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Golnar :
- Tu es d’où ?
Dja’far :
- De Téhéran. Veux-tu m’y accompagner ?
Golnar :
- A Téhéran ?!...On dit que Téhéran est une belle ville, mais que ses habitants ne sont pas aimables.
Dja’far :
- Evidemment, ils ne sont pas aussi gentils que toi…
Le petit dialogue ci-dessus appartient à "La fille Lore ", premier film parlant de l’histoire du cinéma iranien. Réalisé par Ardechir Irani en 1933, ce film est considéré par les cinéastes, comme la première grande mutation du cinéma iranien. Une copie de ce chef-d’œuvre reste heureusement à disposition dans un musée dédié aux artistes ainsi qu’aux cinéphiles. Parmi les musées de la capitale, " Le Musée du Cinéma " occupe une place à part, en particulier grâce à l’architecture même du bâtiment. Elégant, celui-ci est doté d’une façade finement décorée, unique en son genre. En fait, entre 1871 et 1885, le roi Mohammad Châh Qâdjâr fit bâtir un palais d’été dans l’un des beaux jardins de Chémiran. Il le nomma " Bâgh- é - Ferdos " (le jardin du paradis). Peut-être sa beauté évoquait-elle véritablement à ses yeux un recoin de paradis. Du moins, les mémoires, les récits de voyage et autres manuscrits signés de la main de grandes personnalités de l’époque vont-ils dans ce sens. En 1937, ce complexe a été restauré pour faire office d’école. Plusieurs propriétaires y ont vécu jusqu’à la Révolution. Il fut ensuite transformé en centre de formation cinématographique, puis, en 2002, ce lieu fameux devint l’actuel " Musée du Cinéma ".
Le 28 décembre 1895, les frères Louis et Auguste Lumière mettent en route le cinématographe dans le sous-sol du Grand Café de Paris. Cinq ans plus tard, le 13 avril 1900, le roi d’Iran Mozaffar al-din Châh Qâdjâr se rend à Paris. Se promenant à la foire internationale, il aperçoit soudain ce curieux appareil. Il ordonne à son photographe, le célèbre Mirzâ Ebrâhim Khân Akkâsbachi, de l’acheter. Dans son récit de voyage, le roi note :
" Vers le soir, nous avons ordonné à Akkâsbachi de préparer le cinémaphotographe (Il prononçait mal le mot cinématographe) pour que nous l’observions. Ils sont partis et vers le coucher du soleil, ils l’ont préparé. Nous nous sommes rendus près d’un hôtel. Nous nous sommes assis et ils ont obscurci la chambre. Nous avons tout deux regardé l’appareil. C’est une chose très originale. Il figure les lieux de manière tellement naturelle qu’il nous subjugue. Nous avons vu le plus grand nombre de perspectives et de bâtiments et la manière dont la pluie tombait, la Seine etc… à Paris. Et nous avons ordonné à Akkâsbachi d’acheter tous ces appareils".
Ainsi, selon les historiens, le 18 août 1900 constitua le point de départ de l’histoire du cinéma iranien. Trois décennies s’écoulèrent avant que la production et la projection publique de films longs métrages ne s’établissent véritablement en Iran. Les 2000 films déjà produits en Iran attestent ainsi l’encrage (il est vrai relatif) de ce mode d’expression artistique dans ce pays. Le rêve des amateurs et admirateurs du cinéma s’est finalement réalisé et les images, documents et chefs-d’œuvre, résultat d’un long siècle de production cinématographique, ont finalement trouvé, dans l’enceinte du Musée du Cinéma, un foyer digne de ce nom.
C’est dans la rue Lâlehzar que les premières pierres de ce rêve furent posées. De nombreux cinéastes viennent y déposer les souvenirs qu’ils ont accumulés durant leur parcours artistique ; des prix, des archives, des photos, des costumes, des documents, des scénarios… Rien n’est oublié. L’accueil du public a de quoi surprendre les fondateurs du musée. La mise en route du projet s’est d’ailleurs effectuée plus rapidement qu’ils ne le prévoyaient. Avec l’aide du Ministère de la Culture Islamique, de la fondation cinématographique Farabi et de quelques autres associations, des objets furent très tôt transférés vers le bâtiment actuel, au Bâgh-é-Ferdos, rue Valiasr. En 2002, le président Mohammad Khâtami inaugure officiellement le site qui prendra le nom de Musée du Cinéma. Une très belle salle de cinéma est ensuite venue compléter l’ensemble.
La première salle du musée évoque les prémisses de l’histoire du cinéma iranien : des affiches sélectionnées à partir des premiers films, des photos appartenant aux précurseurs du cinéma, des images de l’ensemble des salles de cinéma du vieux Téhéran, des clichés du vieux matériel et des équipements utilisés dans la production des films. Le document le plus ancien du musée date de Février 1899. Il contient la liste des objets ramenés par Mozaffar al-din Châh à son retour d’Occident. Citons également le premier film parlant, " La Fille Lore ", les photos et les documents des premiers réalisateurs, entres autres, d’Ovanes Oganians, d’Ardechir Khân, d’Abdol Hossein Sepanta et de Houshang Kâveh, fondateur du cinéma Asr-e Jadid (la nouvelle ère). Le cinéma contemporain iranien a pris ses quartiers dans la seconde salle. Cette dernière est consacrée aux réalisateurs, caméramans, acteurs, ainsi qu’aux plus fameux éditeurs. Ici, ce qui attire l’attention (compte non tenu du stand consacré au maquillage artistique) est le stand privé d’artistes de renom tels qu’Ezzatollah Entezâmi, Ali Hâtami, Samuel Khatchikyan, Valiollah Khâkdân. Aujourd’hui, la singularité du cinéma iranien n’est plus à prouver. Les cinéastes iraniens n’en finissent plus de récolter des récompenses dans les grands festivals internationaux, dont la palme d’or de Cannes en 1997 pour le film " Le Goût de la Cerise" de Kyarostami et le Bouc Ailé pour le film "Chazdeh Ehtedjab " de Farman Ara. La troisième salle est consacrée à l’impact international du cinéma iranien. Une autre partie du musée est réservée au cinéma pour la jeunesse ainsi qu’aux personnages de films pour enfants, tels que les célèbres poupées Kolah Ghermezi, Makhmale, le fameux chat de " Khouneye Madarbozorge" (La Maison de la Grand-mère), Patale, etc. Pour finir, une aile séparée du Musée met l’accent sur les équipements d’ingénierie du son.