N° 11, octobre 2006

Au Journal de Téhéran

La conférence du Très Révérend Père Messina
sur les bases de la grandeur de l’ancien Iran (II)




Voir en ligne : 1ère partie


7 Octobre 1936
15 Mehr 1315

La même lutte a lieu sur terre entre le bien et le mal, et le bon esprit a pour tâche de faire disparaître du monde le mal physique et moral ainsi que de faire régner la bonté, la vérité, le bonheur et l’amour à la place de la méchanceté, du mensonge, de la cruauté et de la violence. A l’inverse, l’esprit mauvais s’attache à faire prévaloir la haine et la duplicité, la maladie et la mort.

Très caractéristique de Zarathoustra et de l’ancien peuple iranien est le caractère belliqueux de cette religion, plus caractéristique encore est l’office que Zarathoustra assigne à l’homme.

En rompant avec la tradition assyrienne ou babylonienne, il ne fait pas de l’homme un jouet des astres contre lesquels il serait inutile de se défendre, mais il enseigne de la façon la plus claire et décisive que l’homme lui-même est parfaitement maître et responsable de ses actions, dont il doit répondre après sa mort. Il lui inculque qu’il est de son devoir de combattre aux côtés d’Ahura Mazda, et qu’il doit non seulement parler et agir selon les normes de la religion, mais également agir de sorte que son intention même et son regard intérieur soient constamment dirigés vers le but auquel il a été destiné en ce monde. Doté d’une libre volonté, il se trouve placé devant le choix du bien ou du mal et Zarathoustra lui rappelle en des termes solennels de prendre sa décision avec un entendement clair, après avoir pesé l’importance capitale du choix auquel il est appelé.

Il lui dit en outre que la religion ne consiste pas seulement en la prière et le sacrifice, mais surtout en la lutte continuelle contre le mal physique et moral, et qu’il doit faire progresser la vertu et la vérité, la culture intellectuelle et matérielle, l’agriculture, la famille et le troupeau, et, dans l’ensemble, tout ce qui est nécessaire au bien- être d’une société ordonnée.

Tout cela peut nous apparaître aujourd’hui naturel et ordinaire, mais au temps où cette doctrine a été annoncée, elle constituait une innovation profonde et offrait à un peuple des normes morales bien différentes de celles que l’on trouvait dans d’autres empires.

Le dualisme véhiculait l’idée que la vie était une lutte et glorifiait les sentiments de générosité, d’endurance et de sacrifice qui ennoblissent l’homme, fortifient son caractère et lui font prendre connaissance des possibilités qu’il a de se perfectionner et d’avancer.

Et enfin, en contraste avec la doctrine du polythéisme qui dominait alors en Iran et dans presque toutes les peuplades de la terre, Zarathoustra enseignait la vénération d’un dieu unique, fondateur d’un ordre moral général, et qui dominait tout le monde, grands et petits. Par cela même il révélait à son peuple une certaine conception de l’homme et de l’humanité.

Ainsi, en opposition avec les conceptions courantes de son époque, sa doctrine n’est pas limitée par l’idée de race, de nation ou de tribu ; il n’enseigne donc pas une religion nationale, mais il veut que tous les hommes, iraniens ou non, sachent qu’ils sont appelés à la croyance en un seul dieu et à la lutte contre le mal. Zarathoustra a donc transmis au peuple iranien des principes pour organiser la société avec sagesse.

Selon les anciens Iraniens, dans la lutte contre le mal, Dieu a six collaborateurs : la puissance royale dominatrice, la justice, l’équité, la docilité, l’intégrité et l’immortalité. Grâce à la collaboration de ces puissances, le monde céleste chemine vers son but et les lois de la nature suivent régulièrement leur cours. Mais ces mêmes puissances collaborent également avec l’homme sur la terre et constituent les piliers d’une société bien ordonnée. En effet, l’immortalité et le bien- être, auxquels l’organisation sociale doit conduire l’homme, ne peut se réaliser que si les chefs se laissent guider par la justice et par l’équité ; alors seulement on peut s’attendre à la docilité des sujets et pourra être fondé un Etat idéal.

Le système social que les anciens Iraniens avaient choisi d’après la doctrine de Zarathoustra est donc très différent du communisme qui méconnaît les différences dues à la nature et à l’activité de l’homme. Il est également éloigné de l’arbitraire et de la tyrannie.

Arrêtons-nous un moment sur ce que nous venons de dire.

Nous avons vu que la doctrine concernant Dieu et la responsabilité personnelle qui restituait à l’homme sa pleine dignité et la maîtrise de ses actions étaient des conceptions nouvelles pour presque tous les peuples d’Orient. Nous avons également constaté que les rapports entre rois et sujets au temps de Darius étaient fondés sur des bases nouvelles.

Nous constatons la même chose en ce qui concerne l’introduction de l’équité dans le gouvernement des peuples. Cette notion, qui dépasse de beaucoup l’idée de simple justice et adoucit les âpretés de l’artam, introduit un sentiment de bienveillance et d’amour dans les rapports sociaux qui fait de la société une famille. Elle pousse également à l’observance de la loi non par crainte de la sanction, mais par conviction et élan intérieur. On a alors ce que les Grecs - en interprétant cette doctrine iranienne représentée par la figure de vohu manak - traduisent par éounoïa ou éounomïa, c’est-à-dire bonne législation fondée sur la bienveillance et l’équité.

Et si vous y ajoutez la notion d’humanité qui, tout en respectant les territoires de chaque nation, élargit le regard de l’homme bien au-delà de ses frontières - notion que nous avons rencontrée dans l’ancienne doctrine iranienne -, vous trouvez dans l’ancien Iran les doctrines qui sont reconnues comme les bases fondamentales de la culture occidentale moderne. En outre, vous ne vous étonnerez pas si les Grecs du deuxième siècle avant Jésus-Christ considéraient leurs grands savants et philosophes comme étant des disciples des grands maîtres Iraniens Zarathoustra et Ostanes.

Tout cela a fortement contribué à la formation des anciens iraniens en leur donnant une vocation universelle et impériale, et en en faisant les constructeurs des empires les plus vastes et les mieux organisés.

L’influence exercée par la doctrine de Zarathoustra sur la fondation et la constitution de l’empire iranien se retrouve largement dans les caractéristiques principales de cet empire.

Quand Cyrus prit la décision d’abattre la dernière dynastie babylonienne, la capitale ne fut pas expugnée, et ce furent les Babyloniens eux-mêmes qui lui ouvrirent les portes de la ville. Il n’y eu ni massacres, ni déportation des habitants, ce qui constituait une nouveauté stupéfiante pour le monde ancien. Les Babyloniens qui se livraient à Cyrus savaient bien que leur défaite n’allait pas se solder par la perte de leur patrie, de leurs familles, et des affections les plus chères, et qu’ils n’allaient pas être rabaissés au rang d’esclaves ou devenir objet de plaisir du vainqueur. Cyrus a tout respecté : religion, coutumes, usages, affections, familles. Les Juifs, qui étaient alors captifs en Babylonie, acclamèrent avec enthousiasme ce puissant conquérant, et le prophète Isaïe lui-même lui décerna le titre de "juste et de pasteur de Yahvé ".

Quelles en étaient les raisons ? C’était la première fois dans le monde oriental que l’on voyait un vainqueur dont la victoire éclatante avait imposé le respect des sentiments humains et l’amour de l’humanité.

Nous retrouvons la même façon d’agir chez Darius, et bien qu’une fois il fit déporter les habitants grecs d’Eretria parce qu’ils s’étaient révoltés, il les traita avec une humanité qui étonna Hérodote lui-même (il en fit d’ailleurs part par écrit).

Avec ces principes, il ne semble donc pas difficile de fonder un empire universel.

Quand je pense à la construction de ces nombreux canaux qui firent de l’Iran et de ses provinces de véritables jardins ; quand je pense à l’ordre qui régnait au sein de ce vaste empire, je suis tout de suite amené à rapprocher cela de l’élan qui venait de la doctrine de Zarathoustra, selon laquelle bonifier les champs et construire des ponts ainsi que des maisons était faire avancer le bien et constituait une oeuvre aussi méritoire que la prière et le sacrifice.

Les empires, même les plus puissants, ne sont pas éternels. Zarathoustra lui-même avait prévu qu’au cours des siècles, sa doctrine connaîtrait des périodes de décadence, et qu’alors l’Etat et la société perdraient de leur splendeur. Mais grâce à l’optimisme présent au fond de cette doctrine, il ne s’est jamais abandonné au désespoir. Il a même annoncé que des envoyés célestes viendraient pour ressusciter sa doctrine dans toute sa splendeur et faire refleurir la société.

De ce point de vue, il serait très instructif d’entendre les anciens Iraniens décrire l’histoire de leur pays et ainsi remarquer qu’une décadence de la tradition religieuse entraînait une décadence de l’Etat. Un chapitre d’un livre pahlavi ayant pour titre "sur les malheurs qui frappèrent le royaume iranien au cours des siècles ", nous renseigne sur ce sujet.

Par des phrases courtes mais pleines d’une mélancolie profonde, l’auteur passe en revue les différentes invasions étrangères subies par l’Iran. L’invasion des Macédoniens éveille des souvenirs douloureux et amers : liberté perdue, religion étouffée, livres sacrés brûlés, palais des rois à la merci des flammes. Mais les Iraniens avaient pu se relever de cette catastrophe et revendiquer leur liberté. Après de nombreuses luttes civiles, ce fut le communisme mazdakite qui désola le territoire iranien jusqu’à ce que Chosroes Anoshirvan réussit à l’abolir. Les Arabes, enfin, envahirent ce pays et abolirent la religion ainsi que la tradition iranienne. C’est avec une amertume poignante que, face à ces ravages, le chroniqueur religieux écrit "Depuis le commencement du monde, malheur plus grand n’avait pas frappé le royaume iranien". Cependant, fidèle à l’optimisme de Zarathoustra, il ne perd pas confiance en un avenir meilleur et son regard se fixe vers les saushyants, les sauveurs qui seront envoyés au peuple iranien pour l’amener vers des temps plus heureux.

D’après cette doctrine, quand le royaume iranien tombera dans la détresse, un fils de Zarathoustra viendra et, avec l’assistance d’Ahura Mazda, fera de nouveau prospérer religion et Etat. Et quand la désolation prévaudra, de nouveau un second fils de Zarathoustra se verra chargé de la même mission. Enfin, à la fin des temps, un troisième de ses fils abattra définitivement le mensonge, détruira le mal et soumettra toute la Création à l’empire d’Ahura mazda.


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