N° 12, novembre 2006

Les fêtes anciennes de l’automne


Nassine Khalili
Traduit par

Babak Ershadi


Dans les traditions de l’Iran antique, chaque saison de l’année était ponctuée par une série de fêtes chargées en éléments mythiques et étroitement liées aux saisons, à la nature, ainsi qu’aux croyances religieuses. Nous évoquons ainsi les origines de ces activités festives et les trois grandes fêtes de l’automne : Mehrgan, Abangan et Azargan.

Les origines des fêtes anciennes des Iraniens remontent à de nombreux siècles et puisent leurs sources dans la mythologie. Chacune de ces fêtes reflète symboliquement une partie des pensées et des croyances des Iraniens antiques, de sorte qu’elles peuvent nous renseigner sur l’identité culturelle de nos ancêtres. Représentée symboliquement à travers les us et coutumes ou les rites festifs, cette identité antique qui subsiste jusqu’à nos jours - de façon quelque peu transformée - nous instruit sur la relation de l’homme antique à son environnement et le regard qu’il portait sur les forces de la nature. Devenues "nationales", ces fêtes furent célébrées lors de diverses occasions pour commémorer les "événements" de la mythologie ancienne. Célébrée à une date précise, accompagnée de rites et de coutumes symboliques, chaque fête avait une identité et une spécificité propre. On préparait souvent une table couverte d’une nappe sur laquelle étaient placés des dons de la nature pour que les gens se souviennent de la bonté et de la grâce de Dieu. Aussi cette gratitude envers le Créateur devenait-elle le motif principal de la fête et de la jubilation. En effet, la joie était considérée, dans la conscience de l’Antiquité, comme un sentiment précieux et profond. La vie des hommes antiques était ainsi ponctuée de ces moments "joyeux" : début d’une nouvelle saison, saison de récolte, arrivée du printemps, gratitude et reconnaissance envers mère ou terre, etc. étaient des occasions propices à la fête.

L’ensemble de ces activités festives était en partie constitué de rites zoroastriens (il faut cependant souligner que certaines de ces fêtes étaient marquées par le sacrifice de bœufs ou la consommation de "Hom", liqueur à base végétale. Cela portait préjudice aux agriculteurs et aux éleveurs ; c’est la raison pour laquelle le prophète de l’Iran antique, Zoroastre, ne les recommandait guère). Dans le calendrier zoroastrien, plusieurs fêtes sont célébrées en des occasions différentes. Ces fêtes religieuses conviaient les gens au plaisir et à la joie de vivre pour leur protéger l’âme et l’esprit contre le prosaïsme et la platitude d’une vie monotone, ainsi que pour leur donner la force et l’énergie de poursuivre leur difficile labeur quotidien. En outre, ces fêtes renforçaient les liens d’amitié et de solidarité parmi les gens ; et sur une échelle plus vaste, la célébration de ces fêtes consolidaient l’identité collective et le sentiment d’appartenir à la "nation".

Concernant ce "réseau" festif et ses liens avec les éléments de la nature, Abdolhossein Zarrinkoub écrit : "Puisque la plupart des dieux aryens entretenaient des liens étroits avec les phénomènes de la nature, leur culte était également lié aux évolutions de ces phénomènes naturels : le jour et la nuit, le froid et le chaud, le printemps et l’été, etc. Ceci est à l’origine de l’apparition progressive d’un calendrier commun pour tous, fondé essentiellement sur les fêtes et les cultes religieux. Les noms des mois de ce calendrier iranien tels qu’ils sont inscrits dans les épigraphes achéménides nous révèlent que pour les Aryens, il existait des liens profonds entre les activités agricoles d’une part, et les cérémonies religieuses de l’autre, et que l’ensemble de ces phénomènes jouait un rôle déterminant dans la vie de la communauté. Selon des indices archéologiques, et en ce qui concernait le choix de la date exacte de chaque fête et de chaque cérémonie, les habitants des régions orientales de l’Iran accordaient une attention toute particulière au rythme incessant des saisons et à la succession des phénomènes climatiques, notamment après leur sédentarisation et la mise en place de cultures." [1] Selon Zarrinkoub, "Les fêtes étaient nombreuses (…) et leur diversité témoignait de l’esprit de joie et de l’optimisme incroyable qui caractérisaient la religion zoroastrienne. D’après des récits anciens, même pour lutter contre les animaux dits nuisibles, il existait une sorte de cérémonie religieuse."  [2]

Mehrgan

Après Nowrouz (1er Farvardine/21 mars), grande fête de l’arrivée du printemps, Mehrgan (16 Mehr/8 octobre) constitue la plus grande fête de l’Iran antique. Mehrgan réunit en son sein tout un nombre d’éléments mythiques et nationaux, ce qui explique en partie son prestige et sa valeur aux yeux des Iraniens. Cette fête est célébrée chaque année du 16 au 21 Mehr - 7ème mois du calendrier iranien - (du 8 au 13 octobre). De nos jours, Mehrgan a perdu de son importance par rapport à Nowrouz, devenu jour de l’an et fête nationale, et les Zoroastriens sont les seuls à célébrer Mehrgan aussi majestueusement que lors des époques passées.

Selon la tradition, Machieh et Machianeh ("Adam et Eve" dans la religion zoroastrienne) sont nés le jour de Mehrgan. D’après les récits, Kaveh le Forgeron, célèbre héros de la mythologie iranienne, lança le même jour sa révolte épique contre Zahak le Tyran. Dans l’Iran antique, les fêtes étaient des symboles de victoire et célébraient la joie qui en résultait. Mehrgan, qui durait cinq jours, ne faisait ainsi pas exception à la règle. Dans la mythologie iranienne, Mehrgan est le jour où l’esprit fut soufflé dans le corps de l’homme. Les récits anciens nous relatent que cette fête était essentiellement célébrée par les rois. Par ailleurs, nombreux sont des iranologues qui considèrent Mehrgan comme étant un culte religieux et de gratitude envers Ahura Mazda (du vieux persan : Aura-Mazda, "Seigneur-Sagesse") pour les bienfaits dont il a gratifié les humains. Certains historiens estiment, non sans raison, que Mehrgan fut également une fête d’amitié et de fraternité, le mot "mehr" signifiant "amour et tendresse".

Selon les traditions anciennes, Mehrgan avait également une importance décisive pour le pouvoir royal et le "mérite octroyé au roi par Dieu" (farr-e izâdî). Lors de cette fête, le roi portait une couronne ronde comme le soleil. Il s’habillait de pourpre et le grand mage de la cour lui offrait un grand plat chargé de citrons, de sucre, de nénuphars, de pommes, de grenades et de raisins. Les gens s’offraient des fleurs et du parfum, et les Perses avaient de droit d’offrir des cadeaux au roi. Si la valeur de ces cadeaux dépassait les 10000 drachmes, le nom du donateur était enregistré ; et si un jour ce dernier avait besoin d’argent, la cour lui payait le double de ses dons au roi.

A l’époque de la dynastie des Sassanides, les poètes et les troubadours devaient composer chaque année cinq nouveaux chants pour les cinq jours de la fête. Les soldats recevaient en cadeau de nouveaux uniformes d’automne et d’hiver. Au premier jour de la fête, les Zoroastriens se rendaient au temple pour prier, et les fêtes prenaient fin avec des festins abondants et délicieux, accompagnés de chants et de musique.

De nos jours, la fête de Mehrgan est célébrée majestueusement dans les villages zoroastriens où les activités festives sont souvent accompagnées de musique. Au 5ème jour des fêtes ("Ram Rouz" dans le calendrier zoroastrien), des habitants du village et en particulier les jeunes se rassemblent au temple du feu ou autour d’une source ou d’un puits, pour ensuite faire le tour du village tandis que des musiciens suivent le cortège. Le groupe fait du porte-à-porte et devant chaque maison, il est accueilli joyeusement par les hôtes. La maîtresse de maison invite les convives à entrer et verse de l’eau de rose dans leurs mains. Elle dispose ensuite un miroir devant les invités et leur apporte des friandises. Puis, l’un des musiciens appelle à haute voix le nom des personnes décédées qui vivaient autrefois dans cette maison, et tout le monde prie pour eux. C’est à ce moment que la visite prend fin et que le cortège quitte ses hôtes pour se rendre chez les voisins.

Abangan

La fête d’Abangan est célébrée le 10 Aban (1er novembre). Cette fête trouve sa source, comme c’est le cas pour d’autres fêtes de l’Antiquité, dans la mythologie iranienne : à l’époque des guerres successives et incessantes entre l’Iran et le Touran (ennemi juré des Iraniens, dans la mythologie ancienne), le roi Afrassiab fit détruire les puits et les canaux souterrains d’eau ("Kariz"). Après la guerre, le prince iranien Zou, fils du roi Tahmasb, commença la reconstruction des puits et des canaux souterrains. Les Iraniens fêtèrent le retour de l’eau dans leurs villes et leurs villages. Abangan célèbre ainsi l’eau pure et limpide, ainsi que les anges gardiens des puits et des sources. Selon un autre récit, à une époque immémoriale, une sécheresse dure et impitoyable ravagea le pays des Aryens. Il ne plut point pendant huit longues années, et enfin un 10 Aban, la sécheresse prit fin et la pluie tomba à verse. Pour célébrer cette fête, les Zoroastriens se rendent au temple du feu pour prier, pour se rassembler ensuite autour des sources, des puits ou des canaux, et ce afin de rendre hommage à Nahid, ange gardien des eaux. Le mage récite des passages de l’Avesta (Livre saint des Zoroastriens) consacrés aux louanges de l’eau, et invoque Ahura Mazda (Seigneur-Sagesse) pour que l’eau demeure abondante. Selon la tradition, s’il pleut en ce jour, Abangan "appartiendra" aux hommes et ils se baigneront dans l’eau. Mais s’il ne pleut pas, la fête est aux femmes qui en profiteront pour se baigner.

Azargan

Si Abangan est la fête de l’eau, c’est au feu que l’on rend hommage au cours de la fête d’Azargan, célébrée le 9 Azar (30 novembre), une trentaine de jour après Abangan. La mythologie iranienne fait d’Azargan la fête du feu, le mot "azar" signifiant "feu" en persan. Pour célébrer cette fête, les Zoroastriens se rendent au temple et font des offrandes à l’ange gardien des feux et des flammes. Selon la tradition, pour se préparer aux cérémonies de cette fête, il faut se purifier le corps, ainsi que se couper les ongles et les cheveux.

Notes

[1Zarrinekoub, Abdolhossein, L’Histoire des Iraniens, L’Iran préislamique, éd. Amirkabir, p. 26.

[2Ibid., p. 429.


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