N° 12, novembre 2006

La photographie à l’époque du mouvement constitutionnel


son rôle politique et social

Maryam Devolder


La photographie naquit peu après la Révolution industrielle en Europe et fut à l’origine d’expériences multiples. Cette invention constitue d’ailleurs en elle-même une véritable révolution qui bouleversa les rapports politiques et sociaux en offrant la possibilité de reproduire une image à l’infini. A l’époque, le travail mécanisé effectué depuis des années par l’imprimerie ne parvenait plus à répondre aux nouveaux besoins de la société industrielle. Le réalisme qui caractérisait l’art occidental fut une des principales raisons qui favorisèrent l’invention d’un moyen de montrer le monde dans toute sa réalité "visuelle".

Ainsi, les transformations sociales et économiques ainsi que l’évolution de la pensée occidentale contribuèrent à la naissance de la photographie, dont l’invention ne s’est point faite par hasard.

En effet, les raisons sont nombreuses et on peut entre autre évoquer l’influence croissante de la bourgeoisie et le progrès scientifique. La recherche d’une définition précise du monde qui animait cette classe sociale faisait partie de la nature même de la photo, en tant que reflet fidèle d’une réalité.

Dans les années qui suivirent l’invention de la photographie, la montée du Réalisme a participé à la généralisation de ce phénomène, entraînant avec lui le déclin du dessin et du croquis, dont la charge artistique et sociale fut reprise par la photographie. Les clichés du photographe étaient des images réelles en accord avec l’image que se font les êtres humains d’eux-mêmes et étaient considérés comme le meilleur moyen pour se souvenir des événements du passé. Ainsi, la photographie, qui était une mystérieuse nouveauté au début du XIXe siècle, réussit à s’imposer comme unique moyen d’information lors des grands événements sociaux.

La prise des photographies les plus inimaginables et incroyables, immortalisant des sujets jusqu’alors inconnus, devint possible avec un consensus inconscient quant à l’infaillibilité de ce nouvel art.

Une des premières utilités de la photographie fut de faire connaître les pays lointains avec leur culture et leurs merveilles. Le pouvoir de la photographie allait en s’accroissant et devenait le moyen idéal de transmission de l’information dans toutes les sociétés, rendant cet art de plus en plus populaire grâce à cette crédibilité qui lui était conférée ; rôle bien connu au sein des instances du pouvoir et chez les photographes qui fut à l’origine d’une relation particulière entre les deux corporations et aboutit souvent à la censure de l’activité photographique par le pouvoir politique.

La photographie qui, à l’époque qâdjâre, avait été très encouragée par les conseillers du roi Nâser-e-Dîn Châh, les courtisans et les riches, s’étendit à toutes les régions de l’Iran, et ce jusqu’à l’apparition du mouvement constitutionnel. Son rôle informatif, qui s’était développé au début du règne de Nâser-e-Dîn Châh dans le sens des intérêts du régime, servit à son tour de tremplin aux activités des libéraux du mouvement constitutionnel.

A cette époque, la photographie, outre son rôle imformatif, joua aussi un rôle d’incitation à la révolte populaire et devint un moyen de propagande du pouvoir. Le mécontentement et les mouvements intellectuels devinrent de plus en plus importants à l’époque de Mozafar-e-Dîn Châh, puis durant le règne de Mohamad Ali Châh. Cette dynamique se perpétua jusqu’au grand mouvement de réforme constitutionnelle. Dans ce tourbillon social et politique, la photographie joua un rôle de premier plan, et notamment du point de vue de l’information et de l’incitation à la révolte grâce à la valeur de documents qui fut attribuée à certaines d’entre elles. La célèbre photographie représentant des commerçants de Téhéran se tenant sur les escaliers de la maison de Hâj Amin-ol-Zarb et entourés par des personnalités de confiance tenant à la main le décret constitutionnel signé par Mozafar-e-Dîn Châh, servit à renforcer le sentiment de victoire dans l’opinion publique.

La photographie des leaders, des héros du mouvement constitutionnel, des religieux chiites, des manifestations populaires, des conflits entres les partisans de la libération et les forces du gouvernement dans les grandes villes d’Iran et des victimes des mouvements nationalistes, étaient des sujets prisés par les photographes révolutionnaires.

Les progrès du développement photographique et l’imprimerie facilitèrent la diffusion de cartes postales très bon marché qui remplacèrent les photos des posters politiques. Les photos datant de cette époque transmettaient un message politique très simple. On peut notamment citer celle des manifestants autour de l’ambassade d’Angleterre, qui furent montrées au roi, Mohamad Ali Châh, lui donnant ainsi la possibilité de comprendre l’ampleur du mouvement et le poussant à réprimer avec plus de violence les mouvements de libération.

A l’époque de la répression du mouvement constitutionnel et de l’arrestation de ses leaders, la censure photographique connut une recrudescence journalière.

Le pouvoir, quant à lui, utilisait la photographie pour montrer et souvent exagérer ses victoires provisoires.

L’évolution de la photographie à l’aube du mouvement constitutionnel et des cartes postales politiques, très en vogue à l’époque, entraînèrent des changements dans le choix des sujets ainsi que l’apparition du mouvement journalistique dans quelques quotidiens de l’époque.

C’est durant la même période que la photographie fut utilisée pour soutenir et développer les mouvements politiques. Les photographes envoyaient leurs photos dans tout le pays pour faire connaître les victoires du mouvement constitutionnel, ce qui explique qu’il existe aujourd’hui un nombre considérable de clichés mettant en scène la lutte du peuple iranien lors du mouvement constitutionnel.

Les cartes postales politiques et sociales connurent un grand succès avec le portrait de héros, politiciens, ou religieux qui organisaient le mouvement, ainsi qu’avec la diffusion des photos des manifestations, surtout après la victoire du mouvement constitutionnel.

L’autre grande mode du moment fut la photo de groupe. Ces photos, rassemblant des partisans de la libération, insistaient sur le sentiment d’unité et de fraternité, aspect qui n’apparaissait guère dans les photos d’avant le mouvement constitutionnel. Les tendances nationalistes et combatives de cette époque sont perceptibles au travers de la présence des armes et de l’aspect militariste des photos.

La valeur de document conférée aux photos prises à cette époque était parfois exagérée et dépassait quelquefois l’objet lui-même. Cette tendance, comme nous l’avons vu au travers de l’exemple de la photo des commerçants avec la déclaration du mouvement constitutionnel, atteint son apogée à cette époque. Le fait de présenter la photo du roi Mohamad Ali Châh à l’inauguration du parlement, à la place du roi, est assez révélateur de cette "confusion" souvent présente entre la réalité et le rôle symbolique de la photo.

En résumé, la relation entre le rôle politique de la photographie et le mouvement constitutionnel en Iran, les débuts du journalisme, le tirage des photos en grande quantité, la mode des cartes postales politiques, le portrait des chefs du mouvement constitutionnel, la mise en scène de photos à caractère nationaliste et guerrier ainsi que l’apparition de la censure de la part du pouvoir, sont caractéristiques de la photographie à cette époque.


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