et solidarité nationale totale et que les forces armées ont retrouvé une structure solide.
Deux semaines après la libération de Khorramshahr, Saddam Hussein, comprenant qu’il ne pourrait pas conquérir l’Iran, ordonne à ses troupes de regagner l’Irak et demande de nouveau un cessez-le-feu. Au même moment, Israël attaque le Liban. Cette invasion donne au dictateur irakien l’occasion de se concilier les faveurs des dirigeants arabes en tentant de présenter l’Iran comme allié d’Israël.
L’Iran souhaite également voir la fin des hostilités, mais exige trois choses : la restitution de tous les territoires iraniens occupés par l’Irak, la punition de l’agresseur et le versement de dommages-intérêts équivalents.
Parmi ces conditions, celle qui exige la punition de l’agresseur n’est pas acceptable pour la communauté internationale.
En considération de cela, les Iraniens lancent l’opération punitive " Ramadan" en 1982. Elle n’est pas victorieuse mais permet néanmoins de montrer la fermeté iranienne quant à l’exigence d’une réaction internationale punitive face à l’Irak.
A cette époque, l’Irak a déjà marqué un revirement militaire stratégique et à consolidé ses défenses contre les forces iraniennes. L’un de ses atouts était la qualité de son matériel de renseignement fourni par les Occidentaux. A ce sujet, il est utile de préciser que les Etats-Unis mettaient gratuitement certains renseignements stratégiques concernant l’Iran à la disposition de l’Irak.
En réponse à cette situation, le Sepâh et l’Armée iranienne planifient de concert une opération secrète. Nommée "Khaybar3 ", elle permet la conquête des îles Majnoun. Cette opération est, après la libération de Khorramshahr, la seconde grande victoire iranienne, tant sur le plan militaire, que politique et économique. Les forces iraniennes évacuent cette région après " Khaybar 3 " et le silence remplace le bruit des canons pour un an.
A la fin de l’année 84, l’offensive iranienne " Badr " est lancée avec succès, suivie en janvier 86 d’une autre opération de grande envergure, " Val Fajr 8 " qui se solde par la prise du port irakien de Fav. L’Iran a désormais une frontière terrestre avec le Koweït. Cette défaite est si importante pour les Irakiens que Saddam, internationalement soutenu, rassemble de nouveau toutes ses forces militaires, contrattaquant 70 jours durant pour tenter de reprendre ce port. Peine perdue, malgré son recours massif aux armes chimiques.
Ainsi, la première période de la seconde phase de la guerre est marquée par l’incapacité des Irakiens à riposter à l’Iran. Ce pays décide donc de porter ses coups sur le front ouest, moins défendu. Il lance donc une offensive de vaste envergure qui se solde par la prise de la ville iranienne de Mehrân en mai 86. Mais la riposte iranienne est immédiate et les villes de Mehrân et de Hajomrân sont reprises en moins de cinq mois. Les contre-offensives redonnent un nouveau souffle aux Iraniens qui lancent plusieurs opérations successives, Karbala 3,4 et 5, durant l’hiver de la même année. Le résultat de ces offensives est la prise de Shalamcheh, le plus important bastion irakien du front ouest. Les offensives iraniennes Karbala 7, Nasr 4, Nasr 7 s’ensuivent et finalement, la résolution 598 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies est votée en juin 1987 et tout de suite après, les forces étrangères pénètrent officiellement dans le Golfe Persique. Cela ne contraint pas l’Iran, qui finit par prendre la ville de Halabja début 1988, ville venant de subir de la part des Irakiens la plus grande attaque chimique de l’Histoire.
La deuxième phase de la seconde période de la guerre dure environ un an et demi. Toutes les offensives irakiennes sont maîtrisées avec la dernière énergie et malgré la très forte pression internationale, l’Iran reste intransigeant quant à ses prises de position politico-militaires. L’Irak, militairement remis à flots par l’aide internationale, réussit à reprendre Fav et les autres territoires irakiens et repositionne ses forces le long de la frontière.
Au même moment, les navires de guerre américains, patrouillant dans le Golfe Persique attaquent, en dépit de la législation internationale, les plates-formes pétrolières iraniennes et bloquent le trafic des navires civils iraniens.
Finalement, le 18 juillet 1988, l’Iran accepte avec réserve la résolution 598 des Nations-Unies qui met fin aux hostilités. Comme le dit l’imam Khomeiny " Cette paix est pour moi plus amère qu’une coupe de cigüe. "
Malgré ou à cause de cette acceptation, l’armée irakienne repasse de nouveau la frontière et prépare une nouvelle opération en vue de prendre Ahwâz et Khorramshahr. L’Iran, saigné à blanc par huit années de guerre et de destruction meurtrière, se montre pourtant à la hauteur et résiste de nouveau. Les Irakiens sont repoussés en deçà de la frontière en moins de cinq jours.
Deux semaines plus tard, le 15 août 1990, Saddam Hussein accepte de revenir aux accords d’Alger de 1975 et quitte les territoires occupés. Le traité de paix est finalement signé le 20 août 1990, selon les nouvelles conditions iraniennes, c’est-à-dire le retour à un statut quo ante.