N° 12, novembre 2006

L’entrée de l’Iran à l’OMC
Enjeux présents et défis futurs


Amélie Neuve-Eglise


Institution à vocation universelle, l’Organisation Mondiale du Commerce vise à définir des règles permettant d’organiser la libéralisation des échanges commerciaux entre les différents pays du monde. Sujette à divers embargos et handicapée par le poids important du secteur public, l’économie iranienne semble avoir beaucoup à gagner - mais aussi à prouver - lors du processus qui permettra son adhésion future à l’OMC. Après l’acceptation, non sans mal, de sa candidature en 2005, l’Iran va devoir relever d’importants défis économiques, mais aussi culturels et sociaux, si elle veut accéder au statut de membre de cet organisme et accroître son poids économique à l’échelle régionale et mondiale.

Une candidature semée d’embûches

Après une première demande d’adhésion en 1996 suivie de 21 autres tentatives infructueuses, la candidature de l’Iran à l’OMC a finalement été acceptée grâce à la levée du veto des Etats-Unis imposé pour des raisons liées au dossier nucléaire iranien. A la suite d’un accord conclu entre l’Union Européenne et l’Iran en 2005 et dans lequel ce pays s’était engagé à suspendre provisoirement son programme de recherche nucléaire, l’ultime blocage lié au fait que toute demande d’adhésion doit être ratifiée à l’unanimité par l’ensemble des membres de cette organisation a été levé. Il ne faut cependant pas crier victoire trop tôt. Ainsi, ce processus qui est caractérisé par sa longueur et sa complexité (il peut durer de 5 à 15 ans), le sera sans doute plus particulièrement pour l’Iran en raison de la politisation des enjeux de son adhésion ainsi que de sa situation géopolitique actuelle et du dossier nucléaire qui demeure ouvert.

Un processus aux étapes multiples

Les conditions d’adhésion d’un pays à l’OMC sont très larges puisque, selon la charte de cette organisation : "Tout Etat ou territoire douanier jouissant d’une entière autonomie dans la conduite de la politique commerciale peut devenir membre de l’OMC". Des critères plus officieux existent cependant, et les modalités d’accession varient considérablement d’un pays à l’autre en fonction de sa situation politique et du niveau de développement atteint par son système économique et juridique. Ainsi, chaque adhésion constitue en soi un processus unique dont la durée varie en fonction de la taille et du développement économique du pays, ainsi que de la rapidité de mise en œuvre des réformes exigées par l’OMC.

L’intégration comporte également de nombreux prérequis, et notamment la mise en place d’un environnement économique propice aux investissements accompagnée du renforcement de la qualité des produits et de la capacité à innover, afin que l’ouverture à la concurrence ne se traduise pas par l’effondrement de l’ensemble des secteurs non compétitifs et par d’importants dégâts sociaux. L’OMC n’en impose pas moins l’adoption de lourdes réformes, et ce notamment dans les domaines du code du commerce, des régulations sanitaires, et du droit de la propriété intellectuelle. Elle exige également la création d’organismes garantissant la liberté du commerce, tout en soumettant le secteur public à un important processus de modernisation de son organisation et de ses règles. En outre, chaque pays candidat s’engage à ouvrir son économie au commerce mondial en éliminant progressivement toutes les barrières (douanières et non douanières) à l’échange.

L’acceptation de la candidature iranienne s’est traduite par l’établissement d’un groupe de travail en 2005 au sein même de l’OMC, et ce afin d’examiner en détail sa demande d’accession. Le statut d’observateur au sein de cette organisation lui a également été octroyé. La première réunion de ce groupe prendra place lorsque l’Iran aura présenté un aide mémoire exposant de façon détaillée les caractéristiques de son régime commercial. Après son examen, ce pays devra procéder à la mise en place des nombreuses réformes économico-juridiques évoquées précédemment, et ce afin de rapprocher les grandes composantes de son système économico-commercial de celui des autres pays membres. A l’issue de ces réformes et lorsque le pays candidat se rapproche des conditions souhaitées, un processus de dialogue se met en place avec les autres pays membres afin de débattre des conditions précises de l’intégration.

Les buts recherchés par une adhésion

La volonté d’adhésion, et, de façon plus générale, de libéraliser les échanges, part d’un présupposé simple : il serait plus profitable - économiquement et socialement - à un pays d’échanger avec l’extérieur que de vivre en stricte autarcie. Il inciterait également les économies de chaque pays, en les soumettant à la concurrence extérieure, à se moderniser constamment et à innover en vue de renforcer leur compétitivité. Si ses produits sont compétitifs, le libre échange lui permettrait également d’élargir son marché grâce aux exportations ou aux investissements à l’étranger. Outre les recettes strictes provenant d’une éventuelle augmentation des ventes de produits nationaux à l’étranger, l’augmentation des importations résultant de l’ouverture des frontières et de la disparition des barrières douanières permettrait également à chaque pays membre d’accéder à de nouveaux produits, d’intégrer de nouvelles technologies à son processus de production, et donc, à terme, de renforcer la compétitivité de son économie.

Créée en 1995, l’OMC s’efforce de créer un cadre juridico-réglementaire permettant aux pays qui le souhaitent de bénéficier des avantages du libre-échange. Elle règle également les conflits commerciaux éventuels pouvant survenir entre les membres au travers de l’Organisme de Règlement des Différends (ORD). En établissant un système de règles fixes et garanties, cet organisme permet ainsi d’assurer la sécurité des échanges et de renforcer la confiance des investisseurs internationaux. Il se base sur la clause dite de la "nation la plus favorisée", stipulant que si un Etat octroie à un autre un avantage commercial, il doit également l’octroyer à l’ensemble des pays membres. Les adhérents à l’OMC commercent donc entre eux sur la base de principes parfaitement identiques et égalitaires. Au cours de ces dernière années, cette organisation s’est également donnée pour but de procéder à la libéralisation d’un nombre croissant de secteurs et notamment celui des services, des produits soumis au droit de la propriété intellectuelle, ou encore des nouvelles technologies.

Une économie en attente de restructuration

Depuis la fin des années 1980, l’économie iranienne a connu un certain développement de son secteur industriel, et le secteur des services a connu une expansion sans précédent. Cependant, elle reste une économie centralisée au sein de laquelle l’Etat conserve un rôle très important, et ce notamment au travers des entreprises pétrolières nationalisées qui fournissent l’essentiel des recettes issues du commerce extérieur. En outre, les exportations de denrées telles que l’huile, le sucre et le riz ne sont compétitives que grâce aux subsides conséquents versés par l’Etat. De fait, ces subventions n’incitent pas ces secteurs à se moderniser en vue d’accroître leur compétitivité. En outre, l’inflation et le chômage demeurent les deux plaies principales de cette économie dont la fragilité est renforcée par l’importance de la dette extérieure de l’Etat s’élevant à près de 16,94 milliards de dollars. L’adhésion de l’Iran à l’OMC ne se réalisera donc qu’à la condition de l’adoption d’importantes réformes au niveau interne dans les domaines économique, juridique, et commercial.

Il faut cependant noter que depuis la fin des années 1980, les dirigeants iraniens se sont efforcés d’impulser des réformes visant à diversifier l’économie nationale et à l’ouvrir davantage sur l’extérieur [1], et ce afin qu’elle dépende moins des revenus du pétrole. Cela s’est notamment traduit par la prise de mesures visant à développer de nouveaux secteurs tels que l’industrie électronique de pointe, la pétrochimie, ou encore la technologie nucléaire. Des politiques en faveur des investissements étrangers ont également été mises en œuvre, notamment au travers de la réduction des taxes à l’importation ou par la création de zones franches telles que l’île de Kish. Cependant, nombre de réformes demeurent en chantier et il reste à l’Iran bien du chemin à parcourir pour répondre aux critères définis par l’OMC.

L’épineuse question de la propriété intellectuelle

Outre les réformes touchant le secteur économique, les réformes juridiques - plus difficiles à mettre en place car impliquant également un changement des mentalités - devront également être adoptées. Cela impliquera notamment la ratification de traités internationaux touchant à la protection des droits d’auteur et à la propriété intelectuelle-règles auxquelles ne sont pas soumises les œuvres étrangères en Iran. Ce changement représenterait cependant un coût très lourd pour la majorité des entreprises privées et publiques qui utilisent des logiciels piratés, et impliquerait un important changement des habitudes de consommation des utilisateurs privés accoutumés à acheter des copies de films ou de CD étrangers à très bas prix. Cependant, cette réforme semble nécessaire étant donné que l’absence de copyright concernant les œuvres étrangères représente un des obstacles majeurs à l’investissement des multinationales en Iran. L’Etat devra également encourager l’augmentation et la diversification des exportations non pétrolières, et ce afin de ne pas fonder la richesse principale du pays sur une ressource épuisable et soumise à la volatilité des prix.

Des opinions très divergentes

Si certains considèrent l’adhésion de l’Iran comme étant la voie royale permettant de rendre son économie compétitive et ouverte à la concurrence internationale, les détracteurs estiment qu’une intégration à l’OMC provoquerait la déliquescence de l’industrie nationale iranienne peu à même de rivaliser avec ses grands concurrents internationaux et soumettra l’Iran à la domination des grandes puissances économiques. Ses détracteurs soulignent également le fait que son adhésion obligera le gouvernement à cesser de subventionner l’essence ; mesure difficile à mettre en œuvre et risquant de se traduire par une hausse conséquente de son prix susceptible à son tour de provoquer une nouvelle envolée de l’inflation, phénomène qui grève actuellement l’économie du pays. D’aucuns craignent également que l’ouverture du marché iranien à la concurrence étrangère ne provoque un afflux de produits étrangers qui asphyxierait la production nationale. Cependant, si des réformes internes appropriées sont mise en place, l’adhésion se traduira également par une nouvelle vigueur des exportations iraniennes "comblant" la baisse éventuelle de consommation de produits nationaux. De plus, pour les pays n’ayant pas une économie suffisamment solide et modernisée, l’OMC a prévu que ces derniers puissent déroger aux règles établies par cette organisation, en permettant notamment à certains de maintenir une protection de leur marché intérieur en attendant que l’économie soit à même d’affronter la concurrence internationale. L’Iran pourrait ainsi profiter de certains de ces avantages de façon temporaire. Enfin, l’économie nationale pourrait également tirer partie de cette ouverture pour développer des secteurs dans lesquels elle détient un avantage comparatif conséquent, tel que c’est notamment le cas dans le domaine de l’artisanat traditionnel ou du pétrole.

La mondialisation de l’économie et les avantages du libre-échange sont des réalités qui n’est plus à démontrer, et qui font de l’accession de l’Iran à l’OMC un impératif qui l’incitera à moderniser son économie et qui, dans une perspective à plus long terme, lui permettra d’accroître son poids au sein du système commercial international. A l’inverse, tout isolement se traduirait par la progressive sclérose d’une économie trop dépendante du pétrole et des subventions, et dépourvue d’un réel dynamisme interne. L’adhésion de l’Iran demandera toutefois certains sacrifices à court terme, incluant la nécessaire restructuration de l’industrie nationale et sa réorientation vers des secteurs plus modernes et technicisés. Des modèles de gestion plus efficaces devront également être adoptés au sein du secteur privé pour que, dans l’avenir, l’Iran ait une place de choix au sein de l’échiquier économico-politique régional. Cependant, l’intégration est un processus à n’envisager que sur le long terme et qui, dans le cas de l’Iran, sera intimement lié à l’évolution de sa politique intérieure et extérieure ainsi qu’à une transformation en profondeur du modèle étatique de gestion et d’administration des richesses.

Notes

[1Les principaux partenaires commerciaux de l’Iran sont le Japon, la Chine, l’Italie, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, Taiwan et la Turquie pour les exportations et l’Allemagne, la France, l’Italie, la Chine et la Corée du Sud pour les importations.


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